SOIXANTE-UNIEME ANNÉE
Prix du Numéro : SS centimes
MARDI 19 JANVIER 1892
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois... 36 —
Un an. 72 —
(LES MANDATS TÉLÉGRAPHIQUES NB SONT PAS REÇUS)
£« abonnements parlent des 1" et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Clioi
BUREAUX
EE La Rédaction et de l’administration
Rue de la Victoire 20
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(LES MANDATS TÉLÉGRAPHIQUES NE SONT PAS REÇUS)
l’abonnement d’un an donne droit â la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
M. Du gué de la Fauconnerie ne se laisse pas
intimider par le prestige épiscopal.
Il a rivé son clou à l’évêque Trégaro d’une
main fort experte. Et parlant des évêques conspi-
rateurs, il leur a porté ce coup droit :
« Puisque Votre Grandeur me met dans l’obli-
gation de dire ce que je pense de ces évêques-là,
je vais le taire : sans gros mots, parce que ce
n’est pas ma manière, mais sans réticence non
plus, parce que c’est mon habitude.
» Je pense de ces évêques-là, qu’ils violent ou-
vertement l’esprit et la discipline de l’Église;
qu’ils violent l’esprit de l’Église qui est l’esprit
de charité, en entretenant et en excitant les
Passions des partis au lieu de les apaiser; qu’ils
violent la discipline de l’Église, parce qu’ils
savent bien, quoi qu’ils puissent prétendre, que
le pape blâme leur altitude, et qu’ils la gardent
cependant, au risque d’entendre demain les curés
de leur diocèse dire : « Pourquoi donc serions-
nous tenus d’obéir à nos évêques, si nos évêques
^'obéissent pas au pape?... »
Si l’épiscopat français avait souci, je ne dis pas
de ses devoirs, mais simplement de ses intérêts,
il comprendrait qu’il joue un jeu absurde, un jeu
où il n’a rien à gagner, où il a tout à perdre.
La monarchie, il ne la reverra jamais en France.
Quel besoin éprouve-t-il donc de se lier à ce
cadavre ?
Il est, de plus, en train de fabriquer les verges
avec lesquelles on le fouettera. Le bas clergé a
de graves sujets de plainte contre la tyrannie
épiscopale. Or, ces messieurs, en méconnaissant
l’autorité pontificale, enseignent â méconnaître
la leur.
Vous verrez — nous en sommes plus près
Ùh’ils ne se le figurent — éclater, un beau jour,
llùe révolution de sacristie. Et ils pourront se
Vaûter, ces imprévoyants, d’avoir, par leurs
s°ltises, déchaîné cette tempête dans un bénitier.
Le sort de la Censure estjen train de se décider.
Il s’agit, vous le savez, d’expérimenter pour
la première fois le système des réformes inter-
mittentes.
On n avait pas encore songé à suspendre pro-
visoirement le fonctionnement de tel ou tel
rouage administratif, il est à croire qu’un pre-
mier essai serait suivi de bien d’autres, la mé-
thode étant aussi séduisante que périlleuse.
En ce qui concerne spécialement la Censure,
les événements semblent s’être combinés pour
lai faire une réclame préservatrice.
Que pourrait-on, en effet, imaginer de plus dé-
monstratif en sa faveur que les incongruités du
théâtre naturaliste?
Les auteurs eux-mêmes, s’ils devaient, incapa-
bles de se mesurer à eux-mêmes la liberté, abou-
tir comme M. de Chirac à quinze mois de prison,
les auteurs eux-mêmes n’auraient-ils pas intérêt
â conserver ce frein nécessaire?
Sans compter que le désarmement théâtral me-
nacerait d’engendrer ces complications vraiment
cocasses dont on s’est préoccupé à l’avance dans le
conseil des ministres.
Si des cas, comme celui du Théâtre-Réaliste,
venaient à se produire, il faudrait, dès que le
délit serait commis, que l’acteur qui s’en est
rendu coupable fut aussitôt arrêté pour flagrant
délit. Tout au moins, il faudrait que le délit fût
constaté afin d’engager des poursuites ultérieu-
rement. Mais, comme il n’existe aucun moyen
dans la loi pour supprimer la pièce pendant toute
la durée du procès, depuis l’ouverture des pour-
suites jusqu’au jugement définitif, la pièce pour •
rait être jouée, sans qu’il y eut récidive, puisqu’il
ne peut y avoir récidive que lorsqu’il y a eu con-
damnation. En outre, lorsque la condamnation
serait intervenue, comme le délit est personnel,
la pièce pourrait continuer d’être jouée avec
d’autres interprètes, de sorte que, en définitive,
le gouvernement se trouverait absolument dé-
sarmé.
