LE CHARIVARI.
de se répandre, de se généraliser dans la Lombardie
ou à Venise, c'était frayer la route aux constitutions.
M. de Metternich a découvert, grâces à sa police, que
les débardeurs forment une franc-maçonnerie dont
la îôge-mèrè à dans Paris son siège principal au bal
de l'Opéra, et que de là elle envoie des émissaires
pour révolutionner l'Europe.
On a expédié à la chancellerie de Vienne un
exemplaire des statuts de la société secrète des débar-
deurs. Il paraît, d'après ce document, que ces sectaires,
non contens de s'attaquer aux gouternemens établis,
veulent aussi renverser la religion, et qu'ils ont un
Dieu tout prêt pour le substituer à l'ancien. Cette di-
vinité porterait le nom bizarre de Musard. Ces dé-
couvertes ont rempli d'horreur et de surprise l'âme
de M. de Metternich.
Pour couper le mal dans sa racine, et empêcher
leâ affiliés de se réunir, le cabinet autrichien a fait
défense à ses sujets lombards et vénitiens de se livrer
à la célébration du carnaval. Afin d'atteindre les dé-
bardeurs, on proscrit également les pierrots, les ar-
lequins, les turcs, les bergers. Le domino lui-mê-
me, si calme, si modéré, disons-le même, si ami du
statu quo en toutes choses, le domino est mis au
rang des suspects, et devient séditieux aux yeux de
M. de Metternich.
Il n'y aura donc pas de carnaval à Venise.
Depuis que cette ville existe, c'est la première fois
qu'un tel événement a lieu. Aussi il faut voir la tris-
tesse de tous les habitans. C'est comme si on démo-
lissait une seconde fois le Bucentaure. Venise perd
sa dernière indépendance, son fantôme de liberté* A
dater d'aujourd'hui, il n'y a vraiment plus de Ve-
nise.
Une députation de notables vénitiens s'est rendu
à Vienne pour obtenir la révocation d'un arrêt si
barbare. L'empereur a refusé de l'admettre en sa
présence , et M. de Metternich lui a fait dire que
toutes ses démarches seraient inutiles , attendu que
l'Autriche était b:cn décidée une fois pour toutes à
en finir avec les débardeurs.
Les députés, n'osant pas rentrer dans leurs mal-
heureuse patrie , sont venus passer le carnaval à
Paris.
Les Lombards prendront mieux les choses. On est
généralement assez peu disposé à s'amuser à Milan,
rit il est d'ailleurs fort peu agréable de promener
des mascarades entre deux haies de soldats prêts à
faire feu au premier signal. D'ailleurs, depuis long-
temps les Milanais ne vont plus au théâtre ni au bal.
Tout porte à croire qu'ils se seraient interdits eux-
mêmes les réjouissances du carnaval, lors même que
M. de Metternich n'aurait pas cru devoir se charger
de ce soin. On ne danse pas avec des chaînes.
Voyez pourtant comme il est doux de vivre sous
ce qu'on appelle un gouvernement paternel ! Il ne
vous est pas même permis de vous habiller en arle-
quin si la fantaisie vous en prend pendant les jours
gras. Si vous outrepassez la défense, les entrailles
paternelles du directeur de la police s'émeuvent, et
l'on vous envoie paternellement réfléchir pendant
une dixaine d'années au Spielberg. C'est aussi ce
qu'on appelle sans doute une correction paternelle
dans la langue des Radetski.
LA RÉFORME CHEZ LES ARTISTES.
■ La réforme, en faisant son tour de France, a vi-
sité le domaine en friche des beaux-arts.
C'est que toutes les libertés sont solidaires; qui en
menace une, les menace toutes.Les empiétemens des
cabinets ne sauraient être partiels : considérez le
corps politique, le corps savant et le corps artistique,
vous les trouverez tous étroitement serrés par une
seule et même chaîne.
Aussi quand l'un a fait entendre le Cri de réforme,
les autres ont dû faire écho : après la protestation
pour la liberté de réunion, la protestation pour la li-
berté d'enseignement; aujourd'hui c'est la protesta-
tion pour la liberté des arts.
