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ANDRZEJ PIEŃKOS
profondément par l’histoire de l’art européen»3. Les faits sont évidents et clairs: Cyprian (en polonais,
Cyprien en franęais) Godebski est né en France, aux environs de Bourges où son pére Franciszek Ksawery
travaillait à l’epoque, dans un des centres de la nouvelle emigration polonaise après la tragique insurrection
de 1830-1831. A Paris à partir de 1842 il doit toute son education à l’institution des Polonais réfugiés en
France, Fècole dite des Batignolles. Les trois femmes successives de Cyprian représentaient trois nations.
Son enracinement familial international nous permet de le voir en citoyen du monde, plutót qu’en artiste
polonais. Son pére était emigre politique - Cyprien non, il a pu revenir sur le territoire de l’état polonais
disparu, et il Fa d’ailleurs fait plusieurs fois. Par contrę sa carrière flit totalement cosmopolite: Lvov,
Vienne, Saint-Pétersbourg, Varsovie, Bruxelles, Paris, Carrare... Probablement, aucun sculpteur européen
n’a realise un tei «tour de monde» et n’a connu tant de milieux artistiques divers.
Elève du sculpteur connu, Franęois Jouffroy à Paris, il a débuté à Lvov et en Ukraine vers 1859 avec
quelque travaux importants; pour repartir ensuite vers l’Europe occidentale, d’où, grace aux relations russes
de son beau-père belge, Adrien-Franęois Servais, Godebski circulait vers 1’Empire des tsars en recevant
le titre honoraire de 1’Académie de Saint-Pétersbourg en 18704. A partir de 1876 il se stabilise enfin en
France pour toute sa vie, voyageant pourtant vers la Pologne et travaillant souvent à Carrare.
Godebski personnifie ainsi ce type d’artiste international du XIXe siede pour lequel Paris devient
un centre de rayonnement, une source primaire de méthodes et d’inspirations, un marche principal de
commandes, enfin son foyer familial. Il personnifie également 1’importance des relations artistiques et
non seulement artistiques entre la France et la Pologne. Il les personifie d’ailleurs de faęon particulière...
L’importance de Godebski pour le milieu polonais en France dans la 2ème moitié du XIXe siede est
incontestable, mais le voir comme un membre de ce milieu serait exagéré. Il est evident qu’il a travaillé
toute sa vie durant pour la clientèle polonaise: encore aujourd’hui on peut admirer dans ce centre sym-
bolique de l’émigration polonaise à Paris que fut la cour de Fècole des Batignolles, rue Lamandé, son
monument de Seweryn Gałęzowski, médecin cèlebre et cofondateur de Fècole (1879-1880; ill. I)5. Ce
monument fut sumommé «A la France Hospitalière», avec un contenu symbolique bien important aussi
pour toute la dynastie Godebski. C’est également à son ciseau que l’on doit un très beau tombeau en
marbré du cimetière Père-Lachaise, sous lequel reposent d’autres membres de certe mème familie des
Gałęzowski qui joua un röle important dans la vie de la colonie polonaise ainsi que dans celle du Paris
sdentitique (ils partagent ce tombeau avec le chanteur d’opera Enrico Tamberlinck; ili. 2). D’autres traces
de son activité parisienne consacrée aux Polonais demeurent nombreuses: au cimetière Montparnasse nous
trouvons son buste du fameux generai Ludwik Mierosławski, héros des plusieurs insurrections européen-
nes (1883; ill. 3); dans les collections de la Bibliothèque Polonaise à Paris, entre autres, se trouvent son
portrait en terre cuite de l’écrivain Józef Ignacy Kraszewski (1887)6 et le petit bronze du Soldat blessé.
3 J’ai ouvert ainsi mon panorama de la situation artistique des sculpteurs de l’émigration polonaise à Paris - A. Pieńkos, Paris
-foyer de la sculpture européenne. La contribution polonaise, «tkonotheka. Prace Instytutu Historii Sztuki Uniwersytetu Warszawskiego»,
14, 2000, p. 89. La citation est de S. Duchińska (1888), citée d’après 1’anthologie des textes critiques sur la sculpture du XIXe siècle:
A. Melbechowska-Luty, P. Szubert, Posągi i ludzie, vol. 2, Varsovie 1993, p. 143.
4 Depuis Particle ancien de S. Lami (Dictionnaire des sculpteurs de fècole franęaise au XIXe siècle, vol. 3, Paris 1919, p. 66-69)
il nous manque une biographic modeme et complète du sculpteur; cf. celle, courte, de Particle de K. Mikocka-Rachubowa, Godebski
Cyprian, [in:] Saur Allgemeines Künstlerlexikon, vol. 56, Munich-Leipzig 2007, p. 389-390. Mes propres études sur ce sculpteur ont été
possibles grace à une bourse de recherche du Ministère polonais des Sciences et de PEducation Supérieure «Cyprian Godebski. Modelowa
kariera paryskiego rzeźbiarza». Une étude concernant les travaux par Godebski en Russie et pour les Russes: E.W. Karpova, Cyprian
Godebski w Petersburgu, «Biuletyn Historii Sztuki», 1998, no 1-2, p. 89-102 (avec un résumé anglais); eadem, Petersburgskie raboty
Kipriana Godebskogo, [in:] Russkaä i zapadnoevropejskaä skul’ptura XVIII - nacala XX veka: novye materiały, nahodki, atribucii, San-
kt-Petersbourg 2009, p. 553-560 (avec un résumé anglais).
5 Et les deux bustes déjà mentionnés sur la faęade de l’école, probablement Poeuvre la plus ancienne connue du jeune sculpteur.
On trouve aussi dans Poeuvre de Godebski des sujets polonais allégoriques. Après Pinsurrection de 1863, emprisonné pour trois mois
par les Autrichiens à Lvov vu ses sympathies envers les insurgés, de retour en France, il a voulu exposer au Salon un groupe «de la
Pologne», commandé «par quelqu’un de mes compatriotes pour Fècole polonaise» comme il le décrit dans une lettre du 4 avril 1864
demandant au Comte de Nieuwerkerke 1’intervention auprès du jury, refusant son oeuvre (cette statue est enfin présentée au Salon des
Refuses). Je remercie Monsieur Laurent Cazes de m’avoir trouvé deux lettres de Godebski dans les Archives des Musées Nationaux.
Cf. aussi M. Dąbrowska, Polityka kulturalna czy po prostu polityka? Polscy artyści w paryskich kronikach artystycznych w drugiej
połowie XIX wieku, [in:] Wyjazdy „za sztuką”. Nadzieje, zyski i straty artystów XIX i XX wieku, red. D. Kudelska, E. Kuryłek, Lublin
2015, p. 146.
6 Ces portraits mentionne G. Peigné, Dictionnaire des sculpteurs néo-baroques franęais 1870-1914, Paris 2012, p. 263, en com-
mettant plusieurs fautes: Kraszewski n’était pas «un poète», le buste du prince Gortchakoff ne représentait pas rm aristocrate polonais,
mais russe - bien évidemement.
ANDRZEJ PIEŃKOS
profondément par l’histoire de l’art européen»3. Les faits sont évidents et clairs: Cyprian (en polonais,
Cyprien en franęais) Godebski est né en France, aux environs de Bourges où son pére Franciszek Ksawery
travaillait à l’epoque, dans un des centres de la nouvelle emigration polonaise après la tragique insurrection
de 1830-1831. A Paris à partir de 1842 il doit toute son education à l’institution des Polonais réfugiés en
France, Fècole dite des Batignolles. Les trois femmes successives de Cyprian représentaient trois nations.
Son enracinement familial international nous permet de le voir en citoyen du monde, plutót qu’en artiste
polonais. Son pére était emigre politique - Cyprien non, il a pu revenir sur le territoire de l’état polonais
disparu, et il Fa d’ailleurs fait plusieurs fois. Par contrę sa carrière flit totalement cosmopolite: Lvov,
Vienne, Saint-Pétersbourg, Varsovie, Bruxelles, Paris, Carrare... Probablement, aucun sculpteur européen
n’a realise un tei «tour de monde» et n’a connu tant de milieux artistiques divers.
Elève du sculpteur connu, Franęois Jouffroy à Paris, il a débuté à Lvov et en Ukraine vers 1859 avec
quelque travaux importants; pour repartir ensuite vers l’Europe occidentale, d’où, grace aux relations russes
de son beau-père belge, Adrien-Franęois Servais, Godebski circulait vers 1’Empire des tsars en recevant
le titre honoraire de 1’Académie de Saint-Pétersbourg en 18704. A partir de 1876 il se stabilise enfin en
France pour toute sa vie, voyageant pourtant vers la Pologne et travaillant souvent à Carrare.
Godebski personnifie ainsi ce type d’artiste international du XIXe siede pour lequel Paris devient
un centre de rayonnement, une source primaire de méthodes et d’inspirations, un marche principal de
commandes, enfin son foyer familial. Il personnifie également 1’importance des relations artistiques et
non seulement artistiques entre la France et la Pologne. Il les personifie d’ailleurs de faęon particulière...
