BAUDOUIN BRAS DE FER. —REGNIER AU LONG COU.
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sur les flots par la stérilité du sol natal, peut-être même forcés à l’expatriation,
comme plusieurs sources normandes semblent l’indiquer, par des coutumes ou des
prescriptions religieuses, analogues à celles qui, chez les Romains, déterminèrent
l’usage sabin du ver sacrum (printemps sacré), ils faisaient de l’Océan leur domaine,
des expéditions maritimes leur travail et du pillage leur moisson. Un navire était en
quelque sorte un fief dont l’équipage constituait les vassaux.
Ce qui servit à enhardir les rois de mer, ce furent d’abord les dissensions qui écla-
tèrent entre Louis le Débonnaire et ses fils. Aussi, après l’expédition de l’an 820, nous
voyons les pirates multiplier leurs descentes sur toutes les côtes occidentales de l’Eu-
rope. Après avoir, en 827, inquiété le littoral de l’Espagne, ils prennent terre en 830
dans la Bretagne et dans l’Aquitaine et pillent les îles deNoirmoutier et de Ré. De 833
à 837, ils assaillent la Frise, la Zeèlande, laFlandre et laFrance. Dans cet intervalle, ils
pillent trois fois la métropole commerciale du Rhin inférieur, la ville si célèbre alors de
Wyk-by-Duurstede. En 836, ils brûlent le bourg d’Anvers et saccagent celui deMalines.
La mort de Louis le Débonnaire et les luttes qui s’engagèrent entre les princes
carlovingiens donnèrent un nouvel encouragement à la fureur normande. La fameuse
bataille livrée le 25 juin-841 à Fontenay, près d'Auxerre, entre les quatre fils de
l’Empereur décédé, épuisa les forces de l’État. On dit que cent mille hommes, et
parmi eux la fleur des guerriers, y périrent. Les Franks sont désarmés, la défense des
côtes est abandonnée, et les pirates peuvent recommencer leurs courses. Us les re-
prennent en l’année même de la lutte fratricide de Fontenay. Deux flottes se présen-
tent à la fois dans la Seine et dans la Loire. L’une dévaste Bouen, met à sac le monas-
tère de Jumiéges et force celui de Fontanelle à se racheter du pillage. L’autre s’avance
jusque dans la Touraine, brûle Amboise, saccage Blois et se retire après avoir vaine-
ment assailli les remparts de Tours.
Trois années plus tard, le traité de Verdun* ayant définitivement détruit l’unité de
l’Empire et l’espoir d’une défense commune contre les Normands, une nouvelle flotte,
commandée par deux chefs, dont l un fut ce fameux Hasting qui occupe une si grande
place dans les chroniques normandes, et l’autre ce terrible Bjôrn qui reçut le surnom
d’Iernsida (Côte de Fer), parait dans la Loire, ravage Nantes, remonte ensuite le cours
de la Garonne et verse dans la Gascogne des hordes de déprédateurs qui la dévastent.
En 845, cent vingt navires entrent dans la Seine. Les Normands désolent tout le
territoire que traverse ce fleuve, pillent Paris, s’aventurent même vers le nord jus-
qu’aux sources de la Lys et ne consentent à se retirer qu’après avoir reçu de Charles
le Chauve une somme de sept mille livres pesant d’argent. Nous voyons ici la dynastie
carlovingienne réduite au rôle honteux des empereurs romains du ne et du me siècle,
qui achetaient la paix des Barbares1 2. Le moment était proche où elle allait faire un
pas de plus et assigner, dans l’empire même de Charlemagne, des terres aux pirates
1 On sait que, par ce traité, les trois fils de Louis le Débonnaire se partagèrent l’empire de
Charlemagne : Lothaire eut l’Italie et tout le territoire qui, situé entre les Alpes et le Rhône, le
Rhin, l’Escaut et la Meuse, fut appelé Lotharingie; Louis obtint la Germanie, c’est-à-dire tout ce
qui était à l’est du Rhin et au nord des Alpes : enfin Charles, dit le Chauve, tout ce qui se trouvait
à l’ouest du Rhône et de la Meuse.