Et c eci est plus grave qu'on ne pense.
La famille des artistes, politiquement parlant, est
tolérante et insoucieuse : vouée tout entière aux spé-
culations poétiques, elle n'a de préoccupations so-
ciales que celles qui lui sont suggérées presque à son
insu. Si elle reflète sans le vouloir, avec cet instinct
merveilleux qu'on appelle génie, les formes saillantes
du siècle, c'est qu'elle a subi sans le savoir les évolu-
tions caractéristiques de la société.
Aussi, quand elle prend quelque initiative, il en
faut tenir compte; car, sans nul doute, un puissant
mobile a dû soulever cette masse indolente, une
question de vie et" le mort s'est dressée devant elle,
palpable, menaçante et impossible à nier.
Tel est, en effet, le motif de la brochure publiée
récemment, par une réunion d'artistes, sous ce titre:
De Vexposition el du jury. Ecoutez-les plutôt eux-
mêmes :
«La position des artistes peintres, sculpteurs, gra-
» veurs, etc., est-elle ce qu'elle peut et doit être
» dans l'état actuel de la société ?
» Non, évidemment, car l'immense majorité se
» plaint, souffre, est entravée dans l'exercice de sa
» profession et réclame avec instances, depuis un
» grand nombre d'années, la réforme d'abus qui
» deviennent de plus en plus insupportables. »
Ces abus, vous les devinez sans peine : ce sont les
inepties du jury, la mauvaise direction des musées,
les slupides sympathies du pouvoir, enfin les inex-
plicables distributions de récompenses nationales,
croix, médailles et travaux.
Les auteurs font d'abord une histoire du jury de-
puis la constitution de la maîtrise qui fut le premier
des jurys en 1391.
Dans ce récit naïf et scrupuleux, on voit le despo-
tisme d'une minorité privilégiée peser incessamment
sur la corporation entière.
Toujours et partout les mêmes causes produisant
les mêmes effets, on admire comment la médiocrité
prime en tout temps le génie, et l'on est forcé de
v conclure avec les auteurs : a Qu'après tant de siècles
» d'oppression il est temps d'accorder des instilu-
» tions plus libérales à ce que l'on appelle dérisoi-
» rement la république des beaux-arts ;—que l'heure
» des réformes, des concessions justes et salutaires a
» sonné,—enfin, que vouloir s'y refuser, quand I'or-
» dre social est si profondément modifié, serait inique
» et dangereux. »
Malheureusement les auteurs, en posant les bases
d'une institution nouvelle, retombent dan3 le vice
originel du jury qu'ils combattent ; car ils en recon-
naissent la nécessité.
Soyez donc conséquens jusqu'au bout, mes amis ;
la liberté ne veut pas de jury d'admission, elle ac-
cepte simplement un jury de classement qui dispose
rait les tableaux par ordre de mérite, sauf rectifica-
tion de la part du public. Le principe électif appli-
qué à votre jury est un progrès assurément, mais 1
ne suffit pas encore. Soyez bien assurés que l'ad-
mission n'étant plus une faveur, mais un droit, 01
n'en^usera pas sans être fort de sa conscience, et qu
les nullités disparaîtront de la lice, quand il s'agir!
non plus de s'y faire admettre mais de s'y tair
juger.
La liberté de l'art, messieurs, c'est le palladiur
de sa dignité. (
La preuve en est à l'exposition B<mrre~ftmivell<
Celle-là n'est pas soumise au jury. Eh biefl, <PP
moi un tableau nul fourni par l'école moderne, '
je vous accorde deux jurys si vous roulez, et je le
déclare même infaillibles.
Au reste, on ne peut qu'applaudir à la d«mand
d'un local spécial affecté aux eiçosHioa»; non» »«»
dit, le mois passé, combien soufffakat les ancien
de se répandre, de se généraliser dans la Lombardie
ou à Venise, c'était frayer la route aux constitutions.
