N° 211
BULLETIN DE L'ART POUR TOUS
Ce précieux volume se trouve actuellement i
dans la bibliothèque du comte de Waziers,
nous en avons reproduit quelques planches
page 4235.
11 contient vingt-quatre feuillets, dont deux
sont consacrés à "la préface, onze aux images
et onze au texte explicatif, et présente les carac-
tères de la plus haute antiquité xylographique.
Sans pagination, sans nom d'auteur, il n'indique
ni le lieu, ni la date de l'impression. Les feuilles
ne sont imprimées que d'un seul côté et sur
les pages blanches, imparfaitement collées
deux à deux, se reconnaît le relief de la l'orme
en bois qui a été imprimée à l'aide du frotton.
L'encre est grise, à la détrempe et s'effacerait
en mouillant le papier.
M. Brunet, qui, dans son manuel de librairie
(1842), a parlé de cet exemplaire, dont il pense
qu'aucun bibliographe n'avait fait mention avant
lui, suppose que les images de cette traduction
ont été empruntées à la seconde édition latine
décrite par le baron de Heinecken. Mais le
spécimen d'une des planches, donné à l'appui
de cette description, ne ressemble pas à la plan-
che correspondante de Y Art au morier, dont
les figures bien drapées et faites avec goût
contrastent avec le dessin lourd et la gravure
grossière de l'édition lalinc. Il est beaucoup plus
probable que ces images dépendaient de la troi-
sième édition dont il existait des exemplaires plus
oumoinscomplets,à Harlem elà Francfort; seule-
ment l'ordre du texte et des planches n'est pas
ici le môme, et se rapporte plutôt à l'édition que
M. de Heinecken signale comme se trouvant à
la bibliothèque de Hanovre. Les letlres gothiques
sont faciles à lire, malgré de nombreuses abré-
viations, malgré l'absence de ponctualion et
d'apostrophes. Les capitales sont faites d'un
seul trait, sans doute pour l'enluminure. Les
dimensions des caractères et des intervalles qui
les séparent, varient d'une page à l'autre, sui-
vant le nombre de lignes à insérer ; il existe
même quelques inégalités dans la même page,
sans motif apparent. L'encre n'a pas une teinte
uniforme, et les derniers feuillets, qui comptent
plus de lignes, présentent une impression moins
nette et plus foncée. Chaque page de figures
et de texte est encadrée de trois lignes plus ou
moins espacées dont les intervalles sont !
quelquefois remplis par des hachures irrégu-
lières.
Toutes les anciennes édilions latines dont
parlent les auteurs, sont incomplètes. Notre
traduction est entière, pour le texte comme
pour les images : on peut le reconnaître en la
comparant aux descriptions des exemplaires
connus (1).
Il est difficile de savoir précisément en quelle
année et, en quel lieu cet ouvrage a paru ; mais
si l'on ne peut affirmer que le livre original,
YArs moriendi, soit comme le pensent quelques
bibliographes, le premier ouvrage complet
imprimé en Europe, on ne saurait douter que
cette traduction ne soit le plus ancien livre
français connu. Jusqu'à présent on avait sup-
posé que Mathieu de Craeow, à qui l'on allri-
buait l'ouvrage latin, avait fait lui-même celle
traduction française, pendant son séjour à Paris,
et qu'elle avait élé imprimée en môme temps que
les premières éditions latines, avantsa mort, arri-
vée en 1410. Mais, d'après M. Brunet, on aurait
confondu YArs moriendi, dont nous nous occu-
pons, avec YArs bene moriendi dont le texte
latin, très dissemblable, aurait paru avant 147G,
avec le nom de l'évêque de Wonns.
