LE CHARIVARI
Inutile, n’est-ee pas? d’affirmer que je n’ai ja-
mais poussé la naïveté jusqu’à croire qu’il y eût
en M. Baudry-d’Asson, par exemple, l’étoffe d’un
Démosthène ou d’un Cicéron, — que je n’ai ja-
mais vu en M. Thivrier l’ombre d’un savant éco-
nomiste, en M. Basly un type de haute capacité
financière, en M. Barascud une lumière des
beaux-arts, des sciences et des lettres. Mais je
m’imaginais, je l’avoue, qu’en sa qualité d’avocat,
— car il est avocat, par conséquent licencié ou
docteur en droit, — que M. Pourquery de Bois-
serin avait tout ce qu’il faut pour enfanter des
projets de loi capables de tenir debout
Eh bien 1 pas du tout. M. Pourquery, en mal de
loi, a complètement trompé mon attente.
Après une suite d’opérations laborieuses, après
s’y être repris jusqu’à six fois pour doter la Com-
mission d’enquête d’un fruit présentable, il n’est
arrivé qu’à accoucher d’un monstre qui tout de
suite a fait peine à voir.
Dès le premier moment, de la part des docteurs
à l’examen desquels le nouveau-né fut soumis, ce
n’a été qu’un cri :
— Mais il n’est pas né viable, votre rejeton!
D’abord il pèche par la tête. L’article capital n’en
est pas juridique pour deux liards.
— Ahl vous trouvez? Eh bien, je vais le re-
mettre en forme, et je vous le rapporterai après
retouche.
— Si vous y tenez...
Un peu qu’il y tenait, M. Pourquery!
Le lendemain, nouvelle présentation. Nouveau
cri des experts.
— Mais il pèche par la base, votre objet! II est
anti constitutionnel au premier chef... Essaye de
marcher, mon petit... Vous voyez, jamais il ne
sortira entier du Sénat, — s’il y arrive.
— Alors, vous ne voulez pas que je vous le
laisse?
— Tout ce que nous pouvons faire, pour ne pas
vous décourager, c’est de le recevoir... à correc-
tion.
— C’est dit. Je corrige... et je reviens.
M. Pourquery est ainsi revenu cinq fois. Au
sixième examen, les docteurs en ont eu assez :
ils ont consenti à produire l’enfant devant la
Chambre, et, jugeant que le père seul était capa-
ble de dire de sa progéniture tout le bien qu’ils
n’en pensaient pas, ils ont nommé rapporteur
M. Pourquery lui-même.
On connaît la suite.
Etrange aventure que celle de cet homme de
droit pataugeant comme à plaisir et traitant à
faux des questions de droit!
Dire pourtant que, telle quelle, si mal conçue,
si malvenue, si mal bâtie, sa titubante proposi-
tion n’en a pas moins mis enjeu l’existence d’un
cabinet, pris le temps d’une Assemblée qui n’a
pas une minute à perdre, dont le moindre ins-
tant vaut de l’or 1 Dire qu’elle a contribué à re-
tarder la discussion de projets d’un intérêt vital,
et porté par là au pays un préjudice considé-
rable I
En vérité, je ne parviendrai jamais à me figu-
rer que les électeurs républicains d’Avignon
aient envoyé M. Pourquery de Boisserin au Pa-
lais-Bourbon pour accomplir une pareille be-
sogne.
Espérons qu’après avoir si mal réussi à propos
d’un sujet qui semblait de sa compétence, le
député-avocat voudra prendre sa revanche en
n’abordant que des matières pour lesquelles il
sera manifestement incompétent.
Robert Hyenne.
--
THÉÂTRES
OPÉRA-COMIQUE : Reprise de la Flûte
enchantée.
Rien à dire do nouveau, n’est-ce pas, sur le
chef-d’œuvre de Mozart? C’est en vain que nous
essaierions de nous livrer à des fantaisies anec-
dotiques ou à des considérations d’esthétique
transcendantes.
