M
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
son Livre des Rois a mis en vers persans les traditions sassanides dit :
« Quand tu sors de ton sommeil, regarde le monde qui est comme une soie
ornée des peintures qu’y fit Mani en Chine. »
Suivant M. E. Blochet2, d’apr es l’opinion généralement admise par les
auteurs byzantins et musulmans, Mani, le fondateur du manichéisme, qui
imagina de concilier les doctrines chrétiennes et mazdéennes et qui intro-
duisit la peinture en Perse, naquit dans ce pays vers 24o.
On a soutenu que, dans le vers précité de Firdousi, il fallait entendre par
l’expression Chine le pays de Samarkand et le Turkestan chinois3 4 5 6. Rien ne
nous paraît moins établi, car si Firdousi applique plus d’une fois les noms
de Chine et de Chinois à la Transoxiane et aux Turcs, le Céleste Empire
était connu des Persans et il est souvent visé de façon non équivoque. Ainsi
lorsque ce poète parle de ((brocart» ou de « soie de la Chine», on ne peut s’aviser
d’entendre par ces expressions des produits de Transoxiane. 11 doit en être
de même lorsqu’il est question de peinture sur soie faite en Chine. Au surplus,
même en acceptant l'interprétation de M. Blochet, comme il faut supposer
l’acclimatation en Transoxiane ou dans le Turkestan oriental de l’école
chinoise de peinture, nos conclusions n’en seraient pas modifiées.
Des deux principales civilisations étrangères que la Perse musulmane a
connues, la chinoise et la byzantine, c’est la première qui a laissé dans le
domaine de l’art des marques indélébiles, tandis que la seconde semble
n’avoir exercé qu’une influence localisée dans le temps et l’espace et repré-
sentée par l'école de Bagdad. Les canons de la peinture chinoise sont ceux de
la miniature persane jusqu’au jour de la décadence complète de cette
dernière, marquée par l adoption de la technique européenne. Aussi le plus
grand éloge que les auteurs orientaux décernent à un miniaturiste consiste
à le comparer aux peintres de Chine '.
Il faut remarquer que les principaux motifs de la décoration persane et
musulmane, tels que le lotus et le nuage stylisés, sont également empruntés
à la Chine0. Erjenk, communément confondu avec Mani et que Firdousi
mentionne en faisant suivre son nom de l’épithète de Chinois1', semble être
1. J. Mohl, Le Livre des Rois par Aboul Iiassim Firdousi, t. I, préface, p. xix et xxi.
2. Les Origines de la peinture en Perse (Gazette des Beaux-Arts, 1905, t. II, p. 128).
3. E. Blochet, article cité.
4. Aali dit que la peinture de Behzad était célèbre par le monde, comme celle des
peintres de Chine, et les épithètes qu’il décerne à Mani culminent dans l’expression
« peintre de Chine ». Firdousi fait dire au Kaïsar écrivant à Khosrou : « Il n’y a dans
aucun palais une peinture chinoise belle comme toi. » (J. Mohl, ouv. cité, t. 4 II, p. 231).
5. Cf. ma communication sur la reliure persane du xivc au xvne siècle au Congrès
d’histoire de l’art, Paris, 1921.
6. J. Mohl, ouv. cité, t. VI, p. 246 et t. Vil, p. 213.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
son Livre des Rois a mis en vers persans les traditions sassanides dit :
« Quand tu sors de ton sommeil, regarde le monde qui est comme une soie
ornée des peintures qu’y fit Mani en Chine. »
Suivant M. E. Blochet2, d’apr es l’opinion généralement admise par les
auteurs byzantins et musulmans, Mani, le fondateur du manichéisme, qui
imagina de concilier les doctrines chrétiennes et mazdéennes et qui intro-
duisit la peinture en Perse, naquit dans ce pays vers 24o.
On a soutenu que, dans le vers précité de Firdousi, il fallait entendre par
l’expression Chine le pays de Samarkand et le Turkestan chinois3 4 5 6. Rien ne
nous paraît moins établi, car si Firdousi applique plus d’une fois les noms
de Chine et de Chinois à la Transoxiane et aux Turcs, le Céleste Empire
était connu des Persans et il est souvent visé de façon non équivoque. Ainsi
lorsque ce poète parle de ((brocart» ou de « soie de la Chine», on ne peut s’aviser
d’entendre par ces expressions des produits de Transoxiane. 11 doit en être
de même lorsqu’il est question de peinture sur soie faite en Chine. Au surplus,
même en acceptant l'interprétation de M. Blochet, comme il faut supposer
l’acclimatation en Transoxiane ou dans le Turkestan oriental de l’école
chinoise de peinture, nos conclusions n’en seraient pas modifiées.
Des deux principales civilisations étrangères que la Perse musulmane a
connues, la chinoise et la byzantine, c’est la première qui a laissé dans le
domaine de l’art des marques indélébiles, tandis que la seconde semble
n’avoir exercé qu’une influence localisée dans le temps et l’espace et repré-
sentée par l'école de Bagdad. Les canons de la peinture chinoise sont ceux de
la miniature persane jusqu’au jour de la décadence complète de cette
dernière, marquée par l adoption de la technique européenne. Aussi le plus
grand éloge que les auteurs orientaux décernent à un miniaturiste consiste
à le comparer aux peintres de Chine '.
Il faut remarquer que les principaux motifs de la décoration persane et
musulmane, tels que le lotus et le nuage stylisés, sont également empruntés
à la Chine0. Erjenk, communément confondu avec Mani et que Firdousi
mentionne en faisant suivre son nom de l’épithète de Chinois1', semble être
1. J. Mohl, Le Livre des Rois par Aboul Iiassim Firdousi, t. I, préface, p. xix et xxi.
2. Les Origines de la peinture en Perse (Gazette des Beaux-Arts, 1905, t. II, p. 128).
3. E. Blochet, article cité.
4. Aali dit que la peinture de Behzad était célèbre par le monde, comme celle des
peintres de Chine, et les épithètes qu’il décerne à Mani culminent dans l’expression
« peintre de Chine ». Firdousi fait dire au Kaïsar écrivant à Khosrou : « Il n’y a dans
aucun palais une peinture chinoise belle comme toi. » (J. Mohl, ouv. cité, t. 4 II, p. 231).
5. Cf. ma communication sur la reliure persane du xivc au xvne siècle au Congrès
d’histoire de l’art, Paris, 1921.
6. J. Mohl, ouv. cité, t. VI, p. 246 et t. Vil, p. 213.