Il
AVANT -TROPOS.
clans un esprit comme le sien; mais, outre que les supérieurs veillaient sur les détourne-
ments possibles de cette vive et mobile intelligence, il ne m’est guère apparu que c’ait pu
lui être une préoccupation très-puissante. Pour ce que je puis dire de nos entretiens
à trente ans de là, c’étaient surtout les paysages majestueux et calmes de la campagne
romaine qui hantaient sa mémoire. Breton (quasi bretonnant), et quelque peu battu de
l’aile du romantisme qui commençait alors à prendre vol, il ne m’a jamais témoigné que
le souvenir de Saint-Pierre ou celui du Gesù lui eussent laissé l’impression d’un idéal
d’art chrétien. Les croquis de sa jeunesse, quand ils m’ont passé sous les yeux, 11e prêtaient
pas davantage à croire que l’architecture ecclésiastique de la Renaissance l’eût beau-
coup ravi.
Il revint en France vers 1825, pour compléter près de Paris ses études théologiques ; et
la suppression de nos collèges en juin 1828 11e lui laissa pas continuer la carrière de ren-
seignement où il venait de débuter. O11 l’appliqua donc à la prédication en divers diocèses ;
et ce lut surtout de 1829 à I800, que son penchant pour le moyen âge se prononça décidé-
ment. Le voisinage de Notre-Dame du Puy en Velay, comme les conversations de Mgr de
Bonald (depuis, cardinal-archevêque de Lyon), y eurent beaucoup départ. Dès lors il dirigea
la restauration et la décoration de quelques chapelles dans le goût du xive siècle, vers
lequel il a toujours penché plus qu’il ne se l’avouait à lui-même. Car, tout en appréciant
fort bien le beau simple et sévère, il cédait promptement dans la pratique à l’entraî-
nement d’une certaine profusion 1 ; de même qu’il était facilement diffus dans sa parole,
et plus orné que serré quand il écrivait.
Gomme bien d’autres, du reste, il avait les défauts de ses qualités; son enthousiasme facile
n’était pas à l’abri de quelques déviations parfois assez importantes. Distrait en mainte occa-
sion, il lui arrivait çà et là d’oublier dans un dessin ce qui 11e l’avait pas frappé autant que
le reste2 ; et comme un artiste copie souvent sans se rendre encore bien compte de ce que
le monument veut dire, tel ou tel détail (un personnage, par exemple) omis rendait Linter-
1. En fait de théorie, on l’eût pris pour exclusif et
puriste. Le beau roman d’Allemagne, d’Auvergne, de
Languedoc, de Bourgogne, de Poitou, d’Anjou et de Nor-
mandie avait tous ses suffrages; et il reprochait à l’ha-
bile W. Pugin d’avoir mis en honneur le florid Englisli, au
lieu de réhabiliter le grand style des premières années
du xme siècle. L’architecte anglais (franco-anglais, réel-
lement) lui répondit que leurs goûts à tous deux étaient
les mêmes au fond, et qu’il comptait bien sur le succès
futur de l’ogival primitif; mais, disait-il, ce retour avait
besoin d’être ménagé par la vue du gothique fleuri, qui
attire davantage les gens du monde. En quoi je soupçonne
un peu nos interlocuteurs de s’être déguisé à eux-mêmes
le mot de saint Paul, si bien résumé par Racine :
« Je sens deux hommes en moi. »
2. C’est ainsi qu’en dessinant la grande châsse de Notre-
Dame à Aix-la-Chapelle (Mélanges..., lre série, t.I, pl. I-IX),
il s’était borné à de brusques croquis pour certains bas-
reliefs presque masqués par un retour du toit. J’y reconnus
pourtant Yobstetrix dont parlent les Évangiles apocry-
phes, et je lui fis remarquer que c’était l’occasion d’ex-
pliquer certaine peinture des catacombes romaines, où
d’habiles antiquaires s’étaient fourvoyés l’un après l'autre
à qui mieux mieux. Encore fallut-il le lui rappeler par
lettre durant son second voyage dans les provinces rhé-
nanes, et la planche III en donne une petite gravure
supplémentaire. Mais dans la rédaction du texte il allait
reperdre de vue la portée de cette légende pour 1 interpré-
tation d’autres momunents, si je n’étais arrivé tout juste à
temps pour lui faire insérer une note (ibid., p. 22, sv.) sur
ce sujet dans les épreuves typographiques qu’il m’avait
laissé voir avant de donner le bon à tirer. — Cf. Schade,
Lib. de infantia Marias et Christi Saloatoris, p. 7. Etc., etc.
