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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 5.1922

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Nr. 5
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Jamot, Paul: Sur les frères Le Nain, [2,2]: essai de classement de l'œuvre des Le Nain
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https://doi.org/10.11588/diglit.24938#0322

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298

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

auberge ; puis Les Joueurs1 ; Voyageurs dans une auberge2 ; Le Jeune
violoniste3.

Elève de ses frères, Mathieu semble avoir subi plus qu’eux, ou au moins
plus que Louis, l'influence des petits maîtres flamands et hollandais. On a
pu hésiter parfois, pour Eattribution de telle ou telle œuvre, entre notre
Laonnois et un peintre d’Amsterdam ou de Harlem. Mais les tableaux qui
viennent d’être énumérés ne sont pas de ceux qui prêtent au doute. Même
dans des sujets tout semblables à ceux que traitent alors les Michiel Sweerts,
les Gerrit van Honthorst ou les Jan Miel, on est frappé d’un je ne sais quoi
de désinvolte et de fin qu’on ne trouve pas chez ces habiles artistes ; ces
figures qui participent à une scène de « tabagie » et qui sont des portraits,
témoignent de cette intuition psychologique qui fut presque en tout temps
un apanage de l’esprit français.

Quand on a tant soit peu vécu dans l’intimité de l’œuvre des Le Nain, on
ne peut oublier l’étrange autorité, je dirai presque le pouvoir de fascination,
des regards de ces personnages, paysans ou gentilhommes, qui se trouvent
réunis sans motif expliqué dans une salle de ferme ou d’hôtellerie. Quelqu’un
a même été jusqu’à dire que des regards si mystérieusement attirants, on
n'en trouverait que chez Rembrandt4. Ecartons d’indiscrètes comparaisons.
Ma is sachons apprécier à sa valeur un don si beau et si rare. Ce don, il
existe, en effet ou en puissance, chez les trois frères. Déjà Antoine, l’ar-
chaïque Antoine, se montre amateur de regards humains ; j’ai dit le procédé
naïf qu ’il emploie pour traduire sa préoccupation instinctive, ces petits points
vifs, et trop blancs, qu’il pose dans les yeux de ses figurines. C’est chez
Louis que ce langage muet est le plus profond, le plus grave, le plus puis-
sant, et l’immobilité des personnages ajoute encore à sa force. Où y a-t-il
de plus beaux regards, de plus émouvants, que les regards calmes et droits
de la jeune paysanne qui est debout au milieu de la Forge, ces regards
apparus dans une pénombre illuminée d éclairs, — ou les regards profonds
et bons de la mère assise en pleine lumière dans la Famille de paysans du
Louvre ?

Mathieu sait, lui aussi, donner aux regards une intensité, une fixité inou-
bliable, et c’est ce qui relève singulièrement des tableaux qui, sans cet étrange
prestige, pourraient n'être que de bons morceaux de peinture, du réalisme
pittoresque à la mode flamande ou hollandaise. Voyez le regard perçant,

1. Toile. H. 33 ; 1. 45 inches. Coll. Wilfrid Ashley. Burlington Cat., n° 3, pl. III.

2. Toile. H. 45 ; 1. 65 inches. Coll, de sir Robert Witt. Burlington Cat., n° 15, pl. XI.

3. Coll, de lord Leconfield, Petworth. Burlington Cat., pl. XVII, sous le titre impropre
de Lazzaroni.

4. M. Maurice Hamel dans la Gazette des Beaux-Arts, 1887, t. I, p. 252.
 
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