CROQUIS DE CHASSE
231
Oh! des robes de foulard ou de batiste écrue de
la simplicité la plus touchante, jamais la même
d’ailleurs, pas un soupçon de poudre sur ses joues
roses et fermes, pas l’ombre d’un parfum dans ses
cheveux d’un beau châtain doré... Meyrand déteste
ça : rien qui puisse rappeler au vieux banquier
primé au foyer de la danse la femme entretenue, la
loge des étoiles, Paris et les coulisses où il est
adoré.
Mlle Marthe, elle, sent la fraîcheur du tub, la jeu-
nesse et la santé : sa chair de fille vierge ne connaît
ni les fards ni les subtiles essences, mais laisse
aux lèvres comme un goût de framboises, et le frais
du feuillage est dans ses doigts légers.
Et ce gros libertin de Meyrand donnera ses mil-
lions, son château de Chaville dans l’Oise, de Vau-
dreuil en Anjou, son chalet de Cabourg et sa villa
de Nice et même la galerie de son hôtel de l’avenue
ï’riedland pour une étreinte consentie de ces petits
doigts froids, pour le don de ces lèvres acceptant
de l’aimer...
Aussi, malgré son presque million de dot, la main
de Mlle Marthe Hérard, la nièce du gros Meyrand,
ftobber et Cie, n’est-elle pas encore, sinon deman-
dée, accordée.
***
Mais là-bas, au fond du parc, monte comme un
Ardent effluve : une odeur d’amour et de terre échauf-
fée. Ce sont, dépoitraillés, la chemise trempée sur
la chair suante, une troupe de faucheurs qui traver-
sent le parc. Harassés et joyeux, ils passent juste
au pied de la terrasse, et leurs cheveux poussié-
reux, leurs moustaches trop blondes se détachent
en clair sur leurs faces hâlées.
Au bois chante un oiseau,
Son chant vous arrête
Et vous fait rougir!
Au bois est un cadran, fillette,
Qui sonne l'heure du désir!
Il est au bois des fondrières
Et des chevreuils dans les clairières!
Il est une chapelle au bois
Où le prêtre va quelquefois
Mais c’est plus rare!
Il est au bois dans le hallier
Des saltimbanques en costume
Qui font des gestes dans la brume
Et qui s’en vont avec des voix,
Ohé, adieu! au fond des bois!
Au bois, au fond des bois, enfin,
Il est, quand on a soif et faim,
Et que l’âme triste est bien lasse,
Il est quelqu’un de méchant qui vous chasse.
Et la voix un peu rauque, mais prenante pourtant,
s’éteint dans le lointain; les faucheurs ont passé.
&
•**
Au bois est un cadran, fillette,
Qui sonne l’heure du désir 1
La robe mauve s’est inconsciemment arrêtée; les
bras ballants, elle a lâché le pan de sa jupe mince
etmolle, et les iris rares, les roses jaunes, les oeillets
jaspés, toute l'odorante et merveilleuse gerbe jon-
che maintenant le clair parquet.
— Est-ce que Pierre a attelé? demande-t-elle enfin
à la femme de chambre.
— Attelé! mais mademoiselle n’y songe pas, il est
parti depuis une heure ; monsieur sera là dans vingt
minutes.
— Ah!
Et silencieusement, avec ses mêmes lenteurs et
ses mêmes gestes calmes, la robe mauve ramasse
les précieux iris, les fastueuses roses jaunes, les
beaux œillets de luxe.
Par les portes-fenêtres, grandes ouvertes, l’odeur
du jasmin pénétrait et entêtait, plus forte : c’était le
soir; des étoiles de cire tremblaient sur le ciel
bleu, fleurettes fanées au cadre des fenêtres, et sur
la terrasse les grands pavots mauve et rose passé,
pétales de soie sur de longues tiges glauques, se
dressaient immobiles... fleurs mortes.
Jean Lorrain.