Aimable situation, promettant de jolis régals
aux Parisiens.
Choisir, pour abolir la Censure, le moment où
les insanités et les immoralités se déchaînent
avec un redoublement d’hystérie, n’est-ce pas
absolument comme si un orateur montait à la
tribune de la Chambre pour y tenir ce langage :
— Messieurs, la statistique venant de constater
officiellement que le nombre des crimes et délits
a, dans la bonne ville de Paris, décuplé l’année
dernière, nous avons l'honneur de déposer un
projet de loi abolissant les gendarmes, les ser-
gents de ville et les commissaires de police.
Celui qui tiendrait ce langage aurait quelque
chance d’être conduit séance tenante à Bicêtre.
Et cependant vous trouvez des gens pour procla-
mer que l’abolition de la Censure est une mesure
libérale !
Je ne crois pas qu’on rende service à la liberté
en faisant tout ce qu’il faut pour dégoûter d’elle.
Pierre Véron.
LE QUATRAIN D'HIER
En vain le carnaval prépare ses Ohé!
Tu ferais double emploi, vieux Daphnis sans Chloé,
Puisque toute l'année avec nos frelatages,
Le masque maintenant reste sur les visages.
SIFFLET.
IL EST AVEC LE CIEL...
... Des accommodements.
Il y a belle lurette que nous savons cela. Mais
il n’est peut-être pas inutile d’en donner une
nouvelle preuve D’autant qu’elle me paraît fort
amusante et également propre à servir à l’édifi-
cation des masses qui, depuis des siècles, sont
les complices de cette vaste entreprise qui con-
siste à exploiter l’idée de Dieu, celle du diable,
et à mettre en actions un paradis sur lequel
nous manquons complètement de renseigne-
ments.
Donc, il paraît que ce que le clergé vend le
plus, ce sont des messes. On lui en demande des
tas, des tas, et de tous les côtés. Pourtant, cer-
taines églises sont particulièrement favorisées,
et alors qu’elles ne peuvent suffire à la besogne,
d’autres ont des loisirs et sont dans le marasme,
presque dans la dèchel
***
Or, la dèche, ce n’est pas beaucoup l’affaire
des gens d’église, qui jamais ne connurent la
lutte pour la vie, et ont pris, en même temps que
la soutane, la dnuce habitude de vivre grasse-
ment, — même les jours dits maigres, — aux
dépens d’autrui.
Oui, les gogos, souvent se trouvaient frustrés.
Ils paient cent sous pour avoir une messe à eux,
pour eux, — égoïstes, val — et on ne leur en
donne qu’un tout petit morceau, car la même
sert aussi à d’autres « intentions ».
Aussi, frappé des multiples inconvénients de
cet état de choses absolument lamentable, un in-
dustriel roublard — tous mes compliments, cher
monsieur! — s’est empressé de monter une
agence que je recommande, avec le plus vif em-
pressement, â votre sincère et précieuse admira-
tion.
***
Il s’est adressé aux curés surchargés de mes-
ses, et leur a tenu ce suggestif langage:
— Vous vous plaignez, ô prêtres, ô ministres
d’un Dieu qui jamais ne vous nomma ministres de
quoi que ce soit? Vous vous plaignez? Eh bien,
vous avez tort I Vous êtes débordés par les de-
mandes de « saints sacrifices » â accomplir, et
pensez, sans nul doute, que si vous exécutiez tou-
tes les commandes, cela vous empêcherait de dé-
jeuner copieusement, ainsi que vous en avez l’ex-
cellente habitude?... Per Bacco ! tout peut s’ar-
ranger, car il est avec le ciel des accommode-
ments. Passez-moi les messes que vous ne pour-
rez pas dire, et que je ferai dire, moi, par les
prêtres attachés â des paroisses ne jouissant lias
de la faveur des fidèles; envoyez-m’en le mon-
I
Prix du Numéro : SS centimes
MARDI 19 JANVIER 1892
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois... 36 —
Un an. 72 —
(LES MANDATS TÉLÉGRAPHIQUES NB SONT PAS REÇUS)
£« abonnements parlent des 1" et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Clioi
BUREAUX
EE La Rédaction et de l’administration
Rue de la Victoire 20
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(LES MANDATS TÉLÉGRAPHIQUES NE SONT PAS REÇUS)
l’abonnement d’un an donne droit â la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
M. Du gué de la Fauconnerie ne se laisse pas
intimider par le prestige épiscopal.
Il a rivé son clou à l’évêque Trégaro d’une
main fort experte. Et parlant des évêques conspi-
rateurs, il leur a porté ce coup droit :
« Puisque Votre Grandeur me met dans l’obli-
gation de dire ce que je pense de ces évêques-là,
je vais le taire : sans gros mots, parce que ce
n’est pas ma manière, mais sans réticence non
plus, parce que c’est mon habitude.
» Je pense de ces évêques-là, qu’ils violent ou-
vertement l’esprit et la discipline de l’Église;
qu’ils violent l’esprit de l’Église qui est l’esprit
de charité, en entretenant et en excitant les
Passions des partis au lieu de les apaiser; qu’ils
violent la discipline de l’Église, parce qu’ils
savent bien, quoi qu’ils puissent prétendre, que
le pape blâme leur altitude, et qu’ils la gardent
cependant, au risque d’entendre demain les curés
de leur diocèse dire : « Pourquoi donc serions-
nous tenus d’obéir à nos évêques, si nos évêques
^'obéissent pas au pape?... »
Si l’épiscopat français avait souci, je ne dis pas
de ses devoirs, mais simplement de ses intérêts,
il comprendrait qu’il joue un jeu absurde, un jeu
où il n’a rien à gagner, où il a tout à perdre.
La monarchie, il ne la reverra jamais en France.
Quel besoin éprouve-t-il donc de se lier à ce
cadavre ?
Il est, de plus, en train de fabriquer les verges
avec lesquelles on le fouettera. Le bas clergé a
de graves sujets de plainte contre la tyrannie
épiscopale. Or, ces messieurs, en méconnaissant
l’autorité pontificale, enseignent â méconnaître
la leur.
Vous verrez — nous en sommes plus près
Ùh’ils ne se le figurent — éclater, un beau jour,
llùe révolution de sacristie. Et ils pourront se
Vaûter, ces imprévoyants, d’avoir, par leurs
s°ltises, déchaîné cette tempête dans un bénitier.
Le sort de la Censure estjen train de se décider.
Il s’agit, vous le savez, d’expérimenter pour
la première fois le système des réformes inter-
mittentes.
On n avait pas encore songé à suspendre pro-
visoirement le fonctionnement de tel ou tel
rouage administratif, il est à croire qu’un pre-
mier essai serait suivi de bien d’autres, la mé-
thode étant aussi séduisante que périlleuse.
En ce qui concerne spécialement la Censure,
les événements semblent s’être combinés pour
lai faire une réclame préservatrice.
Que pourrait-on, en effet, imaginer de plus dé-
monstratif en sa faveur que les incongruités du
théâtre naturaliste?
Les auteurs eux-mêmes, s’ils devaient, incapa-
bles de se mesurer à eux-mêmes la liberté, abou-
tir comme M. de Chirac à quinze mois de prison,
les auteurs eux-mêmes n’auraient-ils pas intérêt
â conserver ce frein nécessaire?
Sans compter que le désarmement théâtral me-
nacerait d’engendrer ces complications vraiment
cocasses dont on s’est préoccupé à l’avance dans le
conseil des ministres.
Si des cas, comme celui du Théâtre-Réaliste,
venaient à se produire, il faudrait, dès que le
délit serait commis, que l’acteur qui s’en est
rendu coupable fut aussitôt arrêté pour flagrant
délit. Tout au moins, il faudrait que le délit fût
constaté afin d’engager des poursuites ultérieu-
rement. Mais, comme il n’existe aucun moyen
dans la loi pour supprimer la pièce pendant toute
la durée du procès, depuis l’ouverture des pour-
suites jusqu’au jugement définitif, la pièce pour •
rait être jouée, sans qu’il y eut récidive, puisqu’il
ne peut y avoir récidive que lorsqu’il y a eu con-
damnation. En outre, lorsque la condamnation
serait intervenue, comme le délit est personnel,
la pièce pourrait continuer d’être jouée avec
d’autres interprètes, de sorte que, en définitive,
le gouvernement se trouverait absolument dé-
sarmé.
Aimable situation, promettant de jolis régals
aux Parisiens.
Choisir, pour abolir la Censure, le moment où
les insanités et les immoralités se déchaînent
avec un redoublement d’hystérie, n’est-ce pas
absolument comme si un orateur montait à la
tribune de la Chambre pour y tenir ce langage :
— Messieurs, la statistique venant de constater
officiellement que le nombre des crimes et délits
a, dans la bonne ville de Paris, décuplé l’année
dernière, nous avons l'honneur de déposer un
projet de loi abolissant les gendarmes, les ser-
gents de ville et les commissaires de police.
Celui qui tiendrait ce langage aurait quelque
chance d’être conduit séance tenante à Bicêtre.
Et cependant vous trouvez des gens pour procla-
mer que l’abolition de la Censure est une mesure
libérale !
Je ne crois pas qu’on rende service à la liberté
en faisant tout ce qu’il faut pour dégoûter d’elle.
Pierre Véron.
LE QUATRAIN D'HIER
En vain le carnaval prépare ses Ohé!
Tu ferais double emploi, vieux Daphnis sans Chloé,
Puisque toute l'année avec nos frelatages,
Le masque maintenant reste sur les visages.
SIFFLET.
IL EST AVEC LE CIEL...
... Des accommodements.
Il y a belle lurette que nous savons cela. Mais
il n’est peut-être pas inutile d’en donner une
nouvelle preuve D’autant qu’elle me paraît fort
amusante et également propre à servir à l’édifi-
cation des masses qui, depuis des siècles, sont
les complices de cette vaste entreprise qui con-
siste à exploiter l’idée de Dieu, celle du diable,
et à mettre en actions un paradis sur lequel
nous manquons complètement de renseigne-
ments.
Donc, il paraît que ce que le clergé vend le
plus, ce sont des messes. On lui en demande des
tas, des tas, et de tous les côtés. Pourtant, cer-
taines églises sont particulièrement favorisées,
et alors qu’elles ne peuvent suffire à la besogne,
d’autres ont des loisirs et sont dans le marasme,
presque dans la dèchel
***
Or, la dèche, ce n’est pas beaucoup l’affaire
des gens d’église, qui jamais ne connurent la
lutte pour la vie, et ont pris, en même temps que
la soutane, la dnuce habitude de vivre grasse-
ment, — même les jours dits maigres, — aux
dépens d’autrui.
Oui, les gogos, souvent se trouvaient frustrés.
Ils paient cent sous pour avoir une messe à eux,
pour eux, — égoïstes, val — et on ne leur en
donne qu’un tout petit morceau, car la même
sert aussi à d’autres « intentions ».
Aussi, frappé des multiples inconvénients de
cet état de choses absolument lamentable, un in-
dustriel roublard — tous mes compliments, cher
monsieur! — s’est empressé de monter une
agence que je recommande, avec le plus vif em-
pressement, â votre sincère et précieuse admira-
tion.
***
Il s’est adressé aux curés surchargés de mes-
ses, et leur a tenu ce suggestif langage:
— Vous vous plaignez, ô prêtres, ô ministres
d’un Dieu qui jamais ne vous nomma ministres de
quoi que ce soit? Vous vous plaignez? Eh bien,
vous avez tort I Vous êtes débordés par les de-
mandes de « saints sacrifices » â accomplir, et
pensez, sans nul doute, que si vous exécutiez tou-
tes les commandes, cela vous empêcherait de dé-
jeuner copieusement, ainsi que vous en avez l’ex-
cellente habitude?... Per Bacco ! tout peut s’ar-
ranger, car il est avec le ciel des accommode-
ments. Passez-moi les messes que vous ne pour-
rez pas dire, et que je ferai dire, moi, par les
prêtres attachés â des paroisses ne jouissant lias
de la faveur des fidèles; envoyez-m’en le mon-
I