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BIOGRAPHIE NATIONALE
d’un souvenir dans les poèmes d’Ossian. Cependant la guerre que Charlemagne fit
aux Saxons mit la puissance franke directement en contact avec ces terribles Nort-
mans, ou hommes du Nord, qui devaient causer tant d’embarras et d’humiliations
aux héritiers de l’empereur dOccident. A la vérité, pendant son règne, les wikings
ou saekongar (rois de mer), comme les pirates Scandinaves appelaient les chefs de
leurs expéditions, ne se hasardèrent que de loin en loin à descendre sur quelque
point isolé ou mal protégé du littoral de l’Empire. Mais, leur audace devenant de plus
en plus grande, il comprit la nécessité de mettre en état de défense l’embouchure des
fleuves et les régions maritimes. Le moine de Saint-Gall raconte que Charlemagne —
se trouvant un jour au bord de la mer et voyant cingler à l’horizon une escadrille de
ces bateaux que les marins septentrionaux désignaient sous le nom de snekkar (ser-
pents) ou de drakar (dragons), parce qu’à leurs proues étaient sculptées des figures
de ces animaux — fut pris d’une grande tristesse et qu’il pleura longtemps. Comme
parmi ceux qui l’entouraient il n’y avait personne qui osât l’interroger sur la cause de
ses larmes, il leur dit : « Mes fidèles, vous voulez savoir pourquoi je pleure. Ce n’est
« point parce que je crains que ces pirates me fassent quelque dommage, mais parce
" que, moi vivant, ils ont la hardiesse de se montrer dans nos eaux, et que je prévois
« les malheurs qu’ils causeront à mes successeurs et à leurs peuples. » Aussi, depuis
l’an 802, les capitulaires et les actes publics s’occupent presque sans relâche de l’or-
ganisation de mesures défensives sur les côtes de l’Empire. Tantôt ce sont des postes
militaires à établir aussi bien à l’embouchure des fleuves qui s’épanchent dans la
mer du Nord, dans la Manche, dans l’Atlantique, qu’à l’entrée de ceux qui déversent
leurs eaux dans la Méditerranée. Tantôt il s’agit de la construction de flottes que les
historiens voient sortir des chantiers établis sur l’Escaut, et se diriger par Gand vers
Boulogne, ancienne station de Garausius. Pour signaler, pendant la nuit, ce port de
refuge aux marins franks qui naviguent dans le détroit de la Manche, l’Empereur fait
réparer le vieux phare que Caligula y a fait construire. Il ordonne même la levée en
masse des districts maritimes où les cyules normandes peuvent aborder, et commine
des peines contre ceux qui. au premier appel, ne courront pas aux armes.
Les prévisions de Charlemagne ne tardent pas à se réaliser. En 820, une première
escadre de wikings, composée de treize navires, se présente sur les côtes de la
Flandre et essaye d’y opérer une descente. Mais elle est vigoureusement repoussée.
Alors elle tente de forcer l’entrée de la Seine. Repoussée de nouveau, elle réussit enfin
à aborder dans l’Aquitaine, d’où elle se retire avec un butin considérable.
A mesure que le désordre augmente dans l’Empire, les invasions des Normands
prennent un caractère de plus en plus acharné. Du reste, on comprend aisément
l’ardeur qui les poussait vers cette Gaule si plantureuse. Jetés par le ciel sous un cli-
mat âpre et rude et sur une terre ingrate dont ^eux mers rongent sans cesse les
côtes, que baigne une infinité de lacs et que sillonne une innombrable quantité de
fleuves et de rivières, ils étaient plus familiarisés encore avec l’eau qu’avec la terre.
Nourris des idées belliqueuses qui dominent dans le culte Scandinave, excités par
cette soif de gloire qu’entretenaient avec tant de soin les chants des scaldes *, poussés
1 Sæmundar Havamal, str. 76.
BIOGRAPHIE NATIONALE
d’un souvenir dans les poèmes d’Ossian. Cependant la guerre que Charlemagne fit
aux Saxons mit la puissance franke directement en contact avec ces terribles Nort-
mans, ou hommes du Nord, qui devaient causer tant d’embarras et d’humiliations
aux héritiers de l’empereur dOccident. A la vérité, pendant son règne, les wikings
ou saekongar (rois de mer), comme les pirates Scandinaves appelaient les chefs de
leurs expéditions, ne se hasardèrent que de loin en loin à descendre sur quelque
point isolé ou mal protégé du littoral de l’Empire. Mais, leur audace devenant de plus
en plus grande, il comprit la nécessité de mettre en état de défense l’embouchure des
fleuves et les régions maritimes. Le moine de Saint-Gall raconte que Charlemagne —
se trouvant un jour au bord de la mer et voyant cingler à l’horizon une escadrille de
ces bateaux que les marins septentrionaux désignaient sous le nom de snekkar (ser-
pents) ou de drakar (dragons), parce qu’à leurs proues étaient sculptées des figures
de ces animaux — fut pris d’une grande tristesse et qu’il pleura longtemps. Comme
parmi ceux qui l’entouraient il n’y avait personne qui osât l’interroger sur la cause de
ses larmes, il leur dit : « Mes fidèles, vous voulez savoir pourquoi je pleure. Ce n’est
« point parce que je crains que ces pirates me fassent quelque dommage, mais parce
" que, moi vivant, ils ont la hardiesse de se montrer dans nos eaux, et que je prévois
« les malheurs qu’ils causeront à mes successeurs et à leurs peuples. » Aussi, depuis
l’an 802, les capitulaires et les actes publics s’occupent presque sans relâche de l’or-
ganisation de mesures défensives sur les côtes de l’Empire. Tantôt ce sont des postes
militaires à établir aussi bien à l’embouchure des fleuves qui s’épanchent dans la
mer du Nord, dans la Manche, dans l’Atlantique, qu’à l’entrée de ceux qui déversent
leurs eaux dans la Méditerranée. Tantôt il s’agit de la construction de flottes que les
historiens voient sortir des chantiers établis sur l’Escaut, et se diriger par Gand vers
Boulogne, ancienne station de Garausius. Pour signaler, pendant la nuit, ce port de
refuge aux marins franks qui naviguent dans le détroit de la Manche, l’Empereur fait
réparer le vieux phare que Caligula y a fait construire. Il ordonne même la levée en
masse des districts maritimes où les cyules normandes peuvent aborder, et commine
des peines contre ceux qui. au premier appel, ne courront pas aux armes.
Les prévisions de Charlemagne ne tardent pas à se réaliser. En 820, une première
escadre de wikings, composée de treize navires, se présente sur les côtes de la
Flandre et essaye d’y opérer une descente. Mais elle est vigoureusement repoussée.
Alors elle tente de forcer l’entrée de la Seine. Repoussée de nouveau, elle réussit enfin
à aborder dans l’Aquitaine, d’où elle se retire avec un butin considérable.
A mesure que le désordre augmente dans l’Empire, les invasions des Normands
prennent un caractère de plus en plus acharné. Du reste, on comprend aisément
l’ardeur qui les poussait vers cette Gaule si plantureuse. Jetés par le ciel sous un cli-
mat âpre et rude et sur une terre ingrate dont ^eux mers rongent sans cesse les
côtes, que baigne une infinité de lacs et que sillonne une innombrable quantité de
fleuves et de rivières, ils étaient plus familiarisés encore avec l’eau qu’avec la terre.
Nourris des idées belliqueuses qui dominent dans le culte Scandinave, excités par
cette soif de gloire qu’entretenaient avec tant de soin les chants des scaldes *, poussés
1 Sæmundar Havamal, str. 76.