GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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de Roger a tout unifié, et, de toutes les représentations du drame final de la
chrétienté, celle-ci, peinte pour les malades d’un hôtel-Dieu, est l’une des
plus justement célèbres.
Né à Harlem, émigré vers les Pays-Bas méridionaux aux environs de
i44o, installé à Louvain vers i45o, Dieric Bouts découvre toute sa maîtrise
personnelle dans le retable du Saint-Sacrement (prêté par l’église Saint-
Pierre de Louvain pour laquelle il fut peint). Notion de l’espace, concep-
tion de l'unité de lumière — qualités propres au milieu harlemois? —
caractérisent au plus haut point la partie centrale. Une vaste pièce gothique
s’ordonne en lignes claires et logiques et la perspective, rehaussée en quelque
sorte par la disposition du dallage, serait parfaite si le point de vue n’était
pris d’un peu haut. Vu de face, le Christ est un peu plus grand que les
Apôtres ; ceux-ci, différents entre eux par le port des barbes et des cheveux,
sont disposés avec une symétrie où se trahit peut-être plus l’origine harlemoise
de l’artiste que ne se révèlent, comme on l’a cru, des réminiscences de la
scénographie des Mystères. Ces pieux visages s’efforcent vers une traduction
typique de la figure humaine ; mais l’individuel correspond mieux à la nature
patiente de Bouts. Des figures de précise et vivante réalité interviennent au
détriment des assistants sacrés ; le personnage à mortier près du buffet,
l’homme priant près du Christ, les deux autres qui apparaissent au guichet
de l’office. Ne peut-on reconnaître dans les quatre spectateurs les quatre
maîtres de la confrérie qui passèrent le contrat avec le peintre : le « maieur »
Erasme van Bausele, Laurent van Winghe, Renier Sloep et Eustache RoelofP
— Lesquatre volets (récupérés par la victoire1) présentent plus d’un contraste
avec la partie centrale, en plus de celui qui résulte de leur nettoyage à l’alle-
mande. La Pâque s’écarte le moins de la Gène, et l’on voit à nouveau avec
quelle intelligence de l’espace, qui n’est certes point la science des Italiens, le
maître dispose ses figures. L’ange qui vient nourrir Elie endormi et penche
vers lui son visage idéal révèle ce que Bouts doit à Roger. De plus, la lumière
devient ici un élément essentiel et le paysage cesse d'être un accessoire. Il faut
en dire autant de la Manne, où la disposition triangulaire des personnages
d’avant-plan ramène à Roger, mais où les effets de crépuscule, le rendu
des lointains, n’appartiennent qu’à Bouts, qui retrouve les mêmes mérites
de pleinairisme, perspectivisme, luminisme dans la Rencontre d’Abraham
i. La Rencontre d'Abraham et de Melchisédech et la Récolte de la Manne se trouvaient à
la Pinacothèque de Munich; la Pâque et Elle et l'Ange étaient au Musée de Berlin. On
manque de données précises sur la place que ces panneaux occupaient à l’origine dans le
retable. Nous avons préféré adopter, dans notre reproduction, l’ordre que réclament à la
fois la chronologie, la symbolique et les exigences esthétiques, ordre qu’on ne leur a pas
donné à Louvain.
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de Roger a tout unifié, et, de toutes les représentations du drame final de la
chrétienté, celle-ci, peinte pour les malades d’un hôtel-Dieu, est l’une des
plus justement célèbres.
Né à Harlem, émigré vers les Pays-Bas méridionaux aux environs de
i44o, installé à Louvain vers i45o, Dieric Bouts découvre toute sa maîtrise
personnelle dans le retable du Saint-Sacrement (prêté par l’église Saint-
Pierre de Louvain pour laquelle il fut peint). Notion de l’espace, concep-
tion de l'unité de lumière — qualités propres au milieu harlemois? —
caractérisent au plus haut point la partie centrale. Une vaste pièce gothique
s’ordonne en lignes claires et logiques et la perspective, rehaussée en quelque
sorte par la disposition du dallage, serait parfaite si le point de vue n’était
pris d’un peu haut. Vu de face, le Christ est un peu plus grand que les
Apôtres ; ceux-ci, différents entre eux par le port des barbes et des cheveux,
sont disposés avec une symétrie où se trahit peut-être plus l’origine harlemoise
de l’artiste que ne se révèlent, comme on l’a cru, des réminiscences de la
scénographie des Mystères. Ces pieux visages s’efforcent vers une traduction
typique de la figure humaine ; mais l’individuel correspond mieux à la nature
patiente de Bouts. Des figures de précise et vivante réalité interviennent au
détriment des assistants sacrés ; le personnage à mortier près du buffet,
l’homme priant près du Christ, les deux autres qui apparaissent au guichet
de l’office. Ne peut-on reconnaître dans les quatre spectateurs les quatre
maîtres de la confrérie qui passèrent le contrat avec le peintre : le « maieur »
Erasme van Bausele, Laurent van Winghe, Renier Sloep et Eustache RoelofP
— Lesquatre volets (récupérés par la victoire1) présentent plus d’un contraste
avec la partie centrale, en plus de celui qui résulte de leur nettoyage à l’alle-
mande. La Pâque s’écarte le moins de la Gène, et l’on voit à nouveau avec
quelle intelligence de l’espace, qui n’est certes point la science des Italiens, le
maître dispose ses figures. L’ange qui vient nourrir Elie endormi et penche
vers lui son visage idéal révèle ce que Bouts doit à Roger. De plus, la lumière
devient ici un élément essentiel et le paysage cesse d'être un accessoire. Il faut
en dire autant de la Manne, où la disposition triangulaire des personnages
d’avant-plan ramène à Roger, mais où les effets de crépuscule, le rendu
des lointains, n’appartiennent qu’à Bouts, qui retrouve les mêmes mérites
de pleinairisme, perspectivisme, luminisme dans la Rencontre d’Abraham
i. La Rencontre d'Abraham et de Melchisédech et la Récolte de la Manne se trouvaient à
la Pinacothèque de Munich; la Pâque et Elle et l'Ange étaient au Musée de Berlin. On
manque de données précises sur la place que ces panneaux occupaient à l’origine dans le
retable. Nous avons préféré adopter, dans notre reproduction, l’ordre que réclament à la
fois la chronologie, la symbolique et les exigences esthétiques, ordre qu’on ne leur a pas
donné à Louvain.