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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 7,1.1905

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Félice, Roger de: La peinture aux salons
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https://doi.org/10.11588/diglit.44575#0284
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L’ART DÉCORATIF

Les années en passant ont pour ainsi dire
interverti les sentiments : c’est le visage
de la vieille maman aux « anglaises » suran-
nées, qui exprime l’abandon paisible, la
confiance aimante, tandis que la sollicitude
anxieuse est devenue la part du fils, dont la
pensée a scruté la vie et la mort et qui
prévoit.
Au prix d’un tel portrait, tous les autres
ou presque paraissent vides de pensée, mes-
quinement conçus pour mettre en valeur
telle ligne d’un visage, ou, pis encore, pour
servir de prétexte à un certain agencement
de satins, de dentelles et de bijoux, sur
fond de peluche, qui est le but suprême de
l’art pour tant de peintres, le symbole et le
comble du luxe cossu pour tant de bour-
geoises !
Mais il y a un Ernest Laurent d’un
charme tout à fait rare, le meilleur que
nous ayons encore vu. Dans un salon mo-
derne aux boiseries blanches, où entre une
fine lumière horizontale, près d’une porte à
brise-bise écru et d’un canapé vert d’eau où
un coussin met une tache d’un rouge rompu,
une jeune femme est debout, en une pose
d’une parfaite simplicité : elle marchait, on
lui a parlé, elle s’est arrêtée pour répondre,
elle sourit à demi et sa main joue avec la
chaîne de sa montre. Elle est bien chez
elle, au milieu des meubles familiers, dans
son atmosphère intime; et l’on sait combien
la manière très personnelle de M. Laurent
— cette décomposition du ton assagie, qui
met si bien les choses «dans l’air», cette
sensibilité féminine de vision, ce faire grenu
et moelleux qui rappelle celui de Fantin —
excelle à donner l’impression de l’intimité.
M. Patricot, le parfait graveur que l’on
sait, continue à nous montrer qu’il est aussi
un excellent peintre. Son Gaston Deschamps
gris clair, d’une vérité criante, n’est peut-
être pas inferieur à son inoubliable Portrait
de M. Drouet, en blanc sur blanc. Avec la
plus sûre entente de ce qu’il faut sacrifier, de
ce qu’un frottis sommaire suffit à indiquer
et de ce qu’il faut peindre en pleine pâte,
avec une virtuosité « étourdissante » mais
qui s’appuie sur un profond savoir, c’est
enlevé d’un tour de main extraordinairement
souple et hardi. Le Portrait de jeune fille,
plus rare encore de facture, est un des plus
surprenants exemples qui soient de l’art de
beaucoup dire en peu de mots.

Quant à M. Zuloaga, il prend une grande
toile, la barbouille tout entière de terre de
Sienne, campe ses personnages — avec la
crânerie que l’on sait — en quelques, coups
de fusain, donne la valeur du fond par
un frottis, et puis se met à peindre
son vieux maire de village et ses vieux
bergers, son ancien toréador à cape fanée
ou ses jeunes cousines, en commençant
par la tête et en finissant par les pieds. Et
il faut que ce soit fini avant que la couleur
sèche. Sans doute y met-il beaucoup d’huile ;
mais si l’on considère l’importance des ta-
bleaux, on peut imaginer la sûreté de main,
la liberté de touche que suppose une pareille
méthode! Il est visible qu’une fois ses
Cousines douées de vie, de cette vie étince-
lante ; qu’une fois posés les derniers points
de lumière, ici au coin de l’œil, là sur les
dents humides que découvre le rire, sur un
bijou, sur une paillette de corsage ou d’éven-
tail, le peintre a été très ennuyé d’avoir à
faire un fond, et il a fait n’importe quoi,
un ciel nuageux, des collines sans perspec-
tive avec de vagues personnages.
Des quatre portraits de M. Caro-Del-
vaille, le tableau à succès, sera l’effigie de
Mma Edmond Rostand : ce n’est pas celui
où l’on reconnaît le plus la simple et franche
manière de ce jeune maître. Mais la faute
n’en est peut-être pas à lui... De l’aimable
image de jeune fille qui passe en portant
un plateau, il a été question ici récem-
ment, à propos du salonnet franco-américain
du mois de mars. L’homme assis dans sa
bibliothèque est bien, franchement peint,
en rapports très justes avec son entourage.
Mais il faut retenir surtout le Portrait de
Rolly, actrice à la beauté épanouie et
généreusement révélée, cheveux d’or fauve,
minois faunesque, bouche de piment écarlate.
La couleur est claire et drue, le blanc de la
robe et le vert de la chaise-longue font un
plaisant accord. Mais pourquoi ce sous-
titre, «Portrait descène?» Cette comédienne
n’est pas plus éclairée par une rampe et
des herses, que ne le sont peut-être, à
côté, ces Basques d’églogue par la lumière
du plein air.
Citons enfin un vigoureux Portrait de
Roger Pontet de Monvel par son frère Ber-
nard. Nous revoyons avec plaisir ce jeune
gentleman si sportif. Solidement campé sur
une terre labourée, avec ses dogues de la

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