Nous devons donc nous borner à apprécier l’in-
terprétation nouvelle, tout en remerciant M. Car-
valho de nous avoir donné ce régal artistique.
La Flûte enchantée exige un trio féminin
qu’il est souvent difficile de réunir, et c’est pour
cela sans doute que la pièce n’a jamais pu rester
en permanence au répertoire. Le trio est là au-
jourd’hui, et cela nous a valu l’intéressante soi-
rée dont nous parlons.
Pour le rôle de Pamina, Mlle Simonnet; comme
Reine de la Nuit, Mlle Sybil Sanderson; Mlle El-
ven pour Papagena.
Mlle Simonnet est une vaillante, presque tou-
jours sur la brèche. L’Opéra-Comique a en elle
une artiste sûre et toujours prête. Elle s’est fait
justement applaudir cette fois encore.
Mlle Sanderson avait à lutter contre l’inou-
bliable souvenir de Christine Nilsson, dont la
voix exceptionnelle semblait se jouer de difficul-
tés insurmontables pour d’autres et escaladait
avec une merveilleuse aisance les sommets les
plus vertigineux.
A son tour, Mlle Sanderson opère crânement
ces ascensions périlleuses et fait vibrer sa voix
cristalline qu’aucune difficulté ne déconcerte.
Mlle Elven s’acquitte convenablement d’une
tâche moindre.
C’est M. Clément qui joue Tamino. L’organe n’a
pas une puissance très grande, mais il est con-
duit habilement. M. Clément a un sentiment
d’art fort appréciable.
Pour Fugère, dans le rôle de Papageno, on a
épuisé les formules laudatives. C’est qu’il s’y est
vraiment montré incomparable. Tel il était, tel
il y est encore.
En voilà un qu’on ne remplacera pas facile-
ment, le jour où il quittera la scène; mais ce
jour-là est encore lointain, Dieu merci!
Deux débuts concouraient à l’intérêt de la re-
présentation : celui de M. Nivetto dans Sarastro,
et celui de M. Périer dans Monastatos.
M. Nivette n’est pas sans talent; il ie prouvera
mieux encore quand il aura pris pied sur les
planches.
M. Périer a beaucoup fait parler de lui avant
ses débuts, d’abord parce qu’il est le frère de
Kam-Hill, ensuite parce qu’il a remporté au
Conservatoire une victoire exceptionnellement
brillante, enfin parce qu’une tentative de sui-
cide... Glissons sur ce dernier point, qui est
étranger à la question artistique.
M. Périer est très bien doué, remarquablement
intelligent, chanteur adroit et comédien notable.
Avec cela, il a toutes les chances possibles pour
faire une heureuse carrière.
La Flûte enchantée, remise en scène par M.
Carvalho avec sa sûreté de goût ordinaire, va,
avec le concours de l’orchestre impeccable que
conduit Danbé, fournir, ce n’est pas douteux,
une série de belles et fructueuses recettes.
Pierre Véron.
PLUME HüMBOLDTr^r
T T”! "O \ 13 T> T/"'4Liqueur de Fine Champagne Vieille
J-lJLl £>ArililLlU 1 PERREIN Frères, LA REOLE-BORDEAUX.
Les I»ATÉS ISE FOIES GUAS les plus fins,
les plus exquis, sont livrés par la maison WEIS-
KE.vm %*AEU , ilr Nancy, liOKSEIt frères
successeurs.
GUIGNOLET'^S^ÎI^ir
CHROIIQDE DD JOUR
L’Académie est durement éprouvée. Et de quatre !
Le nouveau fauteuil qui va surexciter les convoi-
tises est celui de M.John Lemoinne, un maître jour-
naliste de la bonne formule.
Deux fois bonne, car M. John Lemoinne avait la
sûreté de talent et la dignité du caractère.
Ce qui lui manquait le plus,c’était l’agrément per-
sonnel. Je parle au point de vue de l’amabilité; car
John Lemoinne, en sa jeunesse et même en son âge
mûr, fut un dandy, comme on disait jadis, très soi-
gneux de sa mise, affectant d’enfermer dans des bot-
tines étroites son pied qu’il savait petit, aimant
après dîner à se cambrer dans l’habit noir devan,t la
cheminée du salon, en débitant des madrigaux aux
dames.
Comme écrivain aussi bien que comme homme,
le type du pince-sans-rire.
Avait dans le style quelque chose de la raideur et
de l'humour britannique. Question d'origine sans
doute.
A une époque où le nombre des journaux était
assez restreint pour qu'il y eût encore un dilettan-
tisme de la presse, scs mots faisaient prime et so
répétaient dans tout Paris.
Heureux temps, où un simple article pouvait vous
illustrer tout de suitel
Ainsi que Prévost-Paradol, il combattit l’Empire
à coups de flèche.
Un exemple :
On venait de remettre à neuf la salie de l’Opéra
rue Le Peletier. C’était en 1853, au lendemain p ir
conséquent de l’avènement de Napoléon III. Les Dé-
bats publièrent un article que M. John Lemoinne
n'avait pas rédigé, puisqu'il était de description
pure, mais auquel il ajouta le trait final que voici :
« Enfin, on voit maintenant les armes impériales
sur le manteau d’arlequin. »
Depuis un certain temps déjà, John Lemoinne vi-
vait à l’écart II n’avait cependant pas quitté la
plume et collaborait au Matin.
Vous savez qu’en outre il était sénateur.
Ce qui lui inspira une amusante boutade.
Peu de temps après son élection comme inamo-
vible, il rencontre un de ses amis.
— Eh bien, vous devez être satisfait?
— Satisfait, oui. Mais c'est drôle, le lendemain du
jour où l’on entre là-dedans, on se sent dix ans de
plus.
Quel sera le successeur de M. John Lemoinne
sous le dôme? Impossible do le prévoir.
Il est probable que la plupart des blackbou’ês des
trois scrutins qui précéderont se rejetteront sur
celui-là en désespoir de cause, et comme ils sont
beaucoup, beaucoup, les paris resteront longtemps
ouverts.
On annonce une Exposition de l’œuvre de Meis-
sonier.
L’intention des organisateurs est irréprochable,
je n’en doute pas; mais je ne sais pas si l’effet ré-
pondra à leurs espoirs.
La juxtaposition d’un trop grand nombre de Meis-
sonier risque de laisser voir le procédé du maître,
et la monotonie de la facture pourrait bien être cons-
tatée à son désavantage.
Ce n'est qu'une hypothèse; nous verrons si je me
trompe.
Un très, très beau livre, c’est le XIXe Siècle de
M. Grand-Cartorct, que vient de publier la librairie
Firmin-Didot.
L’œuvre est intéressante à tous les points de vue
comme documentation. Elle passe en revue tout le
mouvement politique, littéraire, artistique, mondain,
scientifique, etc., du siècle qui s’achève.
Un travail de bénédictin.
Puis, des illustrations à la centaine : portraits
authentiques, chromos, photogravures, dessins.
Cela commence par Napoléon lsr et cela finit à
1892. Les actrices célèbres y coudoient les hommes
illustres. Vous y suivez à grands pas les inventions
mémorables, avec dessins à l'appui.
Tableau complet, étonnant memento des cent der-
nières années.
Succès considérable.
Les drôleries de la célébrité.
A la vitro d’un coiffeur de la rue du Bac, lu hier
cette mention :
Spécialité de Bressant
Et voilà par quoi un artiste se survit I Par une
coupe de cheveux.
Entre cocottes.
— Est-ce que tu crois que tu aimeras longtemps
ton petit vicomte?
— Jusqu’après le Jour de l’An.
Depuis qu’il est devenu chauve, le banquier X .. a
un front énorme qui fait le plus bizarre effet au-
dessus de sa toute petite figure ratatinée.
— Regardez-le donc, disait hier un boursier... Le
dôme des Invalides sur un entresol!
