DE M. D E VOLTAIRE. l8t
à peu-près six ; j’ai apporté deux yeux, j’en ai presque
perdu un; je n’avais point apporté d’érysipèle, et
j’en ai gagné un que je ménage beaucoup. Je n’ai pas
l’air d’un jeune homme à marier, mais je considère
que j’ai vécu près de soixante ans , que cela est fort
honnête, que Pafcal , Alexandre et Jefus - Christ
n’ont vécu qu’environ la moitié , et que tout le
monde n’est pas né pour aller dîner à l’autre bout
de Paris, à quatre-vingt-dix-huit ans, comme
Fontenelle. La nature a donné à ce qu’on appelle mon
ame, un étui des plus minces et des plus misérables.
Cependant, j’ai enterré presque tous mes médecins,
et jusqu’à la Métrie. 11 ne me manque plus que
d’enterrer Codénius, médecin du roi de Prude; mais
celui-là a la mine de vivre plus long-temps que
moi ; du moins , je ne mourrai pas de sa façon. Il me
donne quelquefois de longues ordonnances en alle-
mand , je les jette au feu , et je n’en suis pas plus mal.
C’est un fort bon homme , il en sait tout autant que
les autres ; et quand il voit que mes dents tombent,
et que je suis attaqué du seorbut, il dit que j’ai une
assection seorbutique. Il y a ici de grands philosophes
qui prétendent qu’on peut vivre aussi long-temps
que Mathusakm, en se bouchant tous les pores, et
en vivant comme un ver à soie dans sa coque ; car
nous avons à Berlin des vers à soie et des beaux
esprits transplantés. Je ne sais pas si ces manufactures'
làréussiront; tout ce que je sais, c’est que je ne suis
point du tout en état de voyager cet hiver. Je me suis
fait un printemps avec des poêles ; et quand le vrai
printemps sera revenu , je compte bien , si je suis en
vie, vous apporter monsquelette.Vous le disséquerca
M 3
à peu-près six ; j’ai apporté deux yeux, j’en ai presque
perdu un; je n’avais point apporté d’érysipèle, et
j’en ai gagné un que je ménage beaucoup. Je n’ai pas
l’air d’un jeune homme à marier, mais je considère
que j’ai vécu près de soixante ans , que cela est fort
honnête, que Pafcal , Alexandre et Jefus - Christ
n’ont vécu qu’environ la moitié , et que tout le
monde n’est pas né pour aller dîner à l’autre bout
de Paris, à quatre-vingt-dix-huit ans, comme
Fontenelle. La nature a donné à ce qu’on appelle mon
ame, un étui des plus minces et des plus misérables.
Cependant, j’ai enterré presque tous mes médecins,
et jusqu’à la Métrie. 11 ne me manque plus que
d’enterrer Codénius, médecin du roi de Prude; mais
celui-là a la mine de vivre plus long-temps que
moi ; du moins , je ne mourrai pas de sa façon. Il me
donne quelquefois de longues ordonnances en alle-
mand , je les jette au feu , et je n’en suis pas plus mal.
C’est un fort bon homme , il en sait tout autant que
les autres ; et quand il voit que mes dents tombent,
et que je suis attaqué du seorbut, il dit que j’ai une
assection seorbutique. Il y a ici de grands philosophes
qui prétendent qu’on peut vivre aussi long-temps
que Mathusakm, en se bouchant tous les pores, et
en vivant comme un ver à soie dans sa coque ; car
nous avons à Berlin des vers à soie et des beaux
esprits transplantés. Je ne sais pas si ces manufactures'
làréussiront; tout ce que je sais, c’est que je ne suis
point du tout en état de voyager cet hiver. Je me suis
fait un printemps avec des poêles ; et quand le vrai
printemps sera revenu , je compte bien , si je suis en
vie, vous apporter monsquelette.Vous le disséquerca
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