SOIXANTE-UNIEME ANNEE
Prix dis Numéro : SS centimes
JEUDI 7 AVRIL 1892
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
Les abonnements partent des /•' et <0 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE \ ÉB0X
Bédacfeur en Chef
,.y
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DK L'ADMINISTRATION
Rue de la Victoire 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr-
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicii b
92, Rue Richelieu
BULLETIN POLITIQUE
Si Anastay est â la veille de perdre complète-
ment la tête, on est en droit de craindre que .son
zélé défenseur ne l’ait perdue partiellement.
L’avocat, qui met toute sa persévérance â
accomplir jusqu’au bout la lourde tâche assumée
par lui, n’a-t-il pas cru devoir faire auprès du
chef de l’État une démarche personnelle pour lui
demander de soumettre son client à l’examen du
docteur Brouardel!
La confiance spéciale témoignée à ce médecin
peut êti e très flatteuse pour son prestige, mais il
nous semble que le défenseur d’Anastay aurait
dû d’abord tout au moins solliciter l’avis d’une
commission d’aliénistes, M. Brouardel ne pou-
vant avoir la prétention d’être la médecine à lui
tout seul.
Si maintenant on passe à l’examen de la re-
quête en elle-même, il ne faut pas être doué
d’une grande clairvoyance juridique pour recon-
naître que la demande ne pouvait pas supporter
une minute de réflexion.
Gomment un avocat a-t-il pu croire que le pré- |
sident de la République eût le droit d’invalider le
verdict d’un jury, ou simplement de le révoquer
en doute ?
En condamnant Anastay à la peine de mort, ce
jury a nettement indiqué qu’il le jugeait respon-
sable de tous ses actes.
Il a, par conséquent, écarté toute hypothèse
de folie.
Là-dessus, la cour a prononcé la peine. En
cassation, le pourvoi a été rejeté. Tout est dit.
On a épuisé la série des juridictions légales.
Je voudrais bien savoir ce que M. Brouardel
pourrait venir faire après cela.
Le voyez-vous, de son autorité privée, décla-
rant qu’Anastay est un toqué irresponsable, et
qu’il faut, par conséquent, recommencer son
procès ?
Du coup, c’est le Gode que M. Brouardel jette-
rait par terre, pour la satisfaction du sinistre
gredin que vous savez.
Anastay, sauf la chance suprême d’une grâce
qui révolterait l’opinion, appartient au bourreau
désormais.
Son avocat, lui, fera donc bien de comprendre
que sa tâche est terminée.
Nous demandions, l’autre jour : Quand le Par-
lement aura-t-il le courage de faire son me.a
culpa des extravagances coloniales?
Hélas i nous n’y sommes pas.
La récente discussion engagée à la Chambre à
propos du Tonkin est venue prouver douloureu-
sement que nous possédons une majorité pour
laquelle chauvinisme continue â être synonyme
de patriotisme.
Un orateur ayant eu le courage et le bon sens
de prononcer le mot d’évacuation, des voix indi-
gnées se sont écrié qu’un pareil langage déshono-
rait la tribune française.
C’est à l’aide de ces vieux clichés fanfarons
qu’on nous a fait commettre toutes les sottises,
en nous prenant par notre incorrigible vanité.
L’Empire aussi avait des interrupteurs qui vo-
ciféraient de ces interruptions-là, quand on osait
toucher au Mexique, la plus grande pensée du
règne!
On sait à quoi cela aboutit, béias ! Pour parler
franchement, je crains fort que par la même voie
nous n’allions au même dénouement sinistre.
Les satisfecit que se décernent/ l’un après l’au-
tre les proconsuls bourgeois qu’on expédie dans
un pays que l’unité d’un pouvoir militaire pour-
rait seule arriver à dompter, ces satisfecit sont
tous suivis, à deux ou trois jours de distance, par
la nouvelle de quelque désastre. Le hasard sem-
ble mettre de la coquetterie dans ses démeniis
successifs.
