sentait des maisons de campagne, des portiques, des arbrisseaux taillés, des bois sacrés, des parcs,
des collines, des viviers, des canaux, des rivières, des rivages, tout ce qu'on désirait; il figurait des
gens qui se promènent, qui naviguent, qui vont à la maison sur des ânes ou en voiture ; d'autres
qui pèchent, qui chassent, qui tendent des filets aux oiseaux, ou bien qui font la vendange. On
voit aussi dans ses peintures des maisons entourées de marécages avec des hommes qui portent des
femmes sur leurs épaules et s'avancent en chancelant, et une foule d'autres tableaux de genre très-
spirituellement faits. C'est lui aussi qui a imaginé de peindre dans les promenades découvertes
des tableaux de marine d'un aspect très-agréable et à des prix très-modérés. »
Nous ne pouvons vérifier les éloges de Pline, puisque nous n'avons pas de peinture de Ludius,
mais il est probable que les paysages, trouvés en assez grand nombre sur les murs des maisons de
Pompéi, nous donnent une idée de sa manière. Il ne faut songer ni aux paysages de Ruysdael ou
de Claude Lorrain, ni aux marines de Vernet ; il faudrait plutôt chercher des termes de compa-
raison dans la peinture décorative des Chinois ou des Japonais, qui ne connaissent pas non plus la
perspective linéaire ni la perspective aérienne. Je crois, comme je l'ai dit plus haut, que les peintres
anciens n'étaient pas coloristes dans le sens que nous attribuons à ce mot quand nous l'appliquons
à Rubens ou à Rembrandt, à Titien ou à Véronèse ; cependant la couleur entrait comme élément
dans les créations artistiques de l'antiquité ; seulement elle y jouait un tout autre rôle que chez nous.
La polychromie intérieure et extérieure des édifices, et même des statues, ne peut plus être con-
testée aujourd'hui pour aucune des périodes de l'art antique. Un partisan des vieilles théories clas-
siques et académiques reculerait d'effroi devant cette polychromie éclatante, il fermerait les yeux
comme devant un discordant bariolage ; mais en revanche, si un ancien était transporté, pour son
malheur, dans une de nos villes modernes, il mourrait d'ennui devant la lugubre monotonie de nos
édifices monochromes, et ce qui l'étonnerait le plus serait d'apprendre que ceux qui les construisent
et ceux qui les admirent se regardent comme les héritiers directs et les fidèles défenseurs de la
tradition antique. La polychromie a été admise dans l'antiquité comme elle l'a été au moyen âge,
comme elle l'est encore en Orient ; ce n'est que depuis le XVIIe siècle que l'Europe s'est habituée
à vivre sous un éteignoir.
La vraie peinture de paysage, celle qui se propose pour objet principal l'étude des effets de
lumière et des décolorations atmosphériques, est un art moderne. On peut néanmoins, d'après des
œuvres purement décoratives, comme les tentures de la Chine et du Japon, ou les fresques de
Pompéi, se faire une idée de l'aspect d'un pays et de la manière dont ses habitants ont aimé et
compris la nature'. C'est une erreur de croire que l'antiquité, uniquement préoccupée du style, a
méconnu ou négligé le pittoresque. Ce qui est vrai, c'est qu'elle savait associer ces deux éléments
de l'art, au lieu de les opposer l'un à l'autre. L'architecture des temples se mariait avec les rochers
et les collines, avec les bois sacrés et les horizons de la mer. Les temples étaient les symboles
visibles de l'autonomie des communes ; au milieu du paysage qui leur servait de cadre, et qui était
la patrie, on les apercevait de loin, fièrement campés sur le piédestal des acropoles, comme des
étendards. Dans les campagnes, à côté d'un vieil arbre consacré par quelque légende, s'élevait
une humble chapelle, une colonne, un tombeau, un hermès entouré de guirlandes de feuilles, un
autel rustique chargé de fruits. Ces motifs champêtres sont souvent reproduits dans les peintures
antiques, et les figures qui les animent, que ce soient des bergers apportant une offrande, ou des
satyres dansant avec des nymphes, semblent toujours dans le milieu qui leur convient. L'idéal et le
réel se confondaient dans la vie antique. Le temple de marbre dominant la cité et la chapelle à
l'ombre d'un bosquet solitaire éveillaient dans l'âme les mêmes sentiments de joie religieuse et
de liberté sereine, au sein de la bienveillante nature.
Dans tous les monuments antiques dont on a retrouvé les ruines, la toiture et les parties supé-
rieures ont disparu; mais les architectes qui font des projets de restauration peuvent trouver d'utiles
renseignements dans les peintures de Pompéi. Dans les édifices qu'on y voit représentés, il est
bien rare que les antéfixes manquent au bord des toits et les acrotères aux angles des frontons. Ces
ornements, qui servaient à rompre d'une manière très-variée l'uniformité des grandes lignes, ont été
presque toujours omis par les modernes, qui ont imité ou cru imiter les formes de l'architecture
des collines, des viviers, des canaux, des rivières, des rivages, tout ce qu'on désirait; il figurait des
gens qui se promènent, qui naviguent, qui vont à la maison sur des ânes ou en voiture ; d'autres
qui pèchent, qui chassent, qui tendent des filets aux oiseaux, ou bien qui font la vendange. On
voit aussi dans ses peintures des maisons entourées de marécages avec des hommes qui portent des
femmes sur leurs épaules et s'avancent en chancelant, et une foule d'autres tableaux de genre très-
spirituellement faits. C'est lui aussi qui a imaginé de peindre dans les promenades découvertes
des tableaux de marine d'un aspect très-agréable et à des prix très-modérés. »
Nous ne pouvons vérifier les éloges de Pline, puisque nous n'avons pas de peinture de Ludius,
mais il est probable que les paysages, trouvés en assez grand nombre sur les murs des maisons de
Pompéi, nous donnent une idée de sa manière. Il ne faut songer ni aux paysages de Ruysdael ou
de Claude Lorrain, ni aux marines de Vernet ; il faudrait plutôt chercher des termes de compa-
raison dans la peinture décorative des Chinois ou des Japonais, qui ne connaissent pas non plus la
perspective linéaire ni la perspective aérienne. Je crois, comme je l'ai dit plus haut, que les peintres
anciens n'étaient pas coloristes dans le sens que nous attribuons à ce mot quand nous l'appliquons
à Rubens ou à Rembrandt, à Titien ou à Véronèse ; cependant la couleur entrait comme élément
dans les créations artistiques de l'antiquité ; seulement elle y jouait un tout autre rôle que chez nous.
La polychromie intérieure et extérieure des édifices, et même des statues, ne peut plus être con-
testée aujourd'hui pour aucune des périodes de l'art antique. Un partisan des vieilles théories clas-
siques et académiques reculerait d'effroi devant cette polychromie éclatante, il fermerait les yeux
comme devant un discordant bariolage ; mais en revanche, si un ancien était transporté, pour son
malheur, dans une de nos villes modernes, il mourrait d'ennui devant la lugubre monotonie de nos
édifices monochromes, et ce qui l'étonnerait le plus serait d'apprendre que ceux qui les construisent
et ceux qui les admirent se regardent comme les héritiers directs et les fidèles défenseurs de la
tradition antique. La polychromie a été admise dans l'antiquité comme elle l'a été au moyen âge,
comme elle l'est encore en Orient ; ce n'est que depuis le XVIIe siècle que l'Europe s'est habituée
à vivre sous un éteignoir.
La vraie peinture de paysage, celle qui se propose pour objet principal l'étude des effets de
lumière et des décolorations atmosphériques, est un art moderne. On peut néanmoins, d'après des
œuvres purement décoratives, comme les tentures de la Chine et du Japon, ou les fresques de
Pompéi, se faire une idée de l'aspect d'un pays et de la manière dont ses habitants ont aimé et
compris la nature'. C'est une erreur de croire que l'antiquité, uniquement préoccupée du style, a
méconnu ou négligé le pittoresque. Ce qui est vrai, c'est qu'elle savait associer ces deux éléments
de l'art, au lieu de les opposer l'un à l'autre. L'architecture des temples se mariait avec les rochers
et les collines, avec les bois sacrés et les horizons de la mer. Les temples étaient les symboles
visibles de l'autonomie des communes ; au milieu du paysage qui leur servait de cadre, et qui était
la patrie, on les apercevait de loin, fièrement campés sur le piédestal des acropoles, comme des
étendards. Dans les campagnes, à côté d'un vieil arbre consacré par quelque légende, s'élevait
une humble chapelle, une colonne, un tombeau, un hermès entouré de guirlandes de feuilles, un
autel rustique chargé de fruits. Ces motifs champêtres sont souvent reproduits dans les peintures
antiques, et les figures qui les animent, que ce soient des bergers apportant une offrande, ou des
satyres dansant avec des nymphes, semblent toujours dans le milieu qui leur convient. L'idéal et le
réel se confondaient dans la vie antique. Le temple de marbre dominant la cité et la chapelle à
l'ombre d'un bosquet solitaire éveillaient dans l'âme les mêmes sentiments de joie religieuse et
de liberté sereine, au sein de la bienveillante nature.
Dans tous les monuments antiques dont on a retrouvé les ruines, la toiture et les parties supé-
rieures ont disparu; mais les architectes qui font des projets de restauration peuvent trouver d'utiles
renseignements dans les peintures de Pompéi. Dans les édifices qu'on y voit représentés, il est
bien rare que les antéfixes manquent au bord des toits et les acrotères aux angles des frontons. Ces
ornements, qui servaient à rompre d'une manière très-variée l'uniformité des grandes lignes, ont été
presque toujours omis par les modernes, qui ont imité ou cru imiter les formes de l'architecture