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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
En 1916, il fait une exposition à Nantes : « quatre peintures et trente
gouaches miniatures, c’est-à-dire une bien petite partie de mon effort consi-
dérable depuis la Marne ». Succès complet. Le « pays » lui rend enfin justice,
« bien que ni l’une ni l’autre des deux œuvres présentées pour le musée : Noël
igi4, Chaumières sons la neige, n’ait rempli les conditions requises ; on vou-
lait une scène d’intérieur autre que mon Noël ; c’était pourtant une scène
paysanne selon le désir exprimé... » Sa lettre est écrite du Bois-Durand, où
il s’est déjà remis au travail : « Oui, certes », ajoute-t-il, (( il faudrait passer
l’hiver dans le Midi, mais je ne le ferai pas ; tant pis !... Le pis est que je suis
incapable de rester à la maison lorsque le vent souffle en tempête et que le
marais est si beau ! »
Il passe l’hiver à travailler dehors, tout au plaisir de peindre à présent
avec facilité (et, qui sait ? pressentant le terme de sa tâche...) : (( J’ai tant
travaillé sous la pluie et le froid que ma santé est, hélas, bien compromise.
Mais j’y ai gagné de beaux paysages dans le genre de mon grand de chez
Druet... » On voit que sa passion n’allait pas sans héroïsme.
Il me dit enfin dans cette lettre, qui est Uavant-dernière qu’il m’ait écrite :
(( Paysages, scènes d’intérieur m’ont fait de plus en plus pénétrer le
mystère du métier, qui est si simple et qui est de revenir à ce que les grands
maîtres anciens apprenaient comme a, b, c, à leurs élèves apprentis : l’étude
des valeurs dans la grisaille. Les Glouet, Chardin, les Hollandais (Vermeer,
Goyen), les Espagnols (Velâzquez, Greco, etc.) ne procédaient pas autre-
ment. Nos modernes savent-ils ce que c’est que la couleur? »
Ainsi, c’est sur le point de mourir qu’un artiste tel que Milcendeau aura
compris tout à fait la leçon que n’enseigne pas l’école d’aujourd’hui (et que
Gustave Moreau plus orfèvre en peinture que « valoriste » a peut-être négligée),
c’est sur le point de mourir qu’il a pénétré le secret du « sphinx incomparable » ;
grâce à quoi, s’il eût vécu, il se fût surpassé à coup sûr. N’importe ; ce qu’il
a laissé honore durablement notre tradition. Comme l’a justement dit,
naguère, M. Tristan Klingsor 1 dans son livre sur la peinture depuis vingt ans :
« Peu de maîtres français ont possédé une si grande faculté expressive ». Le
nom de Milcendeau vivra.
Au Musée de Nantes 2, son portrait par lui-même (1918) est non seule-
ment une belle peinture, mais un pathétique adieu. Milcendeau en a fait deux
1. M. Tristan Klingsor a aussi consacré une étude à Charles Milcendeau dans le numéro
de janvier 1923 de L'Art et les Artistes.
2. Le Luxembourg possède une douzaine de dessins de Milcendeau et un pastel d’Es-
pagne : Mère et enfant. Au Musée de Fontenay-le-Comte se trouvent un grand paysage :
Avant la grêle, un pastel : Les Tricoteuses, un dessin : Portrait de la sœur de l’artiste, et
une gouache-miniature. Le Musée de Bucarest a deux peintures : Le Barbier, L'Avare. On
voit une peinture en Belgique à Ixelles ; une autre est au Japon.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
En 1916, il fait une exposition à Nantes : « quatre peintures et trente
gouaches miniatures, c’est-à-dire une bien petite partie de mon effort consi-
dérable depuis la Marne ». Succès complet. Le « pays » lui rend enfin justice,
« bien que ni l’une ni l’autre des deux œuvres présentées pour le musée : Noël
igi4, Chaumières sons la neige, n’ait rempli les conditions requises ; on vou-
lait une scène d’intérieur autre que mon Noël ; c’était pourtant une scène
paysanne selon le désir exprimé... » Sa lettre est écrite du Bois-Durand, où
il s’est déjà remis au travail : « Oui, certes », ajoute-t-il, (( il faudrait passer
l’hiver dans le Midi, mais je ne le ferai pas ; tant pis !... Le pis est que je suis
incapable de rester à la maison lorsque le vent souffle en tempête et que le
marais est si beau ! »
Il passe l’hiver à travailler dehors, tout au plaisir de peindre à présent
avec facilité (et, qui sait ? pressentant le terme de sa tâche...) : (( J’ai tant
travaillé sous la pluie et le froid que ma santé est, hélas, bien compromise.
Mais j’y ai gagné de beaux paysages dans le genre de mon grand de chez
Druet... » On voit que sa passion n’allait pas sans héroïsme.
Il me dit enfin dans cette lettre, qui est Uavant-dernière qu’il m’ait écrite :
(( Paysages, scènes d’intérieur m’ont fait de plus en plus pénétrer le
mystère du métier, qui est si simple et qui est de revenir à ce que les grands
maîtres anciens apprenaient comme a, b, c, à leurs élèves apprentis : l’étude
des valeurs dans la grisaille. Les Glouet, Chardin, les Hollandais (Vermeer,
Goyen), les Espagnols (Velâzquez, Greco, etc.) ne procédaient pas autre-
ment. Nos modernes savent-ils ce que c’est que la couleur? »
Ainsi, c’est sur le point de mourir qu’un artiste tel que Milcendeau aura
compris tout à fait la leçon que n’enseigne pas l’école d’aujourd’hui (et que
Gustave Moreau plus orfèvre en peinture que « valoriste » a peut-être négligée),
c’est sur le point de mourir qu’il a pénétré le secret du « sphinx incomparable » ;
grâce à quoi, s’il eût vécu, il se fût surpassé à coup sûr. N’importe ; ce qu’il
a laissé honore durablement notre tradition. Comme l’a justement dit,
naguère, M. Tristan Klingsor 1 dans son livre sur la peinture depuis vingt ans :
« Peu de maîtres français ont possédé une si grande faculté expressive ». Le
nom de Milcendeau vivra.
Au Musée de Nantes 2, son portrait par lui-même (1918) est non seule-
ment une belle peinture, mais un pathétique adieu. Milcendeau en a fait deux
1. M. Tristan Klingsor a aussi consacré une étude à Charles Milcendeau dans le numéro
de janvier 1923 de L'Art et les Artistes.
2. Le Luxembourg possède une douzaine de dessins de Milcendeau et un pastel d’Es-
pagne : Mère et enfant. Au Musée de Fontenay-le-Comte se trouvent un grand paysage :
Avant la grêle, un pastel : Les Tricoteuses, un dessin : Portrait de la sœur de l’artiste, et
une gouache-miniature. Le Musée de Bucarest a deux peintures : Le Barbier, L'Avare. On
voit une peinture en Belgique à Ixelles ; une autre est au Japon.