IiE €11ABIVAES;
— Où donc?
— Ici même, à Pau.... Pas plus lard qu'hier, nous a-
uons eu une cantate.
—Musique de Jean-Jacques Rousseau ?
— Non, de M. Auber, directeur du Conservatoire.
— Paroles de Jean-Baptiste Rousseau ?
— Mon de M. Liadières, député, chef d'escadron, aide
de camp du roi, et Béarnais.
— En l'honneur de Circé ?
— Non; de Henri IV.
Depuis longtemps, Henri, dans une douce extase,
Nos champs et nos cités attendaient ton retour;
Des créneaux de Moncade au donjon de Coozaze
Nos coteaux frémissaient d'amour.
Voilà qui sent sa cantate ou je ne m'y connais pas.
— C'est sublime ! Dieux ! quels transports m'agitent!
— Que n'avez-vous assisté à la cérémonie de l'inaugu-
ration de la statue d'Henri IV ! que n'avez-vous entendu
les voix des quatre cents Gascons, sans compter les au-
torités constituées, s'unir pour faire retentir les airs de
celte magnifique poésie ! Je ne sais vraiment à quoi on
aurait pu comparer vos transports.
— A un torrent ?
— C'est insuffisant.
— A un fleuve?
— C'est trop faible.
— Aux flots tumultueux de l'Océan?
— A la rigueur, on aurait pu se contenter des flots
tumultueux de l'Océan.
Nos coteaux frémissaient d'amour.
Quelle charmante métaphore !
Des créneaux de Moncade au donjon de Coozaze.
Coozaze est un peu dur, mais la grandeur de l'idée ra-
chète la rudesse du vers.
— C'est beau comme la cantate de Circé.
— C'est infiniment plus beau, parole d'honneur II n'y
a rien dans Rousseau de comparable à cette strophe.
Des enfans du Béarn accourus pour t'entendre,
Reconnais-tu celui qui marche au premier rang ?
Nos cœurs en le voyant ne peuvent s'y méprendre,
C'est ton image, c'est ton sang ;
C'est ta jeunesse, Henri, laborieuse et forte;
Et les nobles travaux dont Vincenne a fait foi,
Plus encor que le nom qu'il porte,
Prouvent qu'il est issu de toi.
Depuis les créneaux de Moncade jusqu'au donjon de
Coozaze, les coteaux ont dû frémir de joie en écoutant
cette strophe. Reconnaissez-vous celui qui marche au
premier rang des enfans du Béarn accourus pour l'en-
tendre?
— Pour entendre qui?
— La statue de Henri IV.
— Mais ce n'est pas du français.
— C'est du Liadières. Enfin le reconnaissez-vous ce-
lui qui, etc.....?
— Pas le moins du monde.
— Parbleu ! c'est le duc de Montpensier qui a prouvé
qu'il descendait de Henri IV, en ne passant pas à Vin-
cennes ses examens pour être admis à l'Ecole polytech-
nique.
— Que ce Liadières a de l'esprit, et comme son esprit
est embelli par la délicatesse! Je ne suis ni un créneau de
Moncade, ni un donjon de Coozaze, mais j'en frémis
d'admiration. Ça se chante-t-il sur l'air Vive Henri
Quatre ?
— Non ; cet air est immoral.
Vive Henri quatre,
Vive ce roi vaillant,
Ce diable à quatre
A le tripleraient
De boire et de battre
Et d'être un vert-galant.
Vous concevez qu'on ne pouvait chanter une pareille
chanson devant un jeune homme de dix-huit ans, à cause
du dernier vers surtout :
Et d'être un vert-galant.
Il ne faut pas donner des idées à la jeunesse.
— Sous ce point de vue la cantate de M. Liadières est
irréprochable. Mon Dieu, que cet homme doit bien faire
les tragédies!
— Mieux que les cantates.
— C'est difficile.
— C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire : de-
mandez plutôt au Théâtre-Français, qui lui en a refusé
trois.