Et malgré tous ces démentis-là, le Parlement
persiste à crier :
— Enlisons-nous encore davantage I Jetons
dans le gouffre de nouveaux millions et de nou-
velles victimes !
Eh bien, ce sont ceux qui parlent ce langage-
là qui nous semblent, à nous, les faux patriotes.
Pierre Véron.
--C>—---
LE QUATRAIN D’HIER
Passe un couple dans une enceinte de pesage.
Des gommeux Vobservaient, en train de discourir :
— Quels époux assortis pour faire bon ménage!
— Comment?... — Lafemme court, le mari fait courir.
SIFFLET.
PAPE ET CARDINAL
(saynète a deux personnages)
La, scène se passera dans une dizaine de jours
au Vatican.
Le gaméliter,. — J’ai l’honneur d’informer Sa
Sainteté que le cardinal Richard est arrivé.
Le pape. — Àhl je suis curieux vraiment de
voir quelle figure il va faire en ma présence.
Qu’il entre tout de suite, je vous prie.
Quelques minutes après, le cardinal Richard
est introduit.
Le cardinal, se prosternant devant le pape.
— Très saint Père, je dépose à vos pieds l’hom-
rnage de mon filial respect.
Le pape. — Relevez-vous, on croirait que je
vous pardonne... (entre ses dents) et l’on se trom-
perait.
Le cardinal. — Votre Sainteté a vu qu’avant
de quitter Paris j’ai tenu à lui rendre un nouvel
hommage.
Le pape. — En vérité, vous appelez cela un
hommage, M. le cardinal?
Le cardidal. — Il me semble qu’en expliquant
à mes fidèles l’encyclique de Votre Sainteté...
Le pape. — Il me semblait, à moi, que l'encycli-
que était assez claire pour se passer d’explica-
tions et n’entendait réclamer que de l’obéissance.
Le cardinal, un peu troublé.' — Les chefs-
d’œuvre eux-mêmes ont parfois besoin d’être tra-
duits.
Le pape, sévèrement. — Pour donner raison au
proverbe: Traduttore, traclitore, n’est-ce pas?
Le cardinal, tout à fait démonté. - J’avoue
que je ne m’attendais pas à être accueilli de la
sorte.
Le pape. — Trêve de fausses protestations,
M. l’archevêque; il est temps que toutes choses
soient remises en place.
Le cardinal. — Mais je ne...
Le pape. — Le clergé de France, le haut clergé,
a pris depuis un certain temps à mon égard une
attitude audacieusement déplacée. Je m’en sou-
cierais moins si j’étais seul en cause; mais aveu-
gles ceux qui ne voient pas que c’est l’avenir
même de l’Eglise qu’ils compromettent, qu’ils
l’ébranlent par la base et que tout ne tardera pas
à crouler, du train dont les choses vont.
Le cardinal. — Il me semble que Votre Sain-
teté exagère.
Le pape. — Je constate simplement. Sur quoi
repose-t-elle, l’Eglise catholique? Sur l’infailli-
bilité dont il vous a plu de faire un dogme en
l’honneur du pape. Et maintenant, cet infaillible,
vous le critiquez, vous le bernez, vous le trahissez.
Le cardinal. —Mais...
Le pape. — Qu’arrivera-t-il? Qu’arrive-t-il
déjà? Que les ennemis de la Foi se réjouissent et
disent : « Vous voyez bien que le pape n’est qu’un
homme comme les autres et qu’ils nous ont mys-
tifiés. »
Le cardinal. — Votre Sainteté voudrait-elle
me permettre de développer ma pensée?
Le pape. — Je ne la connais que trop. Vous
avez cru tous qu’ayant affaire à un octogénaire,
vous feriez ce que vous voudriez, que vous lui
imposeriez silence. Eh bien, non I Et quel moment
choisissez-vous pour mener une pareille tactique?
Le moment où la révolution monte comme une
marée qui vous submergera.
Le cardinal. — Nous périrons, s’il le faut, es-
claves de notre.devoir.
Le pape. — Non, ce n’est pas votre devoir de
^ compromettre l’Eglise clans les querelles politi-
Prix dis Numéro : SS centimes
JEUDI 7 AVRIL 1892
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
Les abonnements partent des /•' et <0 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE \ ÉB0X
Bédacfeur en Chef
,.y
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DK L'ADMINISTRATION
Rue de la Victoire 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr-
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicii b
92, Rue Richelieu
BULLETIN POLITIQUE
Si Anastay est â la veille de perdre complète-
ment la tête, on est en droit de craindre que .son
zélé défenseur ne l’ait perdue partiellement.
L’avocat, qui met toute sa persévérance â
accomplir jusqu’au bout la lourde tâche assumée
par lui, n’a-t-il pas cru devoir faire auprès du
chef de l’État une démarche personnelle pour lui
demander de soumettre son client à l’examen du
docteur Brouardel!
La confiance spéciale témoignée à ce médecin
peut êti e très flatteuse pour son prestige, mais il
nous semble que le défenseur d’Anastay aurait
dû d’abord tout au moins solliciter l’avis d’une
commission d’aliénistes, M. Brouardel ne pou-
vant avoir la prétention d’être la médecine à lui
tout seul.
Si maintenant on passe à l’examen de la re-
quête en elle-même, il ne faut pas être doué
d’une grande clairvoyance juridique pour recon-
naître que la demande ne pouvait pas supporter
une minute de réflexion.
Gomment un avocat a-t-il pu croire que le pré- |
sident de la République eût le droit d’invalider le
verdict d’un jury, ou simplement de le révoquer
en doute ?
En condamnant Anastay à la peine de mort, ce
jury a nettement indiqué qu’il le jugeait respon-
sable de tous ses actes.
Il a, par conséquent, écarté toute hypothèse
de folie.
Là-dessus, la cour a prononcé la peine. En
cassation, le pourvoi a été rejeté. Tout est dit.
On a épuisé la série des juridictions légales.
Je voudrais bien savoir ce que M. Brouardel
pourrait venir faire après cela.
Le voyez-vous, de son autorité privée, décla-
rant qu’Anastay est un toqué irresponsable, et
qu’il faut, par conséquent, recommencer son
procès ?
Du coup, c’est le Gode que M. Brouardel jette-
rait par terre, pour la satisfaction du sinistre
gredin que vous savez.
Anastay, sauf la chance suprême d’une grâce
qui révolterait l’opinion, appartient au bourreau
désormais.
Son avocat, lui, fera donc bien de comprendre
que sa tâche est terminée.
Nous demandions, l’autre jour : Quand le Par-
lement aura-t-il le courage de faire son me.a
culpa des extravagances coloniales?
Hélas i nous n’y sommes pas.
La récente discussion engagée à la Chambre à
propos du Tonkin est venue prouver douloureu-
sement que nous possédons une majorité pour
laquelle chauvinisme continue â être synonyme
de patriotisme.
Un orateur ayant eu le courage et le bon sens
de prononcer le mot d’évacuation, des voix indi-
gnées se sont écrié qu’un pareil langage déshono-
rait la tribune française.
C’est à l’aide de ces vieux clichés fanfarons
qu’on nous a fait commettre toutes les sottises,
en nous prenant par notre incorrigible vanité.
L’Empire aussi avait des interrupteurs qui vo-
ciféraient de ces interruptions-là, quand on osait
toucher au Mexique, la plus grande pensée du
règne!
On sait à quoi cela aboutit, béias ! Pour parler
franchement, je crains fort que par la même voie
nous n’allions au même dénouement sinistre.
Les satisfecit que se décernent/ l’un après l’au-
tre les proconsuls bourgeois qu’on expédie dans
un pays que l’unité d’un pouvoir militaire pour-
rait seule arriver à dompter, ces satisfecit sont
tous suivis, à deux ou trois jours de distance, par
la nouvelle de quelque désastre. Le hasard sem-
ble mettre de la coquetterie dans ses démeniis
successifs.