Quoi qu'il en soit, M. J. Marie Cuichard, clans
une notice très estimée, regarde cet exemplaire,
comme le seul livre xylographique français \
découvert jusqu'à ce jour, et croit pouvoir le
rapporter au premier établissement de l'impri-
merie en France. M. Brunet (2), qui en fait une
description sommaire, pense que si l'on admet
que les livres d'images en bois tels que YArs
moriendi et les Biblia pauperum ont précédé
l'invention de l'imprimerie, on ne saurait hésiter
à regarder Y Art au morier, comme le plus
ancien livre français imprimé qui soit connu
jusqu'ici.
L'Art au morier eslun deceslivres mystiques,
alors très répandus en Europe, qui traitent le
sujet le plus important au point de vue chrétien.
Il enseigne un ai t qui, dans les temps de foi, a
été regardé, à juste titre, comme le plus pré-
cieux : l'art de bien mourir. C'est une représen-
tation de la lutte, si souvent reproduite à celle
époque, entre le bon et le mauvais génie qui se
disputent l'Ame humaine, lutte d'autant plus
vive et plus terrible que le résultat est sans
appel. Dans les images, les scènes ne manquent
(1) Voir le chapitre des premiers livres gravés en
bois, Idée générale d'une collection complète d'estampes,
p. 399.
(2) Manuel du libraire et de l'amateur de livres, par
Brunei, I, p. 117.
ni de mouvement, ni d'expression. Les figures
des anges et des saints ont généralement une
pureté et un sentiment remarquables. Les
démons sont terribles et expriment, tour à tour,
l'ironie, l'orgueil du succès, ou le désespoir de
la défaite, plusieurs figures de femmes sont
gracieuses, etlcs draperies, quoiqu'un peu raides,
sont bien dessinées. Le trait a généralement de
la vigueur, et l'on entrevoit déjà le burin qu'illus-
trera plus tard Albert Durer.
Le titre de l'ouvrage : L'art au morier, est en
tête du premier feuillet, sur une banderole, dans
l'encadrement. La préface qui suit comprend
deux pages, dont la première compte vingt-neuf
lignes, et la deuxième, vingt-huit lignes, très
espacées et parfaitement imprimées. C'est une
traduction exacte de l'édition latine. L'auteur y
prouve, d'après saint Bernard et saint Augustin,
que la mort de l'âme est plus horrible et plus
détestable que celle du corps. « Comme donques
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lame est si précieuse et le dyable pour l'éternel-
le mort d'icelle infeste la personc à son darrain
(dernier) partir par de très grands temptacions,
pourtant est très grande nécessité que lome
pourvoie à son a me quen icelle mort ne soit
perdue. A quoi est Irès expédient que chacun
lart de bien mourir fréquente déligenlement. »
Après avoir indiqué ce que le mourant doit faire,
l'auleurajoute : « Si est à noter que les moriturs
ont plus grièves temptacions que unques aupa-
ravant. Et ce sont cin comme après apparera
contre lesquelles l'angele leur inspire cincs
bones inspiracions. Maisaffinque ceste doclrine
soit à tous fructueuse et nuls nen soit fourclos
(exclus) ains y apprendre salubremenl morir par
la lettre comme par les ymages lays et clercs en
ceste miroir poront et les choses preterites
et fuclurs comme présentes spéculer. Qui
dont veut bien morir ces choses et subséquentes
considère diligenlement. »
Ces tentations embrassent loules les chutes
auxquelles l'âme humaine est exposée, sauf
celles qui paraissent incompatibles avec l'état
d'un malade atteint mortellement.
L'exposé des cinq tentations du diable et des
cinq inspirations de l'ange, forme le sujetdes ima-
ges et du lexle placé en regard.
La troisième page, première image, repré-
sente la lentalion contre la foi. La planche est
belle et offre différentes scènes bien reproduites.