— Trois cantates ?
— Non, trois tragédies.
— Eh bien! qu'il les mette en cantates.
— Au fait, il faut bien espérer qu'il n'en restera pas
là, et que la muse béarnaise de M. Liadières n'attendra
pas pour se faire entendre que la dynastie inaugure quel-
que nouveau princillon en province.
— Dieu vous entende ! Je vais écrire à M. Liadières
pour le remercier de m'avoir rendu le bonheur. Ce soir,
je brûlerai la cantate de Circè.
0 créneaux de Moncade, ô donjon de Coozaze!
Comme un simple coteau pour vous je meurs d'amour.
On m'a rendu la cantate. Qu'on ne me laisse pas mou-
rir ! »
J'ai cru devoir, Mr le rédacteur, vous rendre compte
de cette conversation que signale l'heureuse influence
exercée par la cantate-Liadières sur la littérature. Il
vient beaucoup de monde à Pau depuis cette cantate : il
en venait peu avant, et pas du tout pendant, d'où l'on
peut conclure que les amateurs viennent précisément
parce que c'est après.
Agréez, etc. Un Béarnais.
Nous avons dit, il y a quelques jours, d'après la com-
paraison des budgets de 1830 et de 1845, par Jean Le
rond, que tous les ans l'augmentation du prix des four
rages a servi de prétexte à des crédits extraordinaires
complémentaires ou supplémentaires. On a crié à l'exagé
ration. Le relevé suivant, copié, année par année, sur les
livres, est la meilleure preuve que nous puissions fournir.
« 1830. Augmentation du prix des fourrages,
s 1831. Augmentation du prix des fourrages.
» 1832. Augmentation inattendue du prix des four-
rages.
» 1853. Réduction sur un service, déduction faite de
la somme de....., applicable au renchérissement des
fourrages.
j> 1854. Augmentation survenue dans le prix des ra
lions des fourrages.
» 1835. Élévation du prix moyen de la ration des four
rages.
1836. Économie survenue, compensation faite de Té
lévation du prix de la ration des fourrages.
1837. Renchérissement des fourrages.
1838. (Il y a pour cette année un excédant de dépense
assez considérable sur le crédit primitif: mais on ne pour-
rait affirmer que ce soit par suite du renchérissement de
la ration. Les documens explicatifs manquent.)
» 1839. Économie sur.....compensation faite de l'aug-
mentation du prix de la ration de fourrage.
» 1840. Économie sur.....compensation faite du prix
de la ration des fourrages.
» 1841. Augmentation du prix delà ration des four
rages.
1842. Renchérissement du prix des fourragee.
» 1843. Renchérissement du prix des fourrages. »
Une hausse si opiniâtre ne semblerait-elle pas de na-
ture à donner quelque crédit aux mauvaises langues qui
seraient tentées d'expliquer d'une manière peu édifiante
où passe ce fourrage si obstinément ascendant ?
LES PETITS ILOTS ENTRETIENNENT L'AMITIÉ,
On connaît le proverbe : Les amis de nos amis sont
nos amis.
En ce moment, cù la reine d'Angleterre daigne accor-
der une visite à la cour citoyenne, faveur qui cause à
toute la gent officielle et aux journaux dévoués une joie
telle qu'ils en perdent, je ne dis pas l'esprit (et pour
cause), mais la boule,—tout ce qui touche à la souveraine
de Yun des plus puissans empires de Vmivers (comme
dit le Journal des Débats) devient en même temps un ob-
de culte et d'adoration. Les vieilles pantoufles que Vic-
toria peut avoir laissées à Londres doivent bien regret-
ter de ne pas être du voyage, car elles auraient été acca-
blées de complimens enthousiastes et de respectueux
baisers.
Par ce que l'on ferait pour des pantoufles jugez ce
que l'on doit faire pour des amies de S. M. britan-
nique.
Or, l'une de ces amies se trouve à quelques milliers
de lieues de distance, dans une île de l'Océanie. Qu'im-
porte ! l'Amour et M. Guizot ne connaissent par ces dis-
tances-là.
Vous devinez sans doute que nous voulons parler de
Mme Pomaré, souveraine de Taïti. On n'a pas oublié
la charmante lettre que cette Sévigné cuivrée a écrite ré-
cemment à S. M. Victoria, qu'elle appelle sa sœur et sa
chère amie, pour réclamer son assistance contre les
Français, qui, disait-elle, « se sont emparés de nies do-
maines, grâce à la complicité de mes traîtres conseillers
Tairapu, Parata, Titoti, Tati.i Ah! peut-on être traître
avec si jolis noms !
L'infortunée Pomaré^ajoutait, toujours en s'adressant
à Victoria : « Soyez la base de ma puissance... couvrez-
moi de votre grande ombre... guérissez-moi, car je suis
presque morte. » C'est-à-dire que Mme Pomaré voulait
que la jeune souveraine d'Angleterre lui servît tout à la
fois de chaise, d'éventail et d'emplâtre.
On sait également qu'un Commodore anglais est venu
embosser un vaisseau de 74, les canons ayant la gueule
tournée contre nos frégates, afin de servir de post-
scriptum à cette lettre.
La lettre et le post-scriptum ont produit un effet fou-
droyant dans notre monde guizotin. S. M. Pomaré Irc est
la chère amie de notre adorée Victoria, c'est sur S. M,
Victoria qu'elle se repose, dès lors elle nous devient
sacrée, car en gesticulant nous courrions risque dépi-
quer sa baspi
Tout aussitôt le mot d'ordre a été donné aux courti-
sans et aux valets de plume, et les Guizot, les Pasquier,
les Barthe, les Soult et autres Cunin-Gridaine ont changé
à l'instant d'opinions relativement à Taïti avec la pres-
tesse de gens accoutumés à de semblables exercices.
Ces conquêtes océaniques, qu'on exaltait naguère ou-
tre mesure, en comparaison desquelles on considérait
comme fort peu Wagram, Austerlilz, etc., on les ravale
et on s'en gausse à présent. Ce ne sont plus que ^inu-
tiles rochers ; on en fait fi comme d'une poche vide de
Contribuable.
Le contre-amiral Dupetit-Thouars dont on faisait un
Christophe-Colomb, un Jean-Bart qui avait élevé la
France au plus haut point de gloire et de puissance en
plantant le drapeau tricolore sur une butte quelconque
de l'île de Taïti ; Mi Dupetit-Thouars, disons-nous, n'est
plus à présent dans les dialogues officiels qu'un loup de
mer très médiopre et très mal appris. On ne lui pardonne
pas de s'être permis de contrarier la petite Poraare et
de n'avoir pas respecté sa base.
De même pour les dignitaires taïtiens qui ont aide a
soumettre leur pays au protectorat français. Ces digni-
taires, tout à l'heure encore signalés à notre estime et a
notre affection, sont maintenant traités de haut en bas.
Hier, nous assure-t-on, on a entendu dire à M. Guizot.
« Tairapu n'est qu'un drôle, et Titoti un galopin. »
Il n'est assurément pas besoin de posséder les lunettes
et la baguette divinatoires de Barestadamus pour prévoir
à quoi doit aboutir ce changement subit de conduite et
de langage. On comprend que M. Guizot a voulu prepa"
rer les voies à l'abandon de Taïti, qui sait même en faire
hommage hic et nunc à la chère amie de Mme Pomaré.
M. Montalivet insiste, dit-on, surtout pour ce dernier
parti, attendu qu'en offrant en ce moment la clef deTaiU
sur un plat à S. M.Victoria , cela pourrait dispenser de
lui offrir autre chose.
CARIIXON.
Les journaux ministériejs ne parlent que des exqui*
régalades offertes à la reine Victoria. Quant à nous, nous
craignons que Sa Majesté Britannique n'ait uneindiges"
tion de plats d'Eu.
{La suite à la 4e page.)
— Où donc?
— Ici même, à Pau.... Pas plus lard qu'hier, nous a-
uons eu une cantate.
—Musique de Jean-Jacques Rousseau ?
— Non, de M. Auber, directeur du Conservatoire.
— Paroles de Jean-Baptiste Rousseau ?
— Mon de M. Liadières, député, chef d'escadron, aide
de camp du roi, et Béarnais.
— En l'honneur de Circé ?
— Non; de Henri IV.
Depuis longtemps, Henri, dans une douce extase,
Nos champs et nos cités attendaient ton retour;
Des créneaux de Moncade au donjon de Coozaze
Nos coteaux frémissaient d'amour.
Voilà qui sent sa cantate ou je ne m'y connais pas.
— C'est sublime ! Dieux ! quels transports m'agitent!
— Que n'avez-vous assisté à la cérémonie de l'inaugu-
ration de la statue d'Henri IV ! que n'avez-vous entendu
les voix des quatre cents Gascons, sans compter les au-
torités constituées, s'unir pour faire retentir les airs de
celte magnifique poésie ! Je ne sais vraiment à quoi on
aurait pu comparer vos transports.
— A un torrent ?
— C'est insuffisant.
— A un fleuve?
— C'est trop faible.
— Aux flots tumultueux de l'Océan?
— A la rigueur, on aurait pu se contenter des flots
tumultueux de l'Océan.
Nos coteaux frémissaient d'amour.
Quelle charmante métaphore !
Des créneaux de Moncade au donjon de Coozaze.
Coozaze est un peu dur, mais la grandeur de l'idée ra-
chète la rudesse du vers.
— C'est beau comme la cantate de Circé.
— C'est infiniment plus beau, parole d'honneur II n'y
a rien dans Rousseau de comparable à cette strophe.
Des enfans du Béarn accourus pour t'entendre,
Reconnais-tu celui qui marche au premier rang ?
Nos cœurs en le voyant ne peuvent s'y méprendre,
C'est ton image, c'est ton sang ;
C'est ta jeunesse, Henri, laborieuse et forte;
Et les nobles travaux dont Vincenne a fait foi,
Plus encor que le nom qu'il porte,
Prouvent qu'il est issu de toi.
Depuis les créneaux de Moncade jusqu'au donjon de
Coozaze, les coteaux ont dû frémir de joie en écoutant
cette strophe. Reconnaissez-vous celui qui marche au
premier rang des enfans du Béarn accourus pour l'en-
tendre?
— Pour entendre qui?
— La statue de Henri IV.
— Mais ce n'est pas du français.
— C'est du Liadières. Enfin le reconnaissez-vous ce-
lui qui, etc.....?
— Pas le moins du monde.
— Parbleu ! c'est le duc de Montpensier qui a prouvé
qu'il descendait de Henri IV, en ne passant pas à Vin-
cennes ses examens pour être admis à l'Ecole polytech-
nique.
— Que ce Liadières a de l'esprit, et comme son esprit
est embelli par la délicatesse! Je ne suis ni un créneau de
Moncade, ni un donjon de Coozaze, mais j'en frémis
d'admiration. Ça se chante-t-il sur l'air Vive Henri
Quatre ?
— Non ; cet air est immoral.
Vive Henri quatre,
Vive ce roi vaillant,
Ce diable à quatre
A le tripleraient
De boire et de battre
Et d'être un vert-galant.
Vous concevez qu'on ne pouvait chanter une pareille
chanson devant un jeune homme de dix-huit ans, à cause
du dernier vers surtout :
Et d'être un vert-galant.
Il ne faut pas donner des idées à la jeunesse.
— Sous ce point de vue la cantate de M. Liadières est
irréprochable. Mon Dieu, que cet homme doit bien faire
les tragédies!
— Mieux que les cantates.
— C'est difficile.
— C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire : de-
mandez plutôt au Théâtre-Français, qui lui en a refusé
trois.
— Trois cantates ?
— Non, trois tragédies.
— Eh bien! qu'il les mette en cantates.
— Au fait, il faut bien espérer qu'il n'en restera pas
là, et que la muse béarnaise de M. Liadières n'attendra
pas pour se faire entendre que la dynastie inaugure quel-
que nouveau princillon en province.
— Dieu vous entende ! Je vais écrire à M. Liadières
pour le remercier de m'avoir rendu le bonheur. Ce soir,
je brûlerai la cantate de Circè.
0 créneaux de Moncade, ô donjon de Coozaze!
Comme un simple coteau pour vous je meurs d'amour.
On m'a rendu la cantate. Qu'on ne me laisse pas mou-
rir ! »
J'ai cru devoir, Mr le rédacteur, vous rendre compte
de cette conversation que signale l'heureuse influence
exercée par la cantate-Liadières sur la littérature. Il
vient beaucoup de monde à Pau depuis cette cantate : il
en venait peu avant, et pas du tout pendant, d'où l'on
peut conclure que les amateurs viennent précisément
parce que c'est après.
Agréez, etc. Un Béarnais.
Nous avons dit, il y a quelques jours, d'après la com-
paraison des budgets de 1830 et de 1845, par Jean Le
rond, que tous les ans l'augmentation du prix des four
rages a servi de prétexte à des crédits extraordinaires
complémentaires ou supplémentaires. On a crié à l'exagé
ration. Le relevé suivant, copié, année par année, sur les
livres, est la meilleure preuve que nous puissions fournir.
« 1830. Augmentation du prix des fourrages,
s 1831. Augmentation du prix des fourrages.
» 1832. Augmentation inattendue du prix des four-
rages.
» 1853. Réduction sur un service, déduction faite de
la somme de....., applicable au renchérissement des
fourrages.
j> 1854. Augmentation survenue dans le prix des ra
lions des fourrages.
» 1835. Élévation du prix moyen de la ration des four
rages.
1836. Économie survenue, compensation faite de Té
lévation du prix de la ration des fourrages.
1837. Renchérissement des fourrages.
1838. (Il y a pour cette année un excédant de dépense
assez considérable sur le crédit primitif: mais on ne pour-
rait affirmer que ce soit par suite du renchérissement de
la ration. Les documens explicatifs manquent.)
» 1839. Économie sur.....compensation faite de l'aug-
mentation du prix de la ration de fourrage.
» 1840. Économie sur.....compensation faite du prix
de la ration des fourrages.
» 1841. Augmentation du prix delà ration des four
rages.
1842. Renchérissement du prix des fourragee.
» 1843. Renchérissement du prix des fourrages. »
Une hausse si opiniâtre ne semblerait-elle pas de na-
ture à donner quelque crédit aux mauvaises langues qui
seraient tentées d'expliquer d'une manière peu édifiante
où passe ce fourrage si obstinément ascendant ?
LES PETITS ILOTS ENTRETIENNENT L'AMITIÉ,
On connaît le proverbe : Les amis de nos amis sont
nos amis.
En ce moment, cù la reine d'Angleterre daigne accor-
der une visite à la cour citoyenne, faveur qui cause à
toute la gent officielle et aux journaux dévoués une joie
telle qu'ils en perdent, je ne dis pas l'esprit (et pour
cause), mais la boule,—tout ce qui touche à la souveraine
de Yun des plus puissans empires de Vmivers (comme
dit le Journal des Débats) devient en même temps un ob-
de culte et d'adoration. Les vieilles pantoufles que Vic-
toria peut avoir laissées à Londres doivent bien regret-
ter de ne pas être du voyage, car elles auraient été acca-
blées de complimens enthousiastes et de respectueux
baisers.
Par ce que l'on ferait pour des pantoufles jugez ce
que l'on doit faire pour des amies de S. M. britan-
nique.
Or, l'une de ces amies se trouve à quelques milliers
de lieues de distance, dans une île de l'Océanie. Qu'im-
porte ! l'Amour et M. Guizot ne connaissent par ces dis-
tances-là.
