202
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTREE
11 février 1877,
FLANERIES DANS PARIS
Banc d'académiciens
Une douce somnolence est répandue sur l'assistance, quand on n'y ronfle
pas à poumons déployés; mais quelle science ! Pourquoi donc sont-ils tous
ni laids?
LE PARAPLUIE
DE VICTORIEN SARDOU
C'était mi soir de première représentation au Gym-
nase.
Victorien Sardou arpentait le boulevard.
De temps en .temps, un messager lui apportait l'état
barométrique de la salle.
Le premier acte se passe sans encombre.
L'exposition avait marché. L'enfant se présentait bien.
Entracte.
Le rideau se relève. Sardou, resté seul, reprend sa
promenade de l'actionnaire.
Aucune estafette.
L'inquiétude le gagne.
Que se passc-t-il ?
C'est à peu près l'heure où la jeune fille va parler...
Une silhouette apparaît devant le péristyle.
C'était un homme d'honnête apparence, un parapluie
sous le bras.
— Ma pièce est perdue, se dil Sardou. On s'en va. Cet
homme a quitté la salle pour n'\ plus revenir^ car, s'il
avait l'intention de rentrer, il n'aurait pas de parapluie...
Grouchy ! c'était Bliicher!
... Et l'auteur inquiet,
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Oui, quel est cet homme qui s'éloigne paisiblement
avec son parapluie?... Il faut que quelque chose l'ait
froissé dans ma pièce... La scène de la jeune fille?...
Non, elle est pure... C'est peut-être l'architecte?... Oui,
cet homme doit être architecte, j'ai touché à la hache, à
la truelle, j'ai touché à l'arche de l'équcrrc et du com-
pas.. Il doit être également franc-maçon... La foule va
déborder... C'est la déroute qui se tord les bras... Cet
Le banc nés béats
Poussé par la nécessité, on serait bien embarrassé do savoir auquel de ces
personnages à tète désagréable on pourrait s'adresser pour lui emprunter
cinq francs.
homme peut nie renseigner, il faut que je sache la
vérité... Assurons-nous d'abord si c'est réellement un
architecte. (Sardou fredonne ?e Petit Ébéniste.) 11 a tourné
la tète... C'est un architecte... un vieil architecte de
l'ancienne école, un caput mortuum, un crâne étroit,
ivre de la perpendiculaire, qui voudrait une pièce tirée
au cordeau, comme la rue de Rivoli, sans accidents,
sans lignes brisées, sans combinaisons... Où va-t-il? Il
va rentrer dans son alvéole et dire à sa famille : « C'est
crânement bête,cette pièce-là.» Al'abordage : Monsieur?...
l'homme ad parapluie (s'arrètant). — Est-ce à moi que
vous faites l'honneur de parler?
sardou. — Oui, monsieur, je suis Victorien Sardou.
(A part.) Il sourit, cet architecte. (Haut.) .le vous ai vu
tout à l'heure sortir du Gymnase... et je vous serais tout
à fiiit obligé de me dire... votre appréciation person-
nelle...
l'homme au parapluie [gracieux]. — Mon opinion, mon-
sieur, est celle du public.
sardou. — Alors tout le monde s'en va ?
l'homme au parapluie (stupéfait). — Comment?
sardou. — La pièce ne va pas jusqu'au bout?
— Elle va aux nues, monsieur, aux nues.
— Permettez-moi alors, sans indiscrétion, de vous
demander pourquoi vous êtes parti au milieu du deuxième
acte?
— C'est qu'un ami m'a remplace a l'orchestre.
— A l'orchestre? (A part.) Les fauteuils valent trois
louis. Charmant!
— Oui, monsieur, je fais la partie de flûte, et connue
mon frère se marie, vous comprenez, je m'en vais aux
Provençaux pour le bal. Je suis très-fâché de m'en aller,
mais j'ai eu le plaisir de voir la répétition générale, et
quand je suis parti, on applaudissait dans toute la salle.
— Merci, monsieur. Je vous remercie. (Ils se séparent,
Sardou retourne au Gymnase). Ce parapluie m'a boule-
versé.