231
Oh! des robes de foulard ou de batiste écrue de
la simplicité la plus touchante, jamais la même
d’ailleurs, pas un soupçon de poudre sur ses joues
roses et fermes, pas l’ombre d’un parfum dans ses
cheveux d’un beau châtain doré... Meyrand déteste
ça : rien qui puisse rappeler au vieux banquier
primé au foyer de la danse la femme entretenue, la
loge des étoiles, Paris et les coulisses où il est
adoré.
Mlle Marthe, elle, sent la fraîcheur du tub, la jeu-
nesse et la santé : sa chair de fille vierge ne connaît
ni les fards ni les subtiles essences, mais laisse
aux lèvres comme un goût de framboises, et le frais
du feuillage est dans ses doigts légers.
Et ce gros libertin de Meyrand donnera ses mil-
lions, son château de Chaville dans l’Oise, de Vau-
dreuil en Anjou, son chalet de Cabourg et sa villa
de Nice et même la galerie de son hôtel de l’avenue
ï’riedland pour une étreinte consentie de ces petits
doigts froids, pour le don de ces lèvres acceptant
de l’aimer...
Aussi, malgré son presque million de dot, la main
de Mlle Marthe Hérard, la nièce du gros Meyrand,
ftobber et Cie, n’est-elle pas encore, sinon deman-
dée, accordée.
***
Mais là-bas, au fond du parc, monte comme un
Ardent effluve : une odeur d’amour et de terre échauf-
fée. Ce sont, dépoitraillés, la chemise trempée sur
la chair suante, une troupe de faucheurs qui traver-
sent le parc. Harassés et joyeux, ils passent juste
au pied de la terrasse, et leurs cheveux poussié-
reux, leurs moustaches trop blondes se détachent
en clair sur leurs faces hâlées.
Au bois chante un oiseau,
Son chant vous arrête
Et vous fait rougir!
Au bois est un cadran, fillette,
Qui sonne l'heure du désir!
Il est au bois des fondrières
Et des chevreuils dans les clairières!
Il est une chapelle au bois
Où le prêtre va quelquefois
Mais c’est plus rare!
Il est au bois dans le hallier
Des saltimbanques en costume
Qui font des gestes dans la brume
Et qui s’en vont avec des voix,
Ohé, adieu! au fond des bois!
Au bois, au fond des bois, enfin,
Il est, quand on a soif et faim,
Et que l’âme triste est bien lasse,
Il est quelqu’un de méchant qui vous chasse.
Et la voix un peu rauque, mais prenante pourtant,
s’éteint dans le lointain; les faucheurs ont passé.
&
•**
Au bois est un cadran, fillette,
Qui sonne l’heure du désir 1
La robe mauve s’est inconsciemment arrêtée; les
bras ballants, elle a lâché le pan de sa jupe mince
etmolle, et les iris rares, les roses jaunes, les oeillets
jaspés, toute l'odorante et merveilleuse gerbe jon-
che maintenant le clair parquet.
— Est-ce que Pierre a attelé? demande-t-elle enfin
à la femme de chambre.
— Attelé! mais mademoiselle n’y songe pas, il est
parti depuis une heure ; monsieur sera là dans vingt
minutes.
— Ah!
Et silencieusement, avec ses mêmes lenteurs et
ses mêmes gestes calmes, la robe mauve ramasse
les précieux iris, les fastueuses roses jaunes, les
beaux œillets de luxe.
Par les portes-fenêtres, grandes ouvertes, l’odeur
du jasmin pénétrait et entêtait, plus forte : c’était le
soir; des étoiles de cire tremblaient sur le ciel
bleu, fleurettes fanées au cadre des fenêtres, et sur
la terrasse les grands pavots mauve et rose passé,
pétales de soie sur de longues tiges glauques, se
dressaient immobiles... fleurs mortes.
Jean Lorrain.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Croquis de chasse
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le charivari
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
ZST 207 D RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1893
Entstehungsdatum (normiert)
1888 - 1898
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le charivari, 62.1893, Novembre, S. 1271
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg