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Le charivari — 61.1892

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https://doi.org/10.11588/diglit.23886#1379
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ACTUALITÉS

247


LES DEPOTS DE SABLE DE LA PLACE DU CARROUSEL CRÉANT UN NOUVEAU SPORT

POUR LES AMATEURS D’ASCENSIONS

art, slvous voulez bien. J'ai lu dans les journaux que
vous aviez fait, pour Mme Ristori, une Médée qui a
eu un très grand succès.

— Oui, lui répondis-je, sans fausse modestie, et
l’en suis très heureux.

— C’est que, moi aussi, j’ai joué une Medea de
Mayer; c’était un de mes plus beaux rôles : je vou-
drais savoir ce que faisait la Ristori. D’abord, son
costume?

— Un costume antique dessiné par Scheffer,
d’après un vase grec.

— Très riche?

— Non ! très simple. D’une couleur un peu sombre,
et se déployant avec une grande ampleur.

— Et sa coiffure?

— Des cheveux.

— Pas de diadème?

— Non! Elle avait copié une tète de Méduse sur
Une médaille antique; et une massa de cheveux,
tombant de chaque côté du visage en boucles très
enroulées, ressemblait à un amas de petits ser-
pents. C’était terrible.

— Moi, j’avais un diadème, composé avec beau-
coup de soin et de travail. J’y avais mêlé des pierres
Précieuses et des lames de métal, rouges et bleues,
Pour figurer des flammes I Je voulais, en entrant,
Uvoir l’aspect d’une sorcière.

— C’est que votre Médée était une sorcière.

— Sans doute; et la vôtre?

— La mienne était une femme et une mère... »

Mme Pasta m’écoutait avec une extrême attention,
comme tâchant de reconstruire cette nouvelle Mé-
dée; tout à coup, elle me dit : « Mon cher ami, vou-
lez-vous me faire un grand plaisir?

— Certes.

— Lisez-moi les scènes capitales de votre pièce.

— En français?

— En français, mais en m’expliquant les inten-
tions et les effets de Mme Ristori.

— Rien de plus facile, car j’ai là un exemplaire que
j’avais apporté pour vous l’offrir, et nous avons telle-
ment travaillé le rôle avec mon admirable inter-
prète, que je peux vous la rendre toute vivante!...
Mais permettez moi d’y mettre une condition.

— Laquelle ?

— C’est que, quand j’aurai fini, à votre tour vous
me chanterez quelques passages de votre Medea.

— Mais, mon cher ami, je ne chante plus.

— Eh bien! vous chanterez pour moi, comme je
lirai pour vous

— Soit, j’accepte. »

Je commençai. Tout en lisant, je lui racontai tous
les jeux de scène de Mme Ristori, je lui reproduisais
même quelquefois les intonations en italien. Je tâ-
chais enfin, de toutes manières, de la faire assister,
en quelque sorte, à la représentation. Elle me sui-
vait avec une intelligence passionnée, m’interrom-
pant do temps en temps pour me dire :

« Je suis fâchée qu’on ne m’ait pas donné ce sen-
timent-là! ça aurait été beau à chanter!... »

Après plus d’une heure de lecture, je m’arrête et
je lui dis : « A vous. »

Elle se mit au piano; à peine assise, aux pre-
mières notes, son visage se transfigure, ses sour-
cils frémissent, sa bouche se relève, tous ses traits
prennent une expression de grandeur pathétique. La
cantatrice d’autrefois surgit devant moi; il me sem-
blait qu’une baguette de magicien l’avait touchée et
métamorphosée. J’avais raison. Ce magicien, c’était
l’art! Tout grand artiste rajeunit dès qu’il se retrouve
en face du dieu. J’ai vu Bouffé, plus que septuagé-
naire, reparaissant dans une représentation extraor-
dinaire. Il y fut merveilleux de verve, d’esprit, d’en-
train. . Il avait trente ans! La pièce finie, je cours à
sa loge pour lui taire mes compliments; je trouve
un homme vacillant sur ses jambes, la tête bran-
lante, les membres tremblants, la parole incer-
taine... Il avait cent ans.

Mme Pasta m’offrit ce spectacle de rajeunisse-
ment. Certes, la voix était affaiblie, les notes hautes
quelque peu effritées, l’exécution imparfaite; mais il
y restait ce qu’on admire dans telle fresque à moitié
détruite de Léonard de Vinci, la beauté de la ligne...
le style! Ainsi entendu de tout près, ce chant à demi
murmuré avait quelque chose d’indéfini, de mysté-
rieux, qui ajoutait le charme du rêve à la réalité de
mon impression, et je partis, emportant en moi une
image inoubliable de celle qui fut la Pasta!

Ernest Legouvé.
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