FANTASIA
— Et Hortense ! on ne la voit plus ?
— C’est plus fort qu’elle; il faut, chaque année, qu’elle aille faire ses 28 jours de Paris!
risien était l’unique mise de ma fortune future. Je la
portai à son adresse; puis, insoucieux comme on
l’est à cet âge, j’aurais peut-être, négligé les fasti-
dieuses démarches du solliciteur, — quand j’appris
qu’un compétiteur, un ennemi de ma famille, cher-
chait à me supplanter.
Il ne m’en fallut pas davantage pour décupler
mes forces. C’était un duel qui s'engageait. Je m’ar-
mai en guerre et je triomphai.
Plus tard .. Ma femme n’est pas là, messieurs, —
et je puis, sans la faire rougir, vous dire combien ce
mariage fut dans ma vie une joie, un bonheur, un
enchantement!
Peu s’en fallut pourtant que je ne visse ma femme
Unie à un autre. Un excellent ennemi, à qui j’ai
voué une éternelle gratitude; il l’a bien gagnée, le
cher garçon !
C’était, en effet, sur la volonté de mon père que
j’allais me marier. Inutile d’ajouter que je ne brûlais
Pour cet hymen que d’un enthousiasme excessive-
ment tempéré. Soudain, j’apprends la rivalité en
question. Je suis piqué au vif. Je cours chez ma fu-
ture.
Ma parole, je crois que je la regardais pour la
Première fois avec attention. Charmant examen ! A
chaque découverte, je bénissais mon ennemi protec-
tecteur... Ce pied que j’avais méconnu, sans lui je
n’en aurais pas apprécié la finesse; ces yeux que
tes miens avaient dédaignés, c’était lui qui m’en fai-
sait admirer l’éloquent éclat; cette voix que j’avais
entendue sans l'écoutor, je lui devais d’en savourer
la mélodie Quand je sortis, je n’étais plus le fiancé
par contrainte, mais bien un amoureux fervent et
convaincu!
Un ennemi m’avait appris à aimer!
Il eut l'obligeance de contribuer encore à ce que
mon amour fût heureux. Pour cela, il suffit de deux
ou trois bonnes calomnies.
Vous comprenez, messieurs, que si l’ona quelques
petits mérites, quelques humbles qualités, il serait
du dernier mauvais goût d'en faire parade. Je de-
vais, en conséquence, paraître bien effacé.
Mais les calomnies en question motivèrent une
enquête. Mon beau-père ne voulait pas donner sa
fille à un débauché, à un prodigue, à un... Mon en-
nemi avait fait bonne mesure, Dieu merci!
Il se trouva que chacun des défauts dont il m’avait
généreusement doté amena la découverte d’une pau-
vre petite qualité qui en était justement le contraire
Vous savez le reste, et vous avez vu mon ménage.
Enfin, messieurs, j'ai dû à la réussite de mes en-
treprises une richesse qui s’accroît au delà de mes
espérances. Vous l’avouerai-je? Si je n’avais à la
Caisse d’épargne une ou deux de ces bonnes douzai-
nes d’ennemis que la réussite traîne avec soi, je ne
me sentirais pas sans inquiétude.
Le terrain des affaires est un terrain glissant. Une
lisière étroite y sépare souvent le bien du mal, ce
qui est honnête de ce qui ne l’est pas.
Notre époque a là-dessus des principes d’accom-
modement qui en ont déjà perdu plus d’un.
Quoique je pense avoir attesté ma probité, j’aurais
pu trébucher où les autres tombèrent; mes bons
ennemis étaient là pour me retenir!
A chaque opération, je ne me demandais pas ce
que diraient mes amis, ce que diraient les indiffé-
rents, ce que diraient les lois. Je songeais à eux. Je
les voyais guettant l’occasion, épiant le moindre
vacillemcnt, le moindre faux pas; et sous cette sur-
veillance, mon honneur, se redressant de lui-même,
marchait droit et ferme, comme un soldat sous les
yeux de son colonel.
Ce que je vous ai dit de moi, messieurs, a, je l’es-
père, commencé à vous convaincre. Il serait aisé
d’en faire l’application à chacun, selon son rang, sa
profession, son caractère.
Descendez en vous-mêmes et demandez-vous si,
à votre insu, vous n’avez pas subi l’influence que je
vous signale.
Voilà pourquoi je vous demande la permission de
crier comme un ennemi : A bas les amis! Vivent les
ennemis !
Ce qui ne m'empêche pas, messieurs, ajouta l’ora-
teur. en terminant et en tendant la main à ses hôtes,
de vous apprécier tous à votre juste valeur, quand
surtout vous avez eu l’héroïque courage de subir une
dissertation de si longue haleine.
FANTASIO.
— Et Hortense ! on ne la voit plus ?
— C’est plus fort qu’elle; il faut, chaque année, qu’elle aille faire ses 28 jours de Paris!
risien était l’unique mise de ma fortune future. Je la
portai à son adresse; puis, insoucieux comme on
l’est à cet âge, j’aurais peut-être, négligé les fasti-
dieuses démarches du solliciteur, — quand j’appris
qu’un compétiteur, un ennemi de ma famille, cher-
chait à me supplanter.
Il ne m’en fallut pas davantage pour décupler
mes forces. C’était un duel qui s'engageait. Je m’ar-
mai en guerre et je triomphai.
Plus tard .. Ma femme n’est pas là, messieurs, —
et je puis, sans la faire rougir, vous dire combien ce
mariage fut dans ma vie une joie, un bonheur, un
enchantement!
Peu s’en fallut pourtant que je ne visse ma femme
Unie à un autre. Un excellent ennemi, à qui j’ai
voué une éternelle gratitude; il l’a bien gagnée, le
cher garçon !
C’était, en effet, sur la volonté de mon père que
j’allais me marier. Inutile d’ajouter que je ne brûlais
Pour cet hymen que d’un enthousiasme excessive-
ment tempéré. Soudain, j’apprends la rivalité en
question. Je suis piqué au vif. Je cours chez ma fu-
ture.
Ma parole, je crois que je la regardais pour la
Première fois avec attention. Charmant examen ! A
chaque découverte, je bénissais mon ennemi protec-
tecteur... Ce pied que j’avais méconnu, sans lui je
n’en aurais pas apprécié la finesse; ces yeux que
tes miens avaient dédaignés, c’était lui qui m’en fai-
sait admirer l’éloquent éclat; cette voix que j’avais
entendue sans l'écoutor, je lui devais d’en savourer
la mélodie Quand je sortis, je n’étais plus le fiancé
par contrainte, mais bien un amoureux fervent et
convaincu!
Un ennemi m’avait appris à aimer!
Il eut l'obligeance de contribuer encore à ce que
mon amour fût heureux. Pour cela, il suffit de deux
ou trois bonnes calomnies.
Vous comprenez, messieurs, que si l’ona quelques
petits mérites, quelques humbles qualités, il serait
du dernier mauvais goût d'en faire parade. Je de-
vais, en conséquence, paraître bien effacé.
Mais les calomnies en question motivèrent une
enquête. Mon beau-père ne voulait pas donner sa
fille à un débauché, à un prodigue, à un... Mon en-
nemi avait fait bonne mesure, Dieu merci!
Il se trouva que chacun des défauts dont il m’avait
généreusement doté amena la découverte d’une pau-
vre petite qualité qui en était justement le contraire
Vous savez le reste, et vous avez vu mon ménage.
Enfin, messieurs, j'ai dû à la réussite de mes en-
treprises une richesse qui s’accroît au delà de mes
espérances. Vous l’avouerai-je? Si je n’avais à la
Caisse d’épargne une ou deux de ces bonnes douzai-
nes d’ennemis que la réussite traîne avec soi, je ne
me sentirais pas sans inquiétude.
Le terrain des affaires est un terrain glissant. Une
lisière étroite y sépare souvent le bien du mal, ce
qui est honnête de ce qui ne l’est pas.
Notre époque a là-dessus des principes d’accom-
modement qui en ont déjà perdu plus d’un.
Quoique je pense avoir attesté ma probité, j’aurais
pu trébucher où les autres tombèrent; mes bons
ennemis étaient là pour me retenir!
A chaque opération, je ne me demandais pas ce
que diraient mes amis, ce que diraient les indiffé-
rents, ce que diraient les lois. Je songeais à eux. Je
les voyais guettant l’occasion, épiant le moindre
vacillemcnt, le moindre faux pas; et sous cette sur-
veillance, mon honneur, se redressant de lui-même,
marchait droit et ferme, comme un soldat sous les
yeux de son colonel.
Ce que je vous ai dit de moi, messieurs, a, je l’es-
père, commencé à vous convaincre. Il serait aisé
d’en faire l’application à chacun, selon son rang, sa
profession, son caractère.
Descendez en vous-mêmes et demandez-vous si,
à votre insu, vous n’avez pas subi l’influence que je
vous signale.
Voilà pourquoi je vous demande la permission de
crier comme un ennemi : A bas les amis! Vivent les
ennemis !
Ce qui ne m'empêche pas, messieurs, ajouta l’ora-
teur. en terminant et en tendant la main à ses hôtes,
de vous apprécier tous à votre juste valeur, quand
surtout vous avez eu l’héroïque courage de subir une
dissertation de si longue haleine.
FANTASIO.