Le malade est étendu sur son lit. Au-dessus,
Dieu le père, Dieu le fils et la Sainlc-Viergc
assistent à ses derniers moments. A côté, un
diable lire à deux mains le drap du lit, et laisse
lire sur un rouleau imfermis, sans cloute pour
infirmusfactus est.Vn autre monlre un roi et une
reine à genoux devant une idole ; un groupe
d'hommes paraît se livrer à une discussion
animée sans pouvoir s'entendre, tandis qu'un
diable plus près du mourant lui crie, ioujours à
l'aide d'un rouleau gravé : fac sicut pagani, et
qu'un quatrième démon lui frappe sur l'épaule
en lui disant : interficias te ipsum, à l'exemple
d'une femme qui, les cheveux épars, armée
d'une verge et d'un fouet, engage un homme à
se tuer. Celui-ci, docile à ce conseil, s'apprête à
se couper la gorge.
Le texte vis-à-vis, avec l'intitulé : Temptacion
du dyable de la foi, expose que « le dyable,
ennemi de toute humaine lignée, cherche à four-
voiser et errer l'homme agonisant en lui mon-
trant l'incertiLude qui règne dans le monde. Les
uns adorent les idoles ; cl'aulres se disputent
sans jamais trouver la vérité, d'autres ont occis
autrui ou soi-même par indiscrète pénitence. »
L'auteur prémunit le patient contre ces attaques
dont l'homme peut toujours triompher, « car,
comme dit l'apostle, Dieu est très leal et féable
qui ne vous souffre être temptés au dessus que
poer porter. »
Cette page compte vingt-sept lignes, outre le
litre. Elle est signée au bas de Ta lettre B. Les
caractères sont plus grands et plus foncés que les
précédents.
Dans la seconde image, dont le texte explique
la bonne inspiracion par l'angele de la foi, un
ange, portant au front une petite croix, exhorle
le malade à rester ferme dans sa croyance : la
Sainte-Trinité, les saints de l'Ancien et du Nou-
veau Testament, parmi lesquels on distingue
Moïse, l'encouragent, tandis que les diables,
sous formes d'animaux à figures humaines,
s'enfuient en criant : frustra laboravimus, vicii
sumus,fugiamus.
Les paroles en regard développent le langage
de l'ange ; sis firmus in fide, en s'appuyant sur
les textes de saint Paul et des pères de l'Eglise
el sur les exemples des apôtres et des martyrs.
Elles invitent les assistants à répéter ensemjjle,
le symbole de la loi autour de l'agonisant.
La page contient trente-deux lignes et est
signée d'un d.
La troisième planche est la tentation du diable
de désespération. Six diables s'acharnent sur le
malade. L'un lui monlre un tableau où sont
gravés tous ses péchés, ecce peccata tuai ; deux
autres lui désignent un homme envers qui il a
été parjure, parjurus es, el une femme qu'il a
séduite, fomicatus es. Deux démons, dont le pre-
mier lient une bourse fermée lui rappellent son
avarice, avare vixisti, par la figure d'un homme
assissurun coffre-fort et celle d'un malheureux
entièrement nu. Enfin le dernier tient une épée
à la main et lui crie: occidisti, en désignant du doigt
sa victime expirant à terre. Il serait difficile de
résumer d'une manière plus saisissante toutes
les chutes de l'homme, et il n'est pas étonnant
que le mauvais ange ail compté sur ces hor-
ribles représentations pour précipiter le mou-
rant dans le désespoir. Les figures des démons
respirent une affreuse ironie ; l'un d'eux a un
second visage au milieu du ventre.
Le texte, qui contient trente-deux lignes, sans
aucune signature, n'esl pas moins effrayant.
Dans celte page, comme dans quelques autres,
le premier encadrement est interrompu par des
mots qui dépassent les autres lignes.
La bonne inspiration de l'ange contre despé-
rance, vient opposer à ce spectacle décou-
rageant tous les motifs qui peuvent rassurer le
chrétien. L'ange, en lui disant : Nequaquam
désespères, met devanL ses yeux le bon larron,
saint Pierre repentant, la Madeleine, saint
Paul renversé sur le chemin de Damas. A cette
vue, l'espérance renaît dans l'âme du moribond
et les diables, en se sauvant ou en se cachant
sous le lit, proclament leur défaite : Victoria
mihi nul la.