0. L.
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTREE
11 février 1877,
FLANERIES DANS PARIS
Banc d'académiciens
Une douce somnolence est répandue sur l'assistance, quand on n'y ronfle
pas à poumons déployés; mais quelle science ! Pourquoi donc sont-ils tous
ni laids?
LE PARAPLUIE
DE VICTORIEN SARDOU
C'était mi soir de première représentation au Gym-
nase.
Victorien Sardou arpentait le boulevard.
De temps en .temps, un messager lui apportait l'état
barométrique de la salle.
Le premier acte se passe sans encombre.
L'exposition avait marché. L'enfant se présentait bien.
Entracte.
Le rideau se relève. Sardou, resté seul, reprend sa
promenade de l'actionnaire.
Aucune estafette.
L'inquiétude le gagne.
Que se passc-t-il ?
C'est à peu près l'heure où la jeune fille va parler...
Une silhouette apparaît devant le péristyle.
C'était un homme d'honnête apparence, un parapluie
sous le bras.
— Ma pièce est perdue, se dil Sardou. On s'en va. Cet
homme a quitté la salle pour n'\ plus revenir^ car, s'il
avait l'intention de rentrer, il n'aurait pas de parapluie...
Grouchy ! c'était Bliicher!
... Et l'auteur inquiet,
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Oui, quel est cet homme qui s'éloigne paisiblement
avec son parapluie?... Il faut que quelque chose l'ait
froissé dans ma pièce... La scène de la jeune fille?...
Non, elle est pure... C'est peut-être l'architecte?... Oui,
cet homme doit être architecte, j'ai touché à la hache, à
la truelle, j'ai touché à l'arche de l'équcrrc et du com-
pas.. Il doit être également franc-maçon... La foule va
déborder... C'est la déroute qui se tord les bras... Cet
Le banc nés béats
Poussé par la nécessité, on serait bien embarrassé do savoir auquel de ces
personnages à tète désagréable on pourrait s'adresser pour lui emprunter
cinq francs.
homme peut nie renseigner, il faut que je sache la
vérité... Assurons-nous d'abord si c'est réellement un
architecte. (Sardou fredonne ?e Petit Ébéniste.) 11 a tourné
la tète... C'est un architecte... un vieil architecte de
l'ancienne école, un caput mortuum, un crâne étroit,
ivre de la perpendiculaire, qui voudrait une pièce tirée
au cordeau, comme la rue de Rivoli, sans accidents,
sans lignes brisées, sans combinaisons... Où va-t-il? Il
va rentrer dans son alvéole et dire à sa famille : « C'est
crânement bête,cette pièce-là.» Al'abordage : Monsieur?...
l'homme ad parapluie (s'arrètant). — Est-ce à moi que
vous faites l'honneur de parler?
sardou. — Oui, monsieur, je suis Victorien Sardou.
(A part.) Il sourit, cet architecte. (Haut.) .le vous ai vu
tout à l'heure sortir du Gymnase... et je vous serais tout
à fiiit obligé de me dire... votre appréciation person-
nelle...
l'homme au parapluie [gracieux]. — Mon opinion, mon-
sieur, est celle du public.
sardou. — Alors tout le monde s'en va ?
l'homme au parapluie (stupéfait). — Comment?
sardou. — La pièce ne va pas jusqu'au bout?
— Elle va aux nues, monsieur, aux nues.
— Permettez-moi alors, sans indiscrétion, de vous
demander pourquoi vous êtes parti au milieu du deuxième
acte?
— C'est qu'un ami m'a remplace a l'orchestre.
— A l'orchestre? (A part.) Les fauteuils valent trois
louis. Charmant!
— Oui, monsieur, je fais la partie de flûte, et connue
mon frère se marie, vous comprenez, je m'en vais aux
Provençaux pour le bal. Je suis très-fâché de m'en aller,
mais j'ai eu le plaisir de voir la répétition générale, et
quand je suis parti, on applaudissait dans toute la salle.
— Merci, monsieur. Je vous remercie. (Ils se séparent,
Sardou retourne au Gymnase). Ce parapluie m'a boule-
versé.
0. L.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Flaneries dans Paris
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré, 10.1877, S. 1_262
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg