Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (5. Pér. 7.1923)

UN « CHRIST » CHAMPENOIS

DU COMMENCEMENT DU XVI' SIÈCLE

e petit village de Feuges, à 11 kilomètres de Troyes,
sur la route d'Arcis-sur-Aube, nous a conservé un
Christ dont nous donnons ci-contre la reproduction.
L’église qui l’abrite, et qui le reçut probablement de
quelque plus riche sanctuaire, abbaye, collégiale ou
paroisse urbaine, est un modeste bâtiment du xne siè-
cle, avec chapelle latérale du xvie. Elle a, comme ses
voisines du plateau arcisien, gardé son mobilier ancien,
une Vierge du xive siècle, sous le grossier badigeon de laquelle
transparaît la polychromie primitive, un excellent Saint Benoît,
patron de la paroisse, de la première moitié du xvie siècle, un vitrail
en grisaille représentant Y Adoration des bergers. Au mur méridional,
dont il occupe toute la hauteur, plus grand que nature, se dresse le Christ
en croix. Sans être ignoré, — les Troyens de goût en connaissent et en
apprécient la majesté douloureuse et sereine, — il n’a pas encore été
reproduit.

Ce grand Christ de bois polychromé1, — la peinture, qui aurait été retou-
chée il y a quelque quarante années, me paraît ancienne, — est une des œu-
vres les plus belles et les plus émouvantes de la sculpture champenoise. On peut
le placer sur le même rang que l’admirable Christ de la Mise au tombeau de
Saint-Nizier de Troyes, mais, tandis que celui-ci reste isolé de l’art troyen,
œuvre probable d’un artiste ou d’un atelier de passage, le Christ de Feuges
se rattache aisément au premier et au mieux caractérisé de ces ateliers

i. Classé comme monument historique par arrêté ministériel du 20 décembre 1911.