Le charivari (62.1893)

PLEIN-AIR

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— Pas gaie, décidément, la campagne; c’que je m’y embête !

— C’est toi qui as voulu y venir, ma chère ; tu ne peux t’en prendre qu’à toi.

— C’est justement c’qui m’agace.

UNE VÉNUS AU JUGER

En arrivant à l'Hôtel de la Plage, ça avait déjà
bien commencé.

D’abord, à table d’hôte, on avait placé ce pauvre
Oscar Faribol, qui recherche toujours le voisinage
des jolies femmes, à côté d'une robuste dame, une
espèce de carabinier en jupons,, moustachue en
diable, le teint couperosé, le nez en trompette, et,
avec cela, prétentieuse, bien qu’elle fût d’âge à avoir
Pris sa retraite depuis longtemps.

Oscar espérait être plus heureux en voisine de
Cambre.

HorreurI encore le carabinier!

— Enfin, se dit-il avec un soupir, sur la plage, il
j'j* de jolies femmes; j’irai flirter par-là, puisqu’ici
d’y faut pas songer.

Comme compensation à ses déboires, il eut une
Ve>ne inespérée dans le choix de sa cabine de bain.

H Put louer, pour la quinzaine, le numéro 37, bien
c°nnu des amateurs et rarement vacant d’ordi-
naire.

Cette cabine est séparée de sa voisine, le nu-
éro 34, par une cloison très mince, dans laquelle
impudent personnage a pratiqué, sans ver-
8ne’ Une fente imperceptible, mais suffisante. ,

Quels horizons voluptueux on découvre parfois 1

A l’heure du bain, Oscar entra dans sa cabine.

D’un coup d’œil, il constata que celle d’à côté ôtait
occupée par une femme; des jupes pendaient aux
patères.

La maîtresse de cette toilette était en train de
prendre son bain. Oscar l’attendit impatiemment;
il lui tardait de savoir si le hasard, cette fois, avait
bien fait les choses. Un claquement de porte avertit
l’indiscret que la dame rentrait.

Oscar entendit, un instant après, le sifflement pro-
duit par le costume mouillé glissant sur le corps.

Il risqua un œil par l’ouverture et resta ébloui.

C’était une vénus, une véritable vénus qu'il avait
pour voisine, une créature aux formes opulentes,
son idéal à lui.

Tout ce qu’il en voyait était exquis, et il en voyait
à peu près tout, de la nuque aux jarrets.

C'était suffisant. 11 ne pouvaitapercevoir les traits,
la tête dépassant son champ de vision.

Mais que lui importait? Les traits, il allait les voir
tout à l'heure, lorsque la sculpturale voisine sorti-
rait de sa cabine. Et il attendit patiemment qu’elle
s’habillât, guettant sa sortie.

Mais sa vigilance fut mise en défaut; l’inconnue
s’esquiva sans qu'il la vit franchir le seuil de sa
cabine.

Une fois dans la foule des baigneuses, comment
la deviner sous le costume voilant les trésors entre-
• vas?

Trois jours de suite, il put contempler à loisir
leur suave apparition; mais, chaque fois, il ne fut pas
plus heureux lorsqu’il voulut la voir à sa sortie.

Ce contretemps ne faisait qu’exciter davantage
Oscar. La nuit, il rêvait de sa belle inconnue aux
formes opulentes.

Le quatrième jour, n’y tenant plus, il griffonna un
billet :

« Madame, je vous ai vue, je vous adore. Ayez
pitié de mon martyre, venez ce soir à huit heures
devant l’établissement.

« Un amoureux. »

Et il le lança par-dessus la cloison.

Le soir, Oscar attendait, fidèle au rendez-vous,
lorsqu’il entendit derrière lui une voix essoufflée
chuchoter à son oreille :

— Monsieur, vous m’avez vue par la fente, moi
aussi !... Je vous plais, vous me plaisez 1.. Aimons-
nous !

Oscar se retourna.

L’infortuné recula terrifié.

La vénus, c'était la grosse dame moustachue, son
cauchemar I

Il s’enfuit épouvanté.

Jules Demollibns.

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