Vous devinez sans doute que nous voulons parler de
Mme Pomaré, souveraine de Taïti. On n'a pas oublié
la charmante lettre que cette Sévigné cuivrée a écrite ré-
cemment à S. M. Victoria, qu'elle appelle sa sœur et sa
chère amie, pour réclamer son assistance contre les
Français, qui, disait-elle, « se sont emparés de nies do-
maines, grâce à la complicité de mes traîtres conseillers
Tairapu, Parata, Titoti, Tati.i Ah! peut-on être traître
avec si jolis noms !
L'infortunée Pomaré^ajoutait, toujours en s'adressant
à Victoria : « Soyez la base de ma puissance... couvrez-
moi de votre grande ombre... guérissez-moi, car je suis
presque morte. » C'est-à-dire que Mme Pomaré voulait
que la jeune souveraine d'Angleterre lui servît tout à la
fois de chaise, d'éventail et d'emplâtre.
On sait également qu'un Commodore anglais est venu
embosser un vaisseau de 74, les canons ayant la gueule
tournée contre nos frégates, afin de servir de post-
scriptum à cette lettre.
La lettre et le post-scriptum ont produit un effet fou-
droyant dans notre monde guizotin. S. M. Pomaré Irc est
la chère amie de notre adorée Victoria, c'est sur S. M,
Victoria qu'elle se repose, dès lors elle nous devient
sacrée, car en gesticulant nous courrions risque dépi-
quer sa baspi
Tout aussitôt le mot d'ordre a été donné aux courti-
sans et aux valets de plume, et les Guizot, les Pasquier,
les Barthe, les Soult et autres Cunin-Gridaine ont changé
à l'instant d'opinions relativement à Taïti avec la pres-
tesse de gens accoutumés à de semblables exercices.
Ces conquêtes océaniques, qu'on exaltait naguère ou-
tre mesure, en comparaison desquelles on considérait
comme fort peu Wagram, Austerlilz, etc., on les ravale
et on s'en gausse à présent. Ce ne sont plus que ^inu-
tiles rochers ; on en fait fi comme d'une poche vide de
Contribuable.
Le contre-amiral Dupetit-Thouars dont on faisait un
Christophe-Colomb, un Jean-Bart qui avait élevé la
France au plus haut point de gloire et de puissance en
plantant le drapeau tricolore sur une butte quelconque
de l'île de Taïti ; Mi Dupetit-Thouars, disons-nous, n'est
plus à présent dans les dialogues officiels qu'un loup de
mer très médiopre et très mal appris. On ne lui pardonne
pas de s'être permis de contrarier la petite Poraare et
de n'avoir pas respecté sa base.
De même pour les dignitaires taïtiens qui ont aide a
soumettre leur pays au protectorat français. Ces digni-
taires, tout à l'heure encore signalés à notre estime et a
notre affection, sont maintenant traités de haut en bas.
Hier, nous assure-t-on, on a entendu dire à M. Guizot.
« Tairapu n'est qu'un drôle, et Titoti un galopin. »
Il n'est assurément pas besoin de posséder les lunettes
et la baguette divinatoires de Barestadamus pour prévoir
à quoi doit aboutir ce changement subit de conduite et
de langage. On comprend que M. Guizot a voulu prepa"
rer les voies à l'abandon de Taïti, qui sait même en faire
hommage hic et nunc à la chère amie de Mme Pomaré.
M. Montalivet insiste, dit-on, surtout pour ce dernier
parti, attendu qu'en offrant en ce moment la clef deTaiU
sur un plat à S. M.Victoria , cela pourrait dispenser de
lui offrir autre chose.
CARIIXON.
Les journaux ministériejs ne parlent que des exqui*
régalades offertes à la reine Victoria. Quant à nous, nous
craignons que Sa Majesté Britannique n'ait uneindiges"
tion de plats d'Eu.
{La suite à la 4e page.)