Le discouis mis en regard de celle consolante
image tend à prouver qu'il ne faut jamais déses-
pérer, « que la despéracion est pieurre et plus
damnabie que tous péchiés que espoir est lancre
de notre salut el conduiseur du chemin par
lequel on va au ciel. » La page compte aussi
Irenle-deux lignes, mais les caractères sont plus
serrés et un peu plus pelits que dans la précé-
dente.
La cinquième image est la tentation de l'im-
patience. Jusqu'à présent le malade a été en
lutte avec le mal, mais ici il y succombe, et
pendant que des femmes semblent s'apitoyer
sur son sort : Ecce quantam pœnam palitur, et
qu'une servante lui apporte ce dont il a besoin,
irrité d'une pitié qu'il croit hypocrite, il lance un
coup de pied à ceux qui l'entourent et fait la
joie d'un diable qui, placé près d'une table
renversée, s'écrie en lirant la langue :quam bene
decepi eum !
En effet, comme le prouve l'explication, le
malheureux, aigri par la souffrance, se persuade
que personne n'a compassion de lui et que ses
amis peuvent le « complaindre de bouche, toute-
fois principalement pour ses biens à eux relin-
quer désirent de cœur sa mort. »
Le bon ange vient à son tour panser ses
blessures en lui exposant l'utilité des souffrances.
« Dieu, dit Saint Grégor, miséricordemenl baille
temporele séverilé et maladie, afin qu'il ne baille
pugnilion éternelle et Salomon dit : le pacient
est meilleur que le fort homme et qui domine et
maistrie son coraige que les pugnateur el con-
questeur des villes. »
Nous avons reproduit cette page. Quoique
comprenant trente-sept lignes, elle est d'une
impression très nette.
La planche dont nous donnons également le
spécimen, représente Notre Seigneur flagellé,
Dieu le père, tenant en ses mains le fouet et la
flèche symbole de ses sévérités paternelles, Saint
BULLETIN DE L'ART POUR TOUS
Ce précieux volume se trouve actuellement i
dans la bibliothèque du comte de Waziers,
nous en avons reproduit quelques planches
page 4235.
11 contient vingt-quatre feuillets, dont deux
sont consacrés à "la préface, onze aux images
et onze au texte explicatif, et présente les carac-
tères de la plus haute antiquité xylographique.
Sans pagination, sans nom d'auteur, il n'indique
ni le lieu, ni la date de l'impression. Les feuilles
ne sont imprimées que d'un seul côté et sur
les pages blanches, imparfaitement collées
deux à deux, se reconnaît le relief de la l'orme
en bois qui a été imprimée à l'aide du frotton.
L'encre est grise, à la détrempe et s'effacerait
en mouillant le papier.
M. Brunet, qui, dans son manuel de librairie
(1842), a parlé de cet exemplaire, dont il pense
qu'aucun bibliographe n'avait fait mention avant
lui, suppose que les images de cette traduction
ont été empruntées à la seconde édition latine
décrite par le baron de Heinecken. Mais le
spécimen d'une des planches, donné à l'appui
de cette description, ne ressemble pas à la plan-
che correspondante de Y Art au morier, dont
les figures bien drapées et faites avec goût
contrastent avec le dessin lourd et la gravure
grossière de l'édition lalinc. Il est beaucoup plus
probable que ces images dépendaient de la troi-
sième édition dont il existait des exemplaires plus
oumoinscomplets,à Harlem elà Francfort; seule-
ment l'ordre du texte et des planches n'est pas
ici le môme, et se rapporte plutôt à l'édition que
M. de Heinecken signale comme se trouvant à
la bibliothèque de Hanovre. Les letlres gothiques
sont faciles à lire, malgré de nombreuses abré-
viations, malgré l'absence de ponctualion et
d'apostrophes. Les capitales sont faites d'un
seul trait, sans doute pour l'enluminure. Les
dimensions des caractères et des intervalles qui
les séparent, varient d'une page à l'autre, sui-
vant le nombre de lignes à insérer ; il existe
même quelques inégalités dans la même page,
sans motif apparent. L'encre n'a pas une teinte
uniforme, et les derniers feuillets, qui comptent
plus de lignes, présentent une impression moins
nette et plus foncée. Chaque page de figures
et de texte est encadrée de trois lignes plus ou
moins espacées dont les intervalles sont !
quelquefois remplis par des hachures irrégu-
lières.
