DOI Heft:
No 11 (Novembre 1911)
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10e ANNÉE
PARAISSANT TOUS LES MOIS
N° il. NOVEMBRE 1911
BULLETIN
DES MUSEES ROYAUX
DES ARTS DECORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Art, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
Ce bulletin sert d'organe à la Société des Amis des Musées royaux de l'État, à Bruxelles.
Il est distribué gratuitement aux Membres de la Société.
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique . . 5 francs. — Pour l'étranger . . 6 fr. 50. — Le numéro . . 50 centimes.
LES GRISAILLES DU TRIPTYQUE
DES PORTINARI
PAR HUGO VAN DER GOES
ON conserve, dans les galeries des Musées
royaux du Cinquantenaire, une copie de ce
monument capital de l’art flamand qui fut exécu-
tée, il y a quelque trente ans, par feu Franz
Meerts. Que le copiste, artiste consciencieux, ait
fait effort pour suivre l’original aussi fidèlement
que possible, c’est manifeste ; mais il n’a pas
réussi à en rendre tout à fait l’impression d’en-
semble ni même certaines particularités. Sous son
pinceau, les carnations ont pris je ne sais de quoi
de gris et de froid, ainsi qu’on le constate en
jetant un coup d’œil sur la figure de saint Thomas
et sur le groupe d’anges qui occupe le premier
plan du panneau médian. La tète de sainte Mar-
guerite, que Elugo a modelée si délicatement
en l’animant par de légères couches d’incarnat,
revêt, dans la copie, un aspect sombre et mono-
chrome. C’est d’autant plus regrettable que
cette figure appartient au panneau le mieux con-
servé du triptyque. Le ciel, dans les trois pan-
neaux, a perdu en clarté et en transparence ; et
l’interprète n’est pas parvenu à nous donner la
tonalité générale qui est beaucoup plus chaude
dans l’original. Il se peut que l’artiste ait été con-
trarié dans sa tâche par l’éclairage discret et plein
d’intimité de la petite salle de l’hôpital de Santa
Maria Nuova, où le chef-d’œuvre du maître fla-
mand fut conservé jusqu’en ces dernières années.
Dans la lumière abondante du Musée des
Offices, il eût été sans nul doute beaucoup plus à
même de saisir certains effets qui lui ont échappé.
D’autre part, la copie paraît avoir souffert de la
restauration dont elle a déjà été l’objet. En tout
cas, elle pousse fortement au noir. Il convient
toutefois de noter, comme mieux compris, le
groupe des trois bergers et les anges, caractérisés
par un curieux effet de lumière, que l’on voit
planer au-dessus de saint Joseph. Là, comme
dans le rendu des tissus, le peintre semble serrer
de près l’original. L’interprétation offre donc, en
dépit de certaines faiblesses, un réel intérêt : ou
elle inspire le très vif désir de voir l’œuvre même
de Hugo, ou elle aide à faire revivre des impres-
sions déjà anciennes. Elle montre du reste ce que
la meilleure photographie ne rend jamais : ces
oppositions et ces contrastes de couleur où se
reflète le tempérament même de l’artiste.
Cette reproduction est cependant incomplète,
en ce sens que les revers des volets représentant
EAnnonciation, n’ont pas tenté le pinceau de
M. Meerts, à moins que ce travail n’ait pas fait
partie de la commande officielle. A vrai dire, ces
revers ont subi de très graves détériorations. Des
éraflures, des coups, et, de-ci de-là, la disparition
complète de la couleur, enlèvent une grande par-
tie de charme à ces vénérables grisailles. Mais si
triste que soit leur état actuel, on ne laisse pas
d’y reconnaître l’inspiration et la main du maître.
