PARISIANÀ
15
— Monsieur! Pour qui me prene,-vous?
— Mais, madame, je ne prends rien, j’examine!
SCÈNES ET FAUT.
LES INDISCRÉTIONS D’UN VESTIAIRE
La poésie de M. Scribe, à propos d’une loge de
comédienne dans l’Ambassadrice, s exprimai ja
cn ces termes choisis :
Que ces murs coquets,
S’ils n’étaient discrets,
Diraient de secrets!
Ce souvenir m’est revenu à l’esprit, l'autre soir,
en arrivant dans une des mille soirées qui allument
durant chaque nuit leurs bougies nocturnes dans
les vingt arrondissements de Paris.
Le domestique obséquieux s’était avancé avec em-
pressement et me désignait une pièce latérale :
— Si monsieur veut entrer au vestiaire pour se
débarrasser de son paletot?
J’entrai.
Une chose curieuse qu’un vestiaire de bal 1 Un
fendez-vous étrange d’objets hétéroclites. Un excel-
lent observatoire — pour ceux qui aiment à obser-
C’est là que les chrysalides deviennent papillons.
Attention! Voici les burnous blancs, bleus ou ro-
ses qui passent. Comment discerner sous ces voiles
que le froid a entre-croisés la laideur ou la beauté,
le printemps ou l’automne?
Mais au vestiaire les fourrures tombent, la femme
reste et l’incertitude s’évanouit.
Vite une épingle par-ci, pour soutenir l’édifice de
la coiffure que les cahots de la voiture ont ébranlé;
un peu de carmin par-là, pour rendre leur élasticité
de sourire aux lèvres que le froid a gercées. Resti-
tuons aux manches leurs gigots; et surtout répétons
une dernière fois l’expression de visage que nous
devons conserver pendant toute la nuit.
Mais là où surtout le vestiaire deviendrait réelle-
ment le plus intéressant des cours de science mon-
daine, ce serait si l’on pouvait, pour un instant,
explorer l’intérieur de toutes les poches des vête-
ments qui y sont accrochés.
Les poches, c’est l’homme même, a dit, après
Bulton, un sage moderne.
Et je vous assure qu’il n’aurait pas tort, si, avec
la double vue d’Asmodée, on pratiquait le recense-
ment en question.
— A qui ce pardessus?
— A cet honnête habitant de Montrouge, abonné
de la Gazette des Tribunaux. Les récits d’attaques
nocturnes lui causent de tels cauchemars, qu’il ne
sort plus le soir sans les pistolets pour rire que
vous voyez là, dans la poche de côté.
— A qui ce mac-farlane?
— A ce ci-devant jeune homme qui fait, avec sa
main en éventail, miroiter l’entournure de son gilet
de satin noir.
Dans la poche... hum 1 huml... dans la poche, une
petite boîte de fard des mousquetaires, accompa-
gnée d’une brosse microscopique, le tout pour ca-
cher, avant de paraître aux lumières, les lacunes
grisonnantes d’une moustache mise en couleur.
— A qui le paletot?
— Au poète ordinaire de la maison. Dans sa po-
che, le manuscrit horriblement raturé des vers qu’il
compte prochainement improviser à la fin du sou-
per.
— Et celui-ci ?
— A cet excellent docteur qui fait son whist avec
placidité. Mais, comme il n’a pas de temps à perdre,
il a emporté prudemment, et au cas où il s’attarde-
rait, l’instrument avec lequel il doit pratiquer, dès la
première heure, un amour d’opération.
— Et celui-là ?
— A ce jouvenceau, irréprochablement tiré aux
quatre épingles du gommage. On jurerait un grand
seigneur. Hélas ! tout ce qui reluit n’est pas or. Dans
sa poche, une belle petite saisie sur papier timbré!
Il polke sur un volcan.
Voilà pourquoi je vous disais qu’un vestiaire est
un précieux observatoire,
FANTASIO.
