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C h à *.' I. Princessse vostre sœur, vous avez la bonté de me faire avoir les mesmes gratifications que je A
recevois pendant que j'ay exercé avec M. Aurelius& Pub. Minidius & Cn. Cornélius, la
commission qui m'avoit esté donnée pour la construction & entretenement des Balistes,
Scorpions & autres machines de guerre > je me sens obligé par tant de bienfaits qui m'ont -
mis Hors d'estat de craindre la necesïké pour le reste de mes jours, de les employer à écrire
Recette science avec d'autant plus deraisonque je vois que vous vous estes toujours plu à
faire bastir,& que vous continuez avec desTein d'achever plusieurs Edifices tant publics,
que particuliers, pour laisser à la posterité d'illustres monumens de. vos belles actions.
Ce Livre contient les desseins de plusieurs Edifices & tous les préceptes necessaires pour
atteindre à la perfection de l'Architecture afin que vous puisïiez juger vous-mesme de la
beauté des Edifices que vous avez faits 8c que vous ferez à l'avenir.
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I „ CHAPITRE: L,
Ce que dési que î Architecture : & quelles parties sont requises
en un Architecte.
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* T" 'À r c H it E c tur E est une science qui doit estre accompagnée d'une grande diver-*
M, 7 sité d'estudes &c de connoisTances par le moyen desquelles elle juge de tous les ouvra-
Féériea. ges des autres arts * qui luy appartiennent. 3 Cette science s'acquiert par la Pratique&c par la * *
Ratiotinatio. Théorie : La Pratique consiste dans une application continuelle à l'exécution des desTeins
que l'on s'est proposé, suivantlesquels la forme convenable est donnée à la matière dont
toutes sortes d'ouvrages se font. La Théorie explique & démontre la convenance des pro- C
portions que doivent avoir les choses que l'on veut fabriquer : cela fait que les Architectes
qui ont essayé de parvenir à la perfection de leur art parle seul exercice de la main, ne s'y
iont guère avancez , quelque grand qu ait esté leur travail, non plus que ceux qui ont cru
que la seule connoissance des lettres &lc seul rationnement les y pouvoit conduire ; car ils
n'en ont jamais vu que l'ombre: mais ceux qui ont joint la Pratique à la Théorie ont esté
les seuls qui ont reussl dans leur entreprise, comme s'estant Alunis de tout ce qui est necessai-
re pour en venir a bout.
Dans l'Architecture comme en toute autre science4 on remarque deux choses;celle qui est *
signifiée & celle qui signifie : La chose ilgnifiée est celle dont l'on traite, & celle qui lignifie
estlademonstration que'son en donne par leraisonnement soutenu de la science.C'estpour-
quoy il est necesfaire que l'Architecte connoisse l'une & l'autre parfaitement. Ainsiilfaut D
qu il soit ingénieux & laborieux tout ensemble;carresprit sans le travail, ny le travail sans
l'espritj ne rendirent jamais aucun ouvrier parfait. 5Il doit donc sçavoir écrire & desiîner, *
estre instruit dans la Geometrie,& n'estre pas ignorant de l'Optique,avoir appris l'Arithmé-
tique, & Ravoir beaucoup de l'Histoire, avoir bien étudié la Philosophie,avoir connoissan-
ce de la Musique,& quelque teinture de la Medecine,de la Jurisprudence & del'Astrologie.
i. L'architecture-est une Science. Cette définition
«e sèmble pas aslèz precise parce qu'elle n'explique que le nom
d'Architecture sélon le Grec, & elle luy attribue mesine une li-
gnification plus vague que n'est celle du mot Grec en luy donnant
la direction de toute sorte d'Ouvriers, dont il peut y avoir un
grand nombre qui ne sont point compris dans le mot TeBon, qui
ne fignifie que les ouvriers qui sont employez aux bastimens; Mais
l'intention de Vitruve a esté d'exagérer le merke & la dignité de
cette science, ainsi qu'il l'explique dans le reste du chapitre, 011 il
veut faire entendre que toutes les scier.ces sont neceiîàires à un
Architecte ; & en esfet l'Architecture est celle de toutes les seien-
ces à qui les Grecs ayent donné un nom qui signifie une sùpe-
riorité & une intendance sur les autres : & quand Ciceron donne
des exemples d'une (cience qui a une vaste étendue, il allègue l'Ar-
chitecture , la Médecine & la Morale. Platon a esté dans lemef-
me sentiment quand il a dit que la Grèce toute sçavante qu'elle
cstoit de son temps, aurait eu de la peine a fournir un Architecte.
z. Qu^i lut appartiennent. Ces mots ne sont point
expressement dans le texte, mais ils doivent y estre parce qu'is n'est
point vray que l'Architecture juge de tous les autres Arts, mais
seulement de ceux qui luy appartiennenf,& il n'est point croyable
■que Vitruve ait voulu pousser si avant la wiiange de l'Architecture.
j. Cette Science s'acquiert par la Pratique
et par la Théorie. Les mots de Fabrka&z de Rati<s-
cinatio de la manière que Vitruve les explique, ne pouvoient estre
autrement traduits que par Pratique & Théorie > pareeque raifin-
nement eft un mot trop general,& que Fabrique n'est pas François.
4. On Remarque deux choses. Je croy que Vitruve
entend par la chosê signifiée celle qui est considerée absolument
& Amplement telle qu'elle paroist estre, & par la chosè qui signi-
fie, celle qui fait que l'on connoist la nature interne d'une chosè
parles propres causês. Ainsi dans l'Architecture un Edifice qui
paroist bien basty est la chosè signifiée -, & les raisons qui font que
cet Edifice est bien basti sont la chosè qui signifie, c'est à dire qui
fait connoistre.quel est le mérite de l'ouvrage.
5.IL doit sçavoir ECRiRE.Jen'aypas cm devoir traduire
à la lettre le mot dé Literatus, qui signifie proprement celuy qui est
pourvéu d'une érudition non commune & qui sçait du moins la
Grammaire en perfection: Vitruve s'explique asfez là desîùs quand
il réduit toute cette literature de l'Architecte à estre capable de fair
re sès devis Se sès mémoires-, & quand il explique dans la suite lire"
ratut par feire literasqpi signifie sçavoir écrire-, & c'est en ce sèns
que Néron dit une fois, lorsqu'au commencement de son empire
on luy fit ligner une sentence de mort, vellem nesiire litterai.