Je dirai même qu’à certains égards, elles nous
livrent l’art du dessinateur; car ici tous les arti-
fices du coloris le cèdent à une monochromie où
le tiait apparaît dans toute sa netteté. Et puis
une circonstance leur donne encore un prix très
grand : ces grisailles n’ont pas, que je sache, subi
les retouches d’un - restaurateur plus ou moins
PARAISSANT TOUS LES MOIS
N° il. NOVEMBRE 1911
BULLETIN
DES MUSEES ROYAUX
DES ARTS DECORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Art, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
Ce bulletin sert d'organe à la Société des Amis des Musées royaux de l'État, à Bruxelles.
Il est distribué gratuitement aux Membres de la Société.
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique . . 5 francs. — Pour l'étranger . . 6 fr. 50. — Le numéro . . 50 centimes.
LES GRISAILLES DU TRIPTYQUE
DES PORTINARI
PAR HUGO VAN DER GOES
ON conserve, dans les galeries des Musées
royaux du Cinquantenaire, une copie de ce
monument capital de l’art flamand qui fut exécu-
tée, il y a quelque trente ans, par feu Franz
Meerts. Que le copiste, artiste consciencieux, ait
fait effort pour suivre l’original aussi fidèlement
que possible, c’est manifeste ; mais il n’a pas
réussi à en rendre tout à fait l’impression d’en-
semble ni même certaines particularités. Sous son
pinceau, les carnations ont pris je ne sais de quoi
de gris et de froid, ainsi qu’on le constate en
jetant un coup d’œil sur la figure de saint Thomas
et sur le groupe d’anges qui occupe le premier
plan du panneau médian. La tète de sainte Mar-
guerite, que Elugo a modelée si délicatement
en l’animant par de légères couches d’incarnat,
revêt, dans la copie, un aspect sombre et mono-
chrome. C’est d’autant plus regrettable que
cette figure appartient au panneau le mieux con-
servé du triptyque. Le ciel, dans les trois pan-
neaux, a perdu en clarté et en transparence ; et
l’interprète n’est pas parvenu à nous donner la
tonalité générale qui est beaucoup plus chaude
dans l’original. Il se peut que l’artiste ait été con-
trarié dans sa tâche par l’éclairage discret et plein
d’intimité de la petite salle de l’hôpital de Santa
Maria Nuova, où le chef-d’œuvre du maître fla-
mand fut conservé jusqu’en ces dernières années.
Dans la lumière abondante du Musée des
Offices, il eût été sans nul doute beaucoup plus à
même de saisir certains effets qui lui ont échappé.
D’autre part, la copie paraît avoir souffert de la
restauration dont elle a déjà été l’objet. En tout
cas, elle pousse fortement au noir. Il convient
toutefois de noter, comme mieux compris, le
groupe des trois bergers et les anges, caractérisés
par un curieux effet de lumière, que l’on voit
planer au-dessus de saint Joseph. Là, comme
dans le rendu des tissus, le peintre semble serrer
de près l’original. L’interprétation offre donc, en
dépit de certaines faiblesses, un réel intérêt : ou
elle inspire le très vif désir de voir l’œuvre même
de Hugo, ou elle aide à faire revivre des impres-
sions déjà anciennes. Elle montre du reste ce que
la meilleure photographie ne rend jamais : ces
oppositions et ces contrastes de couleur où se
reflète le tempérament même de l’artiste.
Cette reproduction est cependant incomplète,
en ce sens que les revers des volets représentant
EAnnonciation, n’ont pas tenté le pinceau de
M. Meerts, à moins que ce travail n’ait pas fait
partie de la commande officielle. A vrai dire, ces
revers ont subi de très graves détériorations. Des
éraflures, des coups, et, de-ci de-là, la disparition
complète de la couleur, enlèvent une grande par-
tie de charme à ces vénérables grisailles. Mais si
triste que soit leur état actuel, on ne laisse pas
d’y reconnaître l’inspiration et la main du maître.
Je dirai même qu’à certains égards, elles nous
livrent l’art du dessinateur; car ici tous les arti-
fices du coloris le cèdent à une monochromie où
le tiait apparaît dans toute sa netteté. Et puis
une circonstance leur donne encore un prix très
grand : ces grisailles n’ont pas, que je sache, subi
les retouches d’un - restaurateur plus ou moins