2 Herodian. Histor. II, 2, 3 ; VI, 7, 2.
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sur les flots par la stérilité du sol natal, peut-être même forcés à l’expatriation,
comme plusieurs sources normandes semblent l’indiquer, par des coutumes ou des
prescriptions religieuses, analogues à celles qui, chez les Romains, déterminèrent
l’usage sabin du ver sacrum (printemps sacré), ils faisaient de l’Océan leur domaine,
des expéditions maritimes leur travail et du pillage leur moisson. Un navire était en
quelque sorte un fief dont l’équipage constituait les vassaux.
Ce qui servit à enhardir les rois de mer, ce furent d’abord les dissensions qui écla-
tèrent entre Louis le Débonnaire et ses fils. Aussi, après l’expédition de l’an 820, nous
voyons les pirates multiplier leurs descentes sur toutes les côtes occidentales de l’Eu-
rope. Après avoir, en 827, inquiété le littoral de l’Espagne, ils prennent terre en 830
dans la Bretagne et dans l’Aquitaine et pillent les îles deNoirmoutier et de Ré. De 833
à 837, ils assaillent la Frise, la Zeèlande, laFlandre et laFrance. Dans cet intervalle, ils
pillent trois fois la métropole commerciale du Rhin inférieur, la ville si célèbre alors de
Wyk-by-Duurstede. En 836, ils brûlent le bourg d’Anvers et saccagent celui deMalines.
La mort de Louis le Débonnaire et les luttes qui s’engagèrent entre les princes
carlovingiens donnèrent un nouvel encouragement à la fureur normande. La fameuse
bataille livrée le 25 juin-841 à Fontenay, près d'Auxerre, entre les quatre fils de
l’Empereur décédé, épuisa les forces de l’État. On dit que cent mille hommes, et
parmi eux la fleur des guerriers, y périrent. Les Franks sont désarmés, la défense des
côtes est abandonnée, et les pirates peuvent recommencer leurs courses. Us les re-
prennent en l’année même de la lutte fratricide de Fontenay. Deux flottes se présen-
tent à la fois dans la Seine et dans la Loire. L’une dévaste Bouen, met à sac le monas-
tère de Jumiéges et force celui de Fontanelle à se racheter du pillage. L’autre s’avance
jusque dans la Touraine, brûle Amboise, saccage Blois et se retire après avoir vaine-
ment assailli les remparts de Tours.
Trois années plus tard, le traité de Verdun* ayant définitivement détruit l’unité de
l’Empire et l’espoir d’une défense commune contre les Normands, une nouvelle flotte,
commandée par deux chefs, dont l un fut ce fameux Hasting qui occupe une si grande
place dans les chroniques normandes, et l’autre ce terrible Bjôrn qui reçut le surnom
d’Iernsida (Côte de Fer), parait dans la Loire, ravage Nantes, remonte ensuite le cours
de la Garonne et verse dans la Gascogne des hordes de déprédateurs qui la dévastent.
En 845, cent vingt navires entrent dans la Seine. Les Normands désolent tout le
territoire que traverse ce fleuve, pillent Paris, s’aventurent même vers le nord jus-
qu’aux sources de la Lys et ne consentent à se retirer qu’après avoir reçu de Charles
le Chauve une somme de sept mille livres pesant d’argent. Nous voyons ici la dynastie
carlovingienne réduite au rôle honteux des empereurs romains du ne et du me siècle,
qui achetaient la paix des Barbares1 2. Le moment était proche où elle allait faire un
pas de plus et assigner, dans l’empire même de Charlemagne, des terres aux pirates
1 On sait que, par ce traité, les trois fils de Louis le Débonnaire se partagèrent l’empire de
Charlemagne : Lothaire eut l’Italie et tout le territoire qui, situé entre les Alpes et le Rhône, le
Rhin, l’Escaut et la Meuse, fut appelé Lotharingie; Louis obtint la Germanie, c’est-à-dire tout ce
qui était à l’est du Rhin et au nord des Alpes : enfin Charles, dit le Chauve, tout ce qui se trouvait
à l’ouest du Rhône et de la Meuse.
2 Herodian. Histor. II, 2, 3 ; VI, 7, 2.