L’importance de Godebski pour le milieu polonais en France dans la 2ème moitié du XIXe siede est
incontestable, mais le voir comme un membre de ce milieu serait exagéré. Il est evident qu’il a travaillé
toute sa vie durant pour la clientèle polonaise: encore aujourd’hui on peut admirer dans ce centre sym-
bolique de l’émigration polonaise à Paris que fut la cour de Fècole des Batignolles, rue Lamandé, son
monument de Seweryn Gałęzowski, médecin cèlebre et cofondateur de Fècole (1879-1880; ill. I)5. Ce
monument fut sumommé «A la France Hospitalière», avec un contenu symbolique bien important aussi
pour toute la dynastie Godebski. C’est également à son ciseau que l’on doit un très beau tombeau en
marbré du cimetière Père-Lachaise, sous lequel reposent d’autres membres de certe mème familie des
Gałęzowski qui joua un röle important dans la vie de la colonie polonaise ainsi que dans celle du Paris
sdentitique (ils partagent ce tombeau avec le chanteur d’opera Enrico Tamberlinck; ili. 2). D’autres traces
de son activité parisienne consacrée aux Polonais demeurent nombreuses: au cimetière Montparnasse nous
trouvons son buste du fameux generai Ludwik Mierosławski, héros des plusieurs insurrections européen-
nes (1883; ill. 3); dans les collections de la Bibliothèque Polonaise à Paris, entre autres, se trouvent son
portrait en terre cuite de l’écrivain Józef Ignacy Kraszewski (1887)6 et le petit bronze du Soldat blessé.
3 J’ai ouvert ainsi mon panorama de la situation artistique des sculpteurs de l’émigration polonaise à Paris - A. Pieńkos, Paris
-foyer de la sculpture européenne. La contribution polonaise, «tkonotheka. Prace Instytutu Historii Sztuki Uniwersytetu Warszawskiego»,
14, 2000, p. 89. La citation est de S. Duchińska (1888), citée d’après 1’anthologie des textes critiques sur la sculpture du XIXe siècle:
A. Melbechowska-Luty, P. Szubert, Posągi i ludzie, vol. 2, Varsovie 1993, p. 143.
4 Depuis Particle ancien de S. Lami (Dictionnaire des sculpteurs de fècole franęaise au XIXe siècle, vol. 3, Paris 1919, p. 66-69)
il nous manque une biographic modeme et complète du sculpteur; cf. celle, courte, de Particle de K. Mikocka-Rachubowa, Godebski
Cyprian, [in:] Saur Allgemeines Künstlerlexikon, vol. 56, Munich-Leipzig 2007, p. 389-390. Mes propres études sur ce sculpteur ont été
possibles grace à une bourse de recherche du Ministère polonais des Sciences et de PEducation Supérieure «Cyprian Godebski. Modelowa
kariera paryskiego rzeźbiarza». Une étude concernant les travaux par Godebski en Russie et pour les Russes: E.W. Karpova, Cyprian
Godebski w Petersburgu, «Biuletyn Historii Sztuki», 1998, no 1-2, p. 89-102 (avec un résumé anglais); eadem, Petersburgskie raboty
Kipriana Godebskogo, [in:] Russkaä i zapadnoevropejskaä skul’ptura XVIII - nacala XX veka: novye materiały, nahodki, atribucii, San-
kt-Petersbourg 2009, p. 553-560 (avec un résumé anglais).
5 Et les deux bustes déjà mentionnés sur la faęade de l’école, probablement Poeuvre la plus ancienne connue du jeune sculpteur.
On trouve aussi dans Poeuvre de Godebski des sujets polonais allégoriques. Après Pinsurrection de 1863, emprisonné pour trois mois
par les Autrichiens à Lvov vu ses sympathies envers les insurgés, de retour en France, il a voulu exposer au Salon un groupe «de la
Pologne», commandé «par quelqu’un de mes compatriotes pour Fècole polonaise» comme il le décrit dans une lettre du 4 avril 1864
demandant au Comte de Nieuwerkerke 1’intervention auprès du jury, refusant son oeuvre (cette statue est enfin présentée au Salon des
Refuses). Je remercie Monsieur Laurent Cazes de m’avoir trouvé deux lettres de Godebski dans les Archives des Musées Nationaux.
Cf. aussi M. Dąbrowska, Polityka kulturalna czy po prostu polityka? Polscy artyści w paryskich kronikach artystycznych w drugiej
połowie XIX wieku, [in:] Wyjazdy „za sztuką”. Nadzieje, zyski i straty artystów XIX i XX wieku, red. D. Kudelska, E. Kuryłek, Lublin
2015, p. 146.
6 Ces portraits mentionne G. Peigné, Dictionnaire des sculpteurs néo-baroques franęais 1870-1914, Paris 2012, p. 263, en com-
mettant plusieurs fautes: Kraszewski n’était pas «un poète», le buste du prince Gortchakoff ne représentait pas rm aristocrate polonais,
mais russe - bien évidemement.