André Laroche.
Inutile, n’est-ee pas? d’affirmer que je n’ai ja-
mais poussé la naïveté jusqu’à croire qu’il y eût
en M. Baudry-d’Asson, par exemple, l’étoffe d’un
Démosthène ou d’un Cicéron, — que je n’ai ja-
mais vu en M. Thivrier l’ombre d’un savant éco-
nomiste, en M. Basly un type de haute capacité
financière, en M. Barascud une lumière des
beaux-arts, des sciences et des lettres. Mais je
m’imaginais, je l’avoue, qu’en sa qualité d’avocat,
— car il est avocat, par conséquent licencié ou
docteur en droit, — que M. Pourquery de Bois-
serin avait tout ce qu’il faut pour enfanter des
projets de loi capables de tenir debout
Eh bien 1 pas du tout. M. Pourquery, en mal de
loi, a complètement trompé mon attente.
Après une suite d’opérations laborieuses, après
s’y être repris jusqu’à six fois pour doter la Com-
mission d’enquête d’un fruit présentable, il n’est
arrivé qu’à accoucher d’un monstre qui tout de
suite a fait peine à voir.
Dès le premier moment, de la part des docteurs
à l’examen desquels le nouveau-né fut soumis, ce
n’a été qu’un cri :
— Mais il n’est pas né viable, votre rejeton!
D’abord il pèche par la tête. L’article capital n’en
est pas juridique pour deux liards.
— Ahl vous trouvez? Eh bien, je vais le re-
mettre en forme, et je vous le rapporterai après
retouche.
— Si vous y tenez...
Un peu qu’il y tenait, M. Pourquery!
Le lendemain, nouvelle présentation. Nouveau
cri des experts.
— Mais il pèche par la base, votre objet! II est
anti constitutionnel au premier chef... Essaye de
marcher, mon petit... Vous voyez, jamais il ne
sortira entier du Sénat, — s’il y arrive.
— Alors, vous ne voulez pas que je vous le
laisse?
— Tout ce que nous pouvons faire, pour ne pas
vous décourager, c’est de le recevoir... à correc-
tion.
— C’est dit. Je corrige... et je reviens.
M. Pourquery est ainsi revenu cinq fois. Au
sixième examen, les docteurs en ont eu assez :
ils ont consenti à produire l’enfant devant la
Chambre, et, jugeant que le père seul était capa-
ble de dire de sa progéniture tout le bien qu’ils
n’en pensaient pas, ils ont nommé rapporteur
M. Pourquery lui-même.
On connaît la suite.
Etrange aventure que celle de cet homme de
droit pataugeant comme à plaisir et traitant à
faux des questions de droit!
Dire pourtant que, telle quelle, si mal conçue,
si malvenue, si mal bâtie, sa titubante proposi-
tion n’en a pas moins mis enjeu l’existence d’un
cabinet, pris le temps d’une Assemblée qui n’a
pas une minute à perdre, dont le moindre ins-
tant vaut de l’or 1 Dire qu’elle a contribué à re-
tarder la discussion de projets d’un intérêt vital,
et porté par là au pays un préjudice considé-
rable I
En vérité, je ne parviendrai jamais à me figu-
rer que les électeurs républicains d’Avignon
aient envoyé M. Pourquery de Boisserin au Pa-
lais-Bourbon pour accomplir une pareille be-
sogne.
Espérons qu’après avoir si mal réussi à propos
d’un sujet qui semblait de sa compétence, le
député-avocat voudra prendre sa revanche en
n’abordant que des matières pour lesquelles il
sera manifestement incompétent.
Robert Hyenne.
--
THÉÂTRES
OPÉRA-COMIQUE : Reprise de la Flûte
enchantée.
Rien à dire do nouveau, n’est-ce pas, sur le
chef-d’œuvre de Mozart? C’est en vain que nous
essaierions de nous livrer à des fantaisies anec-
dotiques ou à des considérations d’esthétique
transcendantes.