AVANT -TROPOS.
clans un esprit comme le sien; mais, outre que les supérieurs veillaient sur les détourne-
ments possibles de cette vive et mobile intelligence, il ne m’est guère apparu que c’ait pu
lui être une préoccupation très-puissante. Pour ce que je puis dire de nos entretiens
à trente ans de là, c’étaient surtout les paysages majestueux et calmes de la campagne
romaine qui hantaient sa mémoire. Breton (quasi bretonnant), et quelque peu battu de
l’aile du romantisme qui commençait alors à prendre vol, il ne m’a jamais témoigné que
le souvenir de Saint-Pierre ou celui du Gesù lui eussent laissé l’impression d’un idéal
d’art chrétien. Les croquis de sa jeunesse, quand ils m’ont passé sous les yeux, 11e prêtaient
pas davantage à croire que l’architecture ecclésiastique de la Renaissance l’eût beau-
coup ravi.
Il revint en France vers 1825, pour compléter près de Paris ses études théologiques ; et
la suppression de nos collèges en juin 1828 11e lui laissa pas continuer la carrière de ren-
seignement où il venait de débuter. O11 l’appliqua donc à la prédication en divers diocèses ;
et ce lut surtout de 1829 à I800, que son penchant pour le moyen âge se prononça décidé-
ment. Le voisinage de Notre-Dame du Puy en Velay, comme les conversations de Mgr de
Bonald (depuis, cardinal-archevêque de Lyon), y eurent beaucoup départ. Dès lors il dirigea
la restauration et la décoration de quelques chapelles dans le goût du xive siècle, vers
lequel il a toujours penché plus qu’il ne se l’avouait à lui-même. Car, tout en appréciant
fort bien le beau simple et sévère, il cédait promptement dans la pratique à l’entraî-
nement d’une certaine profusion 1 ; de même qu’il était facilement diffus dans sa parole,
et plus orné que serré quand il écrivait.
Gomme bien d’autres, du reste, il avait les défauts de ses qualités; son enthousiasme facile
n’était pas à l’abri de quelques déviations parfois assez importantes. Distrait en mainte occa-
sion, il lui arrivait çà et là d’oublier dans un dessin ce qui 11e l’avait pas frappé autant que
le reste2 ; et comme un artiste copie souvent sans se rendre encore bien compte de ce que
le monument veut dire, tel ou tel détail (un personnage, par exemple) omis rendait Linter-
1. En fait de théorie, on l’eût pris pour exclusif et
puriste. Le beau roman d’Allemagne, d’Auvergne, de
Languedoc, de Bourgogne, de Poitou, d’Anjou et de Nor-
mandie avait tous ses suffrages; et il reprochait à l’ha-
bile W. Pugin d’avoir mis en honneur le florid Englisli, au
lieu de réhabiliter le grand style des premières années
du xme siècle. L’architecte anglais (franco-anglais, réel-
lement) lui répondit que leurs goûts à tous deux étaient
les mêmes au fond, et qu’il comptait bien sur le succès
futur de l’ogival primitif; mais, disait-il, ce retour avait
besoin d’être ménagé par la vue du gothique fleuri, qui
attire davantage les gens du monde. En quoi je soupçonne
un peu nos interlocuteurs de s’être déguisé à eux-mêmes
le mot de saint Paul, si bien résumé par Racine :
« Je sens deux hommes en moi. »
2. C’est ainsi qu’en dessinant la grande châsse de Notre-
Dame à Aix-la-Chapelle (Mélanges..., lre série, t.I, pl. I-IX),
il s’était borné à de brusques croquis pour certains bas-
reliefs presque masqués par un retour du toit. J’y reconnus
pourtant Yobstetrix dont parlent les Évangiles apocry-
phes, et je lui fis remarquer que c’était l’occasion d’ex-
pliquer certaine peinture des catacombes romaines, où
d’habiles antiquaires s’étaient fourvoyés l’un après l'autre
à qui mieux mieux. Encore fallut-il le lui rappeler par
lettre durant son second voyage dans les provinces rhé-
nanes, et la planche III en donne une petite gravure
supplémentaire. Mais dans la rédaction du texte il allait
reperdre de vue la portée de cette légende pour 1 interpré-
tation d’autres momunents, si je n’étais arrivé tout juste à
temps pour lui faire insérer une note (ibid., p. 22, sv.) sur
ce sujet dans les épreuves typographiques qu’il m’avait
laissé voir avant de donner le bon à tirer. — Cf. Schade,
Lib. de infantia Marias et Christi Saloatoris, p. 7. Etc., etc.