15
— Monsieur! Pour qui me prene,-vous?
— Mais, madame, je ne prends rien, j’examine!
SCÈNES ET FAUT.
LES INDISCRÉTIONS D’UN VESTIAIRE
La poésie de M. Scribe, à propos d’une loge de
comédienne dans l’Ambassadrice, s exprimai ja
cn ces termes choisis :
Que ces murs coquets,
S’ils n’étaient discrets,
Diraient de secrets!
Ce souvenir m’est revenu à l’esprit, l'autre soir,
en arrivant dans une des mille soirées qui allument
durant chaque nuit leurs bougies nocturnes dans
les vingt arrondissements de Paris.
Le domestique obséquieux s’était avancé avec em-
pressement et me désignait une pièce latérale :
— Si monsieur veut entrer au vestiaire pour se
débarrasser de son paletot?
J’entrai.
Une chose curieuse qu’un vestiaire de bal 1 Un
fendez-vous étrange d’objets hétéroclites. Un excel-
lent observatoire — pour ceux qui aiment à obser-
C’est là que les chrysalides deviennent papillons.
Attention! Voici les burnous blancs, bleus ou ro-
ses qui passent. Comment discerner sous ces voiles
que le froid a entre-croisés la laideur ou la beauté,
le printemps ou l’automne?
Mais au vestiaire les fourrures tombent, la femme
reste et l’incertitude s’évanouit.
Vite une épingle par-ci, pour soutenir l’édifice de
la coiffure que les cahots de la voiture ont ébranlé;
un peu de carmin par-là, pour rendre leur élasticité
de sourire aux lèvres que le froid a gercées. Resti-
tuons aux manches leurs gigots; et surtout répétons
une dernière fois l’expression de visage que nous
devons conserver pendant toute la nuit.
Mais là où surtout le vestiaire deviendrait réelle-
ment le plus intéressant des cours de science mon-
daine, ce serait si l’on pouvait, pour un instant,
explorer l’intérieur de toutes les poches des vête-
ments qui y sont accrochés.
Les poches, c’est l’homme même, a dit, après
Bulton, un sage moderne.
Et je vous assure qu’il n’aurait pas tort, si, avec
la double vue d’Asmodée, on pratiquait le recense-
ment en question.
— A qui ce pardessus?
— A cet honnête habitant de Montrouge, abonné
de la Gazette des Tribunaux. Les récits d’attaques
nocturnes lui causent de tels cauchemars, qu’il ne
sort plus le soir sans les pistolets pour rire que
vous voyez là, dans la poche de côté.
— A qui ce mac-farlane?
— A ce ci-devant jeune homme qui fait, avec sa
main en éventail, miroiter l’entournure de son gilet
de satin noir.
Dans la poche... hum 1 huml... dans la poche, une
petite boîte de fard des mousquetaires, accompa-
gnée d’une brosse microscopique, le tout pour ca-
cher, avant de paraître aux lumières, les lacunes
grisonnantes d’une moustache mise en couleur.
— A qui le paletot?
— Au poète ordinaire de la maison. Dans sa po-
che, le manuscrit horriblement raturé des vers qu’il
compte prochainement improviser à la fin du sou-
per.
— Et celui-ci ?
— A cet excellent docteur qui fait son whist avec
placidité. Mais, comme il n’a pas de temps à perdre,
il a emporté prudemment, et au cas où il s’attarde-
rait, l’instrument avec lequel il doit pratiquer, dès la
première heure, un amour d’opération.
— Et celui-là ?
— A ce jouvenceau, irréprochablement tiré aux
quatre épingles du gommage. On jurerait un grand
seigneur. Hélas ! tout ce qui reluit n’est pas or. Dans
sa poche, une belle petite saisie sur papier timbré!
Il polke sur un volcan.
Voilà pourquoi je vous disais qu’un vestiaire est
un précieux observatoire,
FANTASIO.