Et malgré tous ces démentis-là, le Parlement
persiste à crier :
— Enlisons-nous encore davantage I Jetons
dans le gouffre de nouveaux millions et de nou-
velles victimes !
Eh bien, ce sont ceux qui parlent ce langage-
là qui nous semblent, à nous, les faux patriotes.
Pierre Véron.
--C>—---
LE QUATRAIN D’HIER
Passe un couple dans une enceinte de pesage.
Des gommeux Vobservaient, en train de discourir :
— Quels époux assortis pour faire bon ménage!
— Comment?... — Lafemme court, le mari fait courir.
SIFFLET.
PAPE ET CARDINAL
(saynète a deux personnages)
La, scène se passera dans une dizaine de jours
au Vatican.
Le gaméliter,. — J’ai l’honneur d’informer Sa
Sainteté que le cardinal Richard est arrivé.
Le pape. — Àhl je suis curieux vraiment de
voir quelle figure il va faire en ma présence.
Qu’il entre tout de suite, je vous prie.
Quelques minutes après, le cardinal Richard
est introduit.
Le cardinal, se prosternant devant le pape.
— Très saint Père, je dépose à vos pieds l’hom-
rnage de mon filial respect.
Le pape. — Relevez-vous, on croirait que je
vous pardonne... (entre ses dents) et l’on se trom-
perait.
Le cardinal. — Votre Sainteté a vu qu’avant
de quitter Paris j’ai tenu à lui rendre un nouvel
hommage.
Le pape. — En vérité, vous appelez cela un
hommage, M. le cardinal?
Le cardidal. — Il me semble qu’en expliquant
à mes fidèles l’encyclique de Votre Sainteté...
Le pape. — Il me semblait, à moi, que l'encycli-
que était assez claire pour se passer d’explica-
tions et n’entendait réclamer que de l’obéissance.
Le cardinal, un peu troublé.' — Les chefs-
d’œuvre eux-mêmes ont parfois besoin d’être tra-
duits.
Le pape, sévèrement. — Pour donner raison au
proverbe: Traduttore, traclitore, n’est-ce pas?
Le cardinal, tout à fait démonté. - J’avoue
que je ne m’attendais pas à être accueilli de la
sorte.
Le pape. — Trêve de fausses protestations,
M. l’archevêque; il est temps que toutes choses
soient remises en place.
Le cardinal. — Mais je ne...
Le pape. — Le clergé de France, le haut clergé,
a pris depuis un certain temps à mon égard une
attitude audacieusement déplacée. Je m’en sou-
cierais moins si j’étais seul en cause; mais aveu-
gles ceux qui ne voient pas que c’est l’avenir
même de l’Eglise qu’ils compromettent, qu’ils
l’ébranlent par la base et que tout ne tardera pas
à crouler, du train dont les choses vont.
Le cardinal. — Il me semble que Votre Sain-
teté exagère.
Le pape. — Je constate simplement. Sur quoi
repose-t-elle, l’Eglise catholique? Sur l’infailli-
bilité dont il vous a plu de faire un dogme en
l’honneur du pape. Et maintenant, cet infaillible,
vous le critiquez, vous le bernez, vous le trahissez.
Le cardinal. —Mais...
Le pape. — Qu’arrivera-t-il? Qu’arrive-t-il
déjà? Que les ennemis de la Foi se réjouissent et
disent : « Vous voyez bien que le pape n’est qu’un
homme comme les autres et qu’ils nous ont mys-
tifiés. »
Le cardinal. — Votre Sainteté voudrait-elle
me permettre de développer ma pensée?
Le pape. — Je ne la connais que trop. Vous
avez cru tous qu’ayant affaire à un octogénaire,
vous feriez ce que vous voudriez, que vous lui
imposeriez silence. Eh bien, non I Et quel moment
choisissez-vous pour mener une pareille tactique?
Le moment où la révolution monte comme une
marée qui vous submergera.
Le cardinal. — Nous périrons, s’il le faut, es-
claves de notre.devoir.
Le pape. — Non, ce n’est pas votre devoir de
^ compromettre l’Eglise clans les querelles politi-