Toutes les anciennes édilions latines dont
parlent les auteurs, sont incomplètes. Notre
traduction est entière, pour le texte comme
pour les images : on peut le reconnaître en la
comparant aux descriptions des exemplaires
connus (1).
Il est difficile de savoir précisément en quelle
année et, en quel lieu cet ouvrage a paru ; mais
si l'on ne peut affirmer que le livre original,
YArs moriendi, soit comme le pensent quelques
bibliographes, le premier ouvrage complet
imprimé en Europe, on ne saurait douter que
cette traduction ne soit le plus ancien livre
français connu. Jusqu'à présent on avait sup-
posé que Mathieu de Craeow, à qui l'on allri-
buait l'ouvrage latin, avait fait lui-même celle
traduction française, pendant son séjour à Paris,
et qu'elle avait élé imprimée en môme temps que
les premières éditions latines, avantsa mort, arri-
vée en 1410. Mais, d'après M. Brunet, on aurait
confondu YArs moriendi, dont nous nous occu-
pons, avec YArs bene moriendi dont le texte
latin, très dissemblable, aurait paru avant 147G,
avec le nom de l'évêque de Wonns.
Quoi qu'il en soit, M. J. Marie Cuichard, clans
une notice très estimée, regarde cet exemplaire,
comme le seul livre xylographique français \
découvert jusqu'à ce jour, et croit pouvoir le
rapporter au premier établissement de l'impri-
merie en France. M. Brunet (2), qui en fait une
description sommaire, pense que si l'on admet
que les livres d'images en bois tels que YArs
moriendi et les Biblia pauperum ont précédé
l'invention de l'imprimerie, on ne saurait hésiter
à regarder Y Art au morier, comme le plus
ancien livre français imprimé qui soit connu
jusqu'ici.
L'Art au morier eslun deceslivres mystiques,
alors très répandus en Europe, qui traitent le
sujet le plus important au point de vue chrétien.
Il enseigne un ai t qui, dans les temps de foi, a
été regardé, à juste titre, comme le plus pré-
cieux : l'art de bien mourir. C'est une représen-
tation de la lutte, si souvent reproduite à celle
époque, entre le bon et le mauvais génie qui se
disputent l'Ame humaine, lutte d'autant plus
vive et plus terrible que le résultat est sans
appel. Dans les images, les scènes ne manquent
(1) Voir le chapitre des premiers livres gravés en
bois, Idée générale d'une collection complète d'estampes,
p. 399.
(2) Manuel du libraire et de l'amateur de livres, par
Brunei, I, p. 117.
ni de mouvement, ni d'expression. Les figures
des anges et des saints ont généralement une
pureté et un sentiment remarquables. Les
démons sont terribles et expriment, tour à tour,
l'ironie, l'orgueil du succès, ou le désespoir de
la défaite, plusieurs figures de femmes sont
gracieuses, etlcs draperies, quoiqu'un peu raides,
sont bien dessinées. Le trait a généralement de
la vigueur, et l'on entrevoit déjà le burin qu'illus-
trera plus tard Albert Durer.