Nous devons donc nous borner à apprécier l’in-
terprétation nouvelle, tout en remerciant M. Car-
valho de nous avoir donné ce régal artistique.
La Flûte enchantée exige un trio féminin
qu’il est souvent difficile de réunir, et c’est pour
cela sans doute que la pièce n’a jamais pu rester
en permanence au répertoire. Le trio est là au-
jourd’hui, et cela nous a valu l’intéressante soi-
rée dont nous parlons.
Pour le rôle de Pamina, Mlle Simonnet; comme
Reine de la Nuit, Mlle Sybil Sanderson; Mlle El-
ven pour Papagena.
Mlle Simonnet est une vaillante, presque tou-
jours sur la brèche. L’Opéra-Comique a en elle
une artiste sûre et toujours prête. Elle s’est fait
justement applaudir cette fois encore.
Mlle Sanderson avait à lutter contre l’inou-
bliable souvenir de Christine Nilsson, dont la
voix exceptionnelle semblait se jouer de difficul-
tés insurmontables pour d’autres et escaladait
avec une merveilleuse aisance les sommets les
plus vertigineux.
A son tour, Mlle Sanderson opère crânement
ces ascensions périlleuses et fait vibrer sa voix
cristalline qu’aucune difficulté ne déconcerte.
Mlle Elven s’acquitte convenablement d’une
tâche moindre.
C’est M. Clément qui joue Tamino. L’organe n’a
pas une puissance très grande, mais il est con-
duit habilement. M. Clément a un sentiment
d’art fort appréciable.
Pour Fugère, dans le rôle de Papageno, on a
épuisé les formules laudatives. C’est qu’il s’y est
vraiment montré incomparable. Tel il était, tel
il y est encore.
En voilà un qu’on ne remplacera pas facile-
ment, le jour où il quittera la scène; mais ce
jour-là est encore lointain, Dieu merci!
Deux débuts concouraient à l’intérêt de la re-
présentation : celui de M. Nivetto dans Sarastro,
et celui de M. Périer dans Monastatos.
M. Nivette n’est pas sans talent; il ie prouvera
mieux encore quand il aura pris pied sur les
planches.
M. Périer a beaucoup fait parler de lui avant
ses débuts, d’abord parce qu’il est le frère de
Kam-Hill, ensuite parce qu’il a remporté au
Conservatoire une victoire exceptionnellement
brillante, enfin parce qu’une tentative de sui-
cide... Glissons sur ce dernier point, qui est
étranger à la question artistique.
M. Périer est très bien doué, remarquablement
intelligent, chanteur adroit et comédien notable.
Avec cela, il a toutes les chances possibles pour
faire une heureuse carrière.
La Flûte enchantée, remise en scène par M.
Carvalho avec sa sûreté de goût ordinaire, va,
avec le concours de l’orchestre impeccable que
conduit Danbé, fournir, ce n’est pas douteux,
une série de belles et fructueuses recettes.
Pierre Véron.
PLUME HüMBOLDTr^r
T T”! "O \ 13 T> T/"'4Liqueur de Fine Champagne Vieille
J-lJLl £>ArililLlU 1 PERREIN Frères, LA REOLE-BORDEAUX.
Les I»ATÉS ISE FOIES GUAS les plus fins,
les plus exquis, sont livrés par la maison WEIS-
KE.vm %*AEU , ilr Nancy, liOKSEIt frères
successeurs.
GUIGNOLET'^S^ÎI^ir
CHROIIQDE DD JOUR
L’Académie est durement éprouvée. Et de quatre !
Le nouveau fauteuil qui va surexciter les convoi-
tises est celui de M.John Lemoinne, un maître jour-
naliste de la bonne formule.
Deux fois bonne, car M. John Lemoinne avait la
sûreté de talent et la dignité du caractère.
