37$ RECUEIL DES LETTRES
LETTRE CXCL
A M. T H I R I 0 T.
Aux Délices, le 24 de mars.
Je ne vous ai point écrit, mon ancien ami, depuis
long-temps : je me suis fait maçon, charpentier,
jardinier; toute ma maison est renversée; et, malgré
tous mes efforts, je n’aurai pas de quoi loger tous
mes amis comme je voudrais. Rien ne sera prêt
pour le mois de mai ; il faudra absolument que nous
pallions deux mois à Frangin avec madame de
Fontaine, avant qu’on puilse habiter mes Délices. Ces
Délices sont à présent mon tourment. Nous sommes
occupés, madame Denis et moi, à faire bâtir dés
loges pour nos amis et pour nos poules. Nousfesons
saire des carrosses et des brouettes ; nous plantons
des orangers et des oignons , des tulipes et des
carottes; nous manquons de tout; il faut fonder
Carthage. Mon territoire n’est guère plus grand que
celui de ce cuir de bœuf, qu’on donna à la sugitive
Didon ; mais je ne l’agrandirai pas de même. Ma
maison est dans le territoire de Genève, et mon pré
dans celui de France. Il est vrai que j’ai à l’autre
bout du lac une maison qui est tout-à-fait en Suisse ;
elle est aussi un peu bâtie à la suille. Je l’arrange
en même temps que mes Délices ; ce sera mon palais
d’hiver, et la cabane où je suis à présent sera mon
palais d’été.
Frangin est un véritable palais ; mais l’architecte
LETTRE CXCL
A M. T H I R I 0 T.
Aux Délices, le 24 de mars.
Je ne vous ai point écrit, mon ancien ami, depuis
long-temps : je me suis fait maçon, charpentier,
jardinier; toute ma maison est renversée; et, malgré
tous mes efforts, je n’aurai pas de quoi loger tous
mes amis comme je voudrais. Rien ne sera prêt
pour le mois de mai ; il faudra absolument que nous
pallions deux mois à Frangin avec madame de
Fontaine, avant qu’on puilse habiter mes Délices. Ces
Délices sont à présent mon tourment. Nous sommes
occupés, madame Denis et moi, à faire bâtir dés
loges pour nos amis et pour nos poules. Nousfesons
saire des carrosses et des brouettes ; nous plantons
des orangers et des oignons , des tulipes et des
carottes; nous manquons de tout; il faut fonder
Carthage. Mon territoire n’est guère plus grand que
celui de ce cuir de bœuf, qu’on donna à la sugitive
Didon ; mais je ne l’agrandirai pas de même. Ma
maison est dans le territoire de Genève, et mon pré
dans celui de France. Il est vrai que j’ai à l’autre
bout du lac une maison qui est tout-à-fait en Suisse ;
elle est aussi un peu bâtie à la suille. Je l’arrange
en même temps que mes Délices ; ce sera mon palais
d’hiver, et la cabane où je suis à présent sera mon
palais d’été.
Frangin est un véritable palais ; mais l’architecte