Le titre de l'ouvrage : L'art au morier, est en
tête du premier feuillet, sur une banderole, dans
l'encadrement. La préface qui suit comprend
deux pages, dont la première compte vingt-neuf
lignes, et la deuxième, vingt-huit lignes, très
espacées et parfaitement imprimées. C'est une
traduction exacte de l'édition latine. L'auteur y
prouve, d'après saint Bernard et saint Augustin,
que la mort de l'âme est plus horrible et plus
détestable que celle du corps. « Comme donques
^\wmm\\\\\\\m\\\\\\\t!i uni unmtammmnm
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ifrimtti pour lup tShx mof î rj mtrïnct' tic pnit rttre
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pourtant est très grande nécessité que lome
pourvoie à son a me quen icelle mort ne soit
perdue. A quoi est Irès expédient que chacun
lart de bien mourir fréquente déligenlement. »
Après avoir indiqué ce que le mourant doit faire,
l'auleurajoute : « Si est à noter que les moriturs
ont plus grièves temptacions que unques aupa-
ravant. Et ce sont cin comme après apparera
contre lesquelles l'angele leur inspire cincs
bones inspiracions. Maisaffinque ceste doclrine
soit à tous fructueuse et nuls nen soit fourclos
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la lettre comme par les ymages lays et clercs en
ceste miroir poront et les choses preterites
et fuclurs comme présentes spéculer. Qui
dont veut bien morir ces choses et subséquentes
considère diligenlement. »
Ces tentations embrassent loules les chutes
auxquelles l'âme humaine est exposée, sauf
celles qui paraissent incompatibles avec l'état
d'un malade atteint mortellement.
L'exposé des cinq tentations du diable et des
cinq inspirations de l'ange, forme le sujetdes ima-
ges et du lexle placé en regard.
La troisième page, première image, repré-
sente la lentalion contre la foi. La planche est
belle et offre différentes scènes bien reproduites.
Le malade est étendu sur son lit. Au-dessus,
Dieu le père, Dieu le fils et la Sainlc-Viergc
assistent à ses derniers moments. A côté, un
diable lire à deux mains le drap du lit, et laisse
lire sur un rouleau imfermis, sans cloute pour
infirmusfactus est.Vn autre monlre un roi et une
reine à genoux devant une idole ; un groupe
d'hommes paraît se livrer à une discussion
animée sans pouvoir s'entendre, tandis qu'un
diable plus près du mourant lui crie, ioujours à
l'aide d'un rouleau gravé : fac sicut pagani, et
qu'un quatrième démon lui frappe sur l'épaule
en lui disant : interficias te ipsum, à l'exemple
d'une femme qui, les cheveux épars, armée
d'une verge et d'un fouet, engage un homme à
se tuer. Celui-ci, docile à ce conseil, s'apprête à
se couper la gorge.
Le texte vis-à-vis, avec l'intitulé : Temptacion
du dyable de la foi, expose que « le dyable,
ennemi de toute humaine lignée, cherche à four-
voiser et errer l'homme agonisant en lui mon-
trant l'incertiLude qui règne dans le monde. Les
uns adorent les idoles ; cl'aulres se disputent
sans jamais trouver la vérité, d'autres ont occis
autrui ou soi-même par indiscrète pénitence. »
L'auteur prémunit le patient contre ces attaques
dont l'homme peut toujours triompher, « car,
comme dit l'apostle, Dieu est très leal et féable
qui ne vous souffre être temptés au dessus que
poer porter. »
Cette page compte vingt-sept lignes, outre le
litre. Elle est signée au bas de Ta lettre B. Les
caractères sont plus grands et plus foncés que les
précédents.
Dans la seconde image, dont le texte explique
la bonne inspiracion par l'angele de la foi, un
ange, portant au front une petite croix, exhorle
le malade à rester ferme dans sa croyance : la
Sainte-Trinité, les saints de l'Ancien et du Nou-
veau Testament, parmi lesquels on distingue
Moïse, l'encouragent, tandis que les diables,
sous formes d'animaux à figures humaines,
s'enfuient en criant : frustra laboravimus, vicii
sumus,fugiamus.
Les paroles en regard développent le langage
de l'ange ; sis firmus in fide, en s'appuyant sur
les textes de saint Paul et des pères de l'Eglise
el sur les exemples des apôtres et des martyrs.