Ce qui lui manquait le plus,c’était l’agrément per-
sonnel. Je parle au point de vue de l’amabilité; car
John Lemoinne, en sa jeunesse et même en son âge
mûr, fut un dandy, comme on disait jadis, très soi-
gneux de sa mise, affectant d’enfermer dans des bot-
tines étroites son pied qu’il savait petit, aimant
après dîner à se cambrer dans l’habit noir devan,t la
cheminée du salon, en débitant des madrigaux aux
dames.
Comme écrivain aussi bien que comme homme,
le type du pince-sans-rire.
Avait dans le style quelque chose de la raideur et
de l'humour britannique. Question d'origine sans
doute.
A une époque où le nombre des journaux était
assez restreint pour qu'il y eût encore un dilettan-
tisme de la presse, scs mots faisaient prime et so
répétaient dans tout Paris.
Heureux temps, où un simple article pouvait vous
illustrer tout de suitel
Ainsi que Prévost-Paradol, il combattit l’Empire
à coups de flèche.
Un exemple :
On venait de remettre à neuf la salie de l’Opéra
rue Le Peletier. C’était en 1853, au lendemain p ir
conséquent de l’avènement de Napoléon III. Les Dé-
bats publièrent un article que M. John Lemoinne
n'avait pas rédigé, puisqu'il était de description
pure, mais auquel il ajouta le trait final que voici :
« Enfin, on voit maintenant les armes impériales
sur le manteau d’arlequin. »
Depuis un certain temps déjà, John Lemoinne vi-
vait à l’écart II n’avait cependant pas quitté la
plume et collaborait au Matin.
Vous savez qu’en outre il était sénateur.
Ce qui lui inspira une amusante boutade.
Peu de temps après son élection comme inamo-
vible, il rencontre un de ses amis.
— Eh bien, vous devez être satisfait?
— Satisfait, oui. Mais c'est drôle, le lendemain du
jour où l’on entre là-dedans, on se sent dix ans de
plus.
Quel sera le successeur de M. John Lemoinne
sous le dôme? Impossible do le prévoir.
Il est probable que la plupart des blackbou’ês des
trois scrutins qui précéderont se rejetteront sur
celui-là en désespoir de cause, et comme ils sont
beaucoup, beaucoup, les paris resteront longtemps
ouverts.
On annonce une Exposition de l’œuvre de Meis-
sonier.
L’intention des organisateurs est irréprochable,
je n’en doute pas; mais je ne sais pas si l’effet ré-
pondra à leurs espoirs.
La juxtaposition d’un trop grand nombre de Meis-
sonier risque de laisser voir le procédé du maître,
et la monotonie de la facture pourrait bien être cons-
tatée à son désavantage.
Ce n'est qu'une hypothèse; nous verrons si je me
trompe.
Un très, très beau livre, c’est le XIXe Siècle de
M. Grand-Cartorct, que vient de publier la librairie
Firmin-Didot.
L’œuvre est intéressante à tous les points de vue
comme documentation. Elle passe en revue tout le
mouvement politique, littéraire, artistique, mondain,
scientifique, etc., du siècle qui s’achève.
Un travail de bénédictin.
Puis, des illustrations à la centaine : portraits
authentiques, chromos, photogravures, dessins.
Cela commence par Napoléon lsr et cela finit à
1892. Les actrices célèbres y coudoient les hommes
illustres. Vous y suivez à grands pas les inventions
mémorables, avec dessins à l'appui.
Tableau complet, étonnant memento des cent der-
nières années.
Succès considérable.
Les drôleries de la célébrité.
A la vitro d’un coiffeur de la rue du Bac, lu hier
cette mention :
Spécialité de Bressant
Et voilà par quoi un artiste se survit I Par une
coupe de cheveux.
Entre cocottes.
— Est-ce que tu crois que tu aimeras longtemps
ton petit vicomte?
— Jusqu’après le Jour de l’An.
Depuis qu’il est devenu chauve, le banquier X .. a
un front énorme qui fait le plus bizarre effet au-
dessus de sa toute petite figure ratatinée.
— Regardez-le donