DU BESTIAIRE : SA FORME ARMÉNIENNE.
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conformément à toutes les exigences de notre langue ou de la critique scrupuleuse.
L’interprète complaisant n’était pas obligé de savoir : 1° qu’on publierait un jour sa version
sans qu’il l’eût revue ; 2° qu’on lui mettait entre les mains un livre très-sujet à caution,
et justiciable de plusieurs sciences assez peu répandues dans le grand public. Combien
de gens ignorent que posséder passablement deux idiomes, ne suffit pas toujours au rôle
de traducteur! Il y faut en outre connaître plus qu’un premier venu les matières traitées
par l’écrit dont on se fait le trucheman.
LE MORALISTE L
Ce livre examine et décrit les mœurs de tous les animaux2; il démontre de diffé-
rentes manières comment les uns excellent {se distinguent entre tons?) par leur analogie
avec les êtres célestes, et comment les autres sont avilis {abaissés au-dessous de leurs
congénères) par leur ressemblance avec les esprits infernaux 3.
I. — LE LION 4.
Le lion a trois natures : 1° Lorsqu’il marche, il sent les chasseurs par son odorat,
1. Il était donc bien clair pour le rédacteur arménien,
que nous avions là un Bestiaire moralisé, mais nullement
un livre qui annonçât des prétentions zoologiques. On
puisait dans le domaine commun des récits acceptés une
matière à leçons religieuses, qui étaient le véritable objet
de l’auteur, et comme son estampille de provenance. Je
ne disais pas autre chose de Taticn (Mélanges, t. Il, p. 88,
sv.), tout en conservant le mot Physiologus, qui pouvait
désigner originairement un livre d’histoire naturelle an-
térieur à la moralisation chrétienne.
-• Tous est trop dire. On a pourtant gardé cet idéal pré-
tentieux dans les rallonges que le Physiologus subissait de
siècle en siècle, avec adjonctions successives du fourmi-
lion, de l’hirondelle, du corbeau, de la mésange, de la
grenouille, de l’abeille, etc., etc.
Adjonction n’empêchait pas diminution ; en sorte qu’il
faut savoir s’orienter entre les textes surchargés d’articles
adventices et ceux qui écartent ou conservent les données
antiques. Il semble que, même avec les seuls manuscrits
grecs de la Bibliothèque du roi, quelque chose se pouvait
déjà distinguer en ce genre.
3. Ce partage entre les animaux mondes ou immondes
(symbolisant les tendances supérieures ou inférieures de
1 humanité) a tellement préoccupé certains arrangeurs du
Bestiaire, qu ils ont cru devoir y introduire une classifica-
tion établie sur cette base qui n’était nullement celle du
compilateur primitif. D’autres, venus avec de nouvelles
prétentions méthodiques, ont partagé l’ouvrage en bes-
tiaire, volucraire, lapidaire; systèmes d’aménagement
très-peu conformes à l’esprit asiatique.
_ Mais Ie haut moyen âge s’y reconnaissait sans subdivi-
sions si artificielles, et voyait fort bien que le Physiologus
admettait un peu de mélange où il ne s’agiit que de se
reconnaître à l’aide du simple bon sens. Si je ne me
trompe, c’était là encore l’objet principal des peintures
messines (rappelées tout à l’heure), où l’on voit le cerf
porter un calice (page 115). Peu à peu les remaniements
se succédèrent en altérant de plus en plus la forme pri-
mitive qui rappelait davantage une origine persane.
Or, j’ai fait observer que Tatien était venu de la Perse
dans l’empire romain pour y étudier les connaissances et la
religion des Occidentaux. C’est ce qui me fera citer de
temps à autre certaines singularités que conserve encore
la littérature persane sur les animaux.
Quant aux Arméniens, on sait qu’ils ont souvent puisé
dans la littérature syriaque ; et le Physiologus syrus publié
par Tychsen montre bien que la Syrie grecque ne fut
pas seule en possession du vieux Bestiaire plus ou moins
modifié. En passant par différentes mains, le manuscrit
primitif peut avoir reçu progressivement de nouvelles
empreintes. C’est pourquoi il conviendrait de chercher
attentivement et sans hâte un texte aussi voisin de l’ori-
ginal que faire se pourra. « Sat cito, qui sat bene. »
h. Cf. Mélanges, ibid., t. II, p. 106, sv. —Spicil. Solesm.,
ibicl., p. 338, sqq.; 37Zi, sq.; 56, sq. — Petr. Damian., De
bono religiosi status, cap. ni. — Zenon. Veron. (1739), p.2â8.
Le Spéculum Ecclesiœ d’Honorius d’Autun (ou d’Augs-
bourg) en parle dans plus d’un endroit, comme si son sym-
bolisme n'était pas bien fixé. Je me borne donc à ce qu’il
dit pour le jour de Pâques, après diverses figures de la
résurrection du Sauveur (Joseph, Samson, etc.) :
« Horum figura
Est nobis quoque expressa in animalium natura.
Nam fertur quod leo apertis oculis dormiat.
Et cauda sua vestigia deleat
Ne a venatoribus inveniri queat.
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conformément à toutes les exigences de notre langue ou de la critique scrupuleuse.
L’interprète complaisant n’était pas obligé de savoir : 1° qu’on publierait un jour sa version
sans qu’il l’eût revue ; 2° qu’on lui mettait entre les mains un livre très-sujet à caution,
et justiciable de plusieurs sciences assez peu répandues dans le grand public. Combien
de gens ignorent que posséder passablement deux idiomes, ne suffit pas toujours au rôle
de traducteur! Il y faut en outre connaître plus qu’un premier venu les matières traitées
par l’écrit dont on se fait le trucheman.
LE MORALISTE L
Ce livre examine et décrit les mœurs de tous les animaux2; il démontre de diffé-
rentes manières comment les uns excellent {se distinguent entre tons?) par leur analogie
avec les êtres célestes, et comment les autres sont avilis {abaissés au-dessous de leurs
congénères) par leur ressemblance avec les esprits infernaux 3.
I. — LE LION 4.
Le lion a trois natures : 1° Lorsqu’il marche, il sent les chasseurs par son odorat,
1. Il était donc bien clair pour le rédacteur arménien,
que nous avions là un Bestiaire moralisé, mais nullement
un livre qui annonçât des prétentions zoologiques. On
puisait dans le domaine commun des récits acceptés une
matière à leçons religieuses, qui étaient le véritable objet
de l’auteur, et comme son estampille de provenance. Je
ne disais pas autre chose de Taticn (Mélanges, t. Il, p. 88,
sv.), tout en conservant le mot Physiologus, qui pouvait
désigner originairement un livre d’histoire naturelle an-
térieur à la moralisation chrétienne.
-• Tous est trop dire. On a pourtant gardé cet idéal pré-
tentieux dans les rallonges que le Physiologus subissait de
siècle en siècle, avec adjonctions successives du fourmi-
lion, de l’hirondelle, du corbeau, de la mésange, de la
grenouille, de l’abeille, etc., etc.
Adjonction n’empêchait pas diminution ; en sorte qu’il
faut savoir s’orienter entre les textes surchargés d’articles
adventices et ceux qui écartent ou conservent les données
antiques. Il semble que, même avec les seuls manuscrits
grecs de la Bibliothèque du roi, quelque chose se pouvait
déjà distinguer en ce genre.
3. Ce partage entre les animaux mondes ou immondes
(symbolisant les tendances supérieures ou inférieures de
1 humanité) a tellement préoccupé certains arrangeurs du
Bestiaire, qu ils ont cru devoir y introduire une classifica-
tion établie sur cette base qui n’était nullement celle du
compilateur primitif. D’autres, venus avec de nouvelles
prétentions méthodiques, ont partagé l’ouvrage en bes-
tiaire, volucraire, lapidaire; systèmes d’aménagement
très-peu conformes à l’esprit asiatique.
_ Mais Ie haut moyen âge s’y reconnaissait sans subdivi-
sions si artificielles, et voyait fort bien que le Physiologus
admettait un peu de mélange où il ne s’agiit que de se
reconnaître à l’aide du simple bon sens. Si je ne me
trompe, c’était là encore l’objet principal des peintures
messines (rappelées tout à l’heure), où l’on voit le cerf
porter un calice (page 115). Peu à peu les remaniements
se succédèrent en altérant de plus en plus la forme pri-
mitive qui rappelait davantage une origine persane.
Or, j’ai fait observer que Tatien était venu de la Perse
dans l’empire romain pour y étudier les connaissances et la
religion des Occidentaux. C’est ce qui me fera citer de
temps à autre certaines singularités que conserve encore
la littérature persane sur les animaux.
Quant aux Arméniens, on sait qu’ils ont souvent puisé
dans la littérature syriaque ; et le Physiologus syrus publié
par Tychsen montre bien que la Syrie grecque ne fut
pas seule en possession du vieux Bestiaire plus ou moins
modifié. En passant par différentes mains, le manuscrit
primitif peut avoir reçu progressivement de nouvelles
empreintes. C’est pourquoi il conviendrait de chercher
attentivement et sans hâte un texte aussi voisin de l’ori-
ginal que faire se pourra. « Sat cito, qui sat bene. »
h. Cf. Mélanges, ibid., t. II, p. 106, sv. —Spicil. Solesm.,
ibicl., p. 338, sqq.; 37Zi, sq.; 56, sq. — Petr. Damian., De
bono religiosi status, cap. ni. — Zenon. Veron. (1739), p.2â8.
Le Spéculum Ecclesiœ d’Honorius d’Autun (ou d’Augs-
bourg) en parle dans plus d’un endroit, comme si son sym-
bolisme n'était pas bien fixé. Je me borne donc à ce qu’il
dit pour le jour de Pâques, après diverses figures de la
résurrection du Sauveur (Joseph, Samson, etc.) :
« Horum figura
Est nobis quoque expressa in animalium natura.
Nam fertur quod leo apertis oculis dormiat.
Et cauda sua vestigia deleat
Ne a venatoribus inveniri queat.