Elles invitent les assistants à répéter ensemjjle,
le symbole de la loi autour de l'agonisant.
La page contient trente-deux lignes et est
signée d'un d.
La troisième planche est la tentation du diable
de désespération. Six diables s'acharnent sur le
malade. L'un lui monlre un tableau où sont
gravés tous ses péchés, ecce peccata tuai ; deux
autres lui désignent un homme envers qui il a
été parjure, parjurus es, el une femme qu'il a
séduite, fomicatus es. Deux démons, dont le pre-
mier lient une bourse fermée lui rappellent son
avarice, avare vixisti, par la figure d'un homme
assissurun coffre-fort et celle d'un malheureux
entièrement nu. Enfin le dernier tient une épée
à la main et lui crie: occidisti, en désignant du doigt
sa victime expirant à terre. Il serait difficile de
résumer d'une manière plus saisissante toutes
les chutes de l'homme, et il n'est pas étonnant
que le mauvais ange ail compté sur ces hor-
ribles représentations pour précipiter le mou-
rant dans le désespoir. Les figures des démons
respirent une affreuse ironie ; l'un d'eux a un
second visage au milieu du ventre.
Le texte, qui contient trente-deux lignes, sans
aucune signature, n'esl pas moins effrayant.
Dans celte page, comme dans quelques autres,
le premier encadrement est interrompu par des
mots qui dépassent les autres lignes.
La bonne inspiration de l'ange contre despé-
rance, vient opposer à ce spectacle décou-
rageant tous les motifs qui peuvent rassurer le
chrétien. L'ange, en lui disant : Nequaquam
désespères, met devanL ses yeux le bon larron,
saint Pierre repentant, la Madeleine, saint
Paul renversé sur le chemin de Damas. A cette
vue, l'espérance renaît dans l'âme du moribond
et les diables, en se sauvant ou en se cachant
sous le lit, proclament leur défaite : Victoria
mihi nul la.
Le discouis mis en regard de celle consolante
image tend à prouver qu'il ne faut jamais déses-
pérer, « que la despéracion est pieurre et plus
damnabie que tous péchiés que espoir est lancre
de notre salut el conduiseur du chemin par
lequel on va au ciel. » La page compte aussi
Irenle-deux lignes, mais les caractères sont plus
serrés et un peu plus pelits que dans la précé-
dente.
La cinquième image est la tentation de l'im-
patience. Jusqu'à présent le malade a été en
lutte avec le mal, mais ici il y succombe, et
pendant que des femmes semblent s'apitoyer
sur son sort : Ecce quantam pœnam palitur, et
qu'une servante lui apporte ce dont il a besoin,
irrité d'une pitié qu'il croit hypocrite, il lance un
coup de pied à ceux qui l'entourent et fait la
joie d'un diable qui, placé près d'une table
renversée, s'écrie en lirant la langue :quam bene
decepi eum !
En effet, comme le prouve l'explication, le
malheureux, aigri par la souffrance, se persuade
que personne n'a compassion de lui et que ses
amis peuvent le « complaindre de bouche, toute-
fois principalement pour ses biens à eux relin-
quer désirent de cœur sa mort. »
Le bon ange vient à son tour panser ses
blessures en lui exposant l'utilité des souffrances.
« Dieu, dit Saint Grégor, miséricordemenl baille
temporele séverilé et maladie, afin qu'il ne baille
pugnilion éternelle et Salomon dit : le pacient
est meilleur que le fort homme et qui domine et
maistrie son coraige que les pugnateur el con-
questeur des villes. »
Nous avons reproduit cette page. Quoique
comprenant trente-sept lignes, elle est d'une
impression très nette.
La planche dont nous donnons également le
spécimen, représente Notre Seigneur flagellé,
Dieu le père, tenant en ses mains le fouet et la
flèche symbole de ses sévérités paternelles, Saint