M. de Metternich a découvert, grâces à sa police, que
les débardeurs forment une franc-maçonnerie dont
la îôge-mèrè à dans Paris son siège principal au bal
de l'Opéra, et que de là elle envoie des émissaires
pour révolutionner l'Europe.
On a expédié à la chancellerie de Vienne un
exemplaire des statuts de la société secrète des débar-
deurs. Il paraît, d'après ce document, que ces sectaires,
non contens de s'attaquer aux gouternemens établis,
veulent aussi renverser la religion, et qu'ils ont un
Dieu tout prêt pour le substituer à l'ancien. Cette di-
vinité porterait le nom bizarre de Musard. Ces dé-
couvertes ont rempli d'horreur et de surprise l'âme
de M. de Metternich.
Pour couper le mal dans sa racine, et empêcher
leâ affiliés de se réunir, le cabinet autrichien a fait
défense à ses sujets lombards et vénitiens de se livrer
à la célébration du carnaval. Afin d'atteindre les dé-
bardeurs, on proscrit également les pierrots, les ar-
lequins, les turcs, les bergers. Le domino lui-mê-
me, si calme, si modéré, disons-le même, si ami du
statu quo en toutes choses, le domino est mis au
rang des suspects, et devient séditieux aux yeux de
M. de Metternich.
Il n'y aura donc pas de carnaval à Venise.
Depuis que cette ville existe, c'est la première fois
qu'un tel événement a lieu. Aussi il faut voir la tris-
tesse de tous les habitans. C'est comme si on démo-
lissait une seconde fois le Bucentaure. Venise perd
sa dernière indépendance, son fantôme de liberté* A
dater d'aujourd'hui, il n'y a vraiment plus de Ve-
nise.
Une députation de notables vénitiens s'est rendu
à Vienne pour obtenir la révocation d'un arrêt si
barbare. L'empereur a refusé de l'admettre en sa
présence , et M. de Metternich lui a fait dire que
toutes ses démarches seraient inutiles , attendu que
l'Autriche était b:cn décidée une fois pour toutes à
en finir avec les débardeurs.
Les députés, n'osant pas rentrer dans leurs mal-
heureuse patrie , sont venus passer le carnaval à
Paris.
Les Lombards prendront mieux les choses. On est
généralement assez peu disposé à s'amuser à Milan,
rit il est d'ailleurs fort peu agréable de promener
des mascarades entre deux haies de soldats prêts à
faire feu au premier signal. D'ailleurs, depuis long-
temps les Milanais ne vont plus au théâtre ni au bal.
Tout porte à croire qu'ils se seraient interdits eux-
mêmes les réjouissances du carnaval, lors même que
M. de Metternich n'aurait pas cru devoir se charger
de ce soin. On ne danse pas avec des chaînes.
Voyez pourtant comme il est doux de vivre sous
ce qu'on appelle un gouvernement paternel ! Il ne
vous est pas même permis de vous habiller en arle-
quin si la fantaisie vous en prend pendant les jours
gras. Si vous outrepassez la défense, les entrailles
paternelles du directeur de la police s'émeuvent, et
l'on vous envoie paternellement réfléchir pendant
une dixaine d'années au Spielberg. C'est aussi ce
qu'on appelle sans doute une correction paternelle
dans la langue des Radetski.
LA RÉFORME CHEZ LES ARTISTES.
■ La réforme, en faisant son tour de France, a vi-
sité le domaine en friche des beaux-arts.
C'est que toutes les libertés sont solidaires; qui en
menace une, les menace toutes.Les empiétemens des
cabinets ne sauraient être partiels : considérez le
corps politique, le corps savant et le corps artistique,
vous les trouverez tous étroitement serrés par une
seule et même chaîne.
Aussi quand l'un a fait entendre le Cri de réforme,
les autres ont dû faire écho : après la protestation
pour la liberté de réunion, la protestation pour la li-
berté d'enseignement; aujourd'hui c'est la protesta-
tion pour la liberté des arts.
Et c eci est plus grave qu'on ne pense.
La famille des artistes, politiquement parlant, est
tolérante et insoucieuse : vouée tout entière aux spé-
culations poétiques, elle n'a de préoccupations so-
ciales que celles qui lui sont suggérées presque à son
insu. Si elle reflète sans le vouloir, avec cet instinct
merveilleux qu'on appelle génie, les formes saillantes
du siècle, c'est qu'elle a subi sans le savoir les évolu-
tions caractéristiques de la société.
Aussi, quand elle prend quelque initiative, il en
faut tenir compte; car, sans nul doute, un puissant
mobile a dû soulever cette masse indolente, une
question de vie et" le mort s'est dressée devant elle,
palpable, menaçante et impossible à nier.
Tel est, en effet, le motif de la brochure publiée
récemment, par une réunion d'artistes, sous ce titre:
De Vexposition el du jury. Ecoutez-les plutôt eux-
mêmes :
«La position des artistes peintres, sculpteurs, gra-
» veurs, etc., est-elle ce qu'elle peut et doit être
» dans l'état actuel de la société ?
» Non, évidemment, car l'immense majorité se
» plaint, souffre, est entravée dans l'exercice de sa
» profession et réclame avec instances, depuis un
» grand nombre d'années, la réforme d'abus qui
» deviennent de plus en plus insupportables. »
Ces abus, vous les devinez sans peine : ce sont les
inepties du jury, la mauvaise direction des musées,
les slupides sympathies du pouvoir, enfin les inex-
plicables distributions de récompenses nationales,
croix, médailles et travaux.
Les auteurs font d'abord une histoire du jury de-
puis la constitution de la maîtrise qui fut le premier
des jurys en 1391.
Dans ce récit naïf et scrupuleux, on voit le despo-
tisme d'une minorité privilégiée peser incessamment
sur la corporation entière.
Toujours et partout les mêmes causes produisant
les mêmes effets, on admire comment la médiocrité
prime en tout temps le génie, et l'on est forcé de
v conclure avec les auteurs : a Qu'après tant de siècles
» d'oppression il est temps d'accorder des instilu-
» tions plus libérales à ce que l'on appelle dérisoi-
» rement la république des beaux-arts ;—que l'heure
» des réformes, des concessions justes et salutaires a
» sonné,—enfin, que vouloir s'y refuser, quand I'or-
» dre social est si profondément modifié, serait inique
» et dangereux. »
Malheureusement les auteurs, en posant les bases
d'une institution nouvelle, retombent dan3 le vice
originel du jury qu'ils combattent ; car ils en recon-
naissent la nécessité.
Soyez donc conséquens jusqu'au bout, mes amis ;
la liberté ne veut pas de jury d'admission, elle ac-
cepte simplement un jury de classement qui dispose
rait les tableaux par ordre de mérite, sauf rectifica-
tion de la part du public. Le principe électif appli-
qué à votre jury est un progrès assurément, mais 1
ne suffit pas encore. Soyez bien assurés que l'ad-
mission n'étant plus une faveur, mais un droit, 01
n'en^usera pas sans être fort de sa conscience, et qu
les nullités disparaîtront de la lice, quand il s'agir!
non plus de s'y faire admettre mais de s'y tair
juger.
La liberté de l'art, messieurs, c'est le palladiur
de sa dignité. (
La preuve en est à l'exposition B<mrre~ftmivell<
Celle-là n'est pas soumise au jury. Eh biefl, <PP
moi un tableau nul fourni par l'école moderne, '
je vous accorde deux jurys si vous roulez, et je le
déclare même infaillibles.
Au reste, on ne peut qu'applaudir à la d«mand
d'un local spécial affecté aux eiçosHioa»; non» »«»
dit, le mois passé, combien soufffakat les ancien
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le charivari
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
R 1609 Folio RES
Objektbeschreibung
Kommentar
unidentifizierte Signatur Diolot?
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1848
Entstehungsdatum (normiert)
1843 - 1853
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le charivari, 17.1848, Février (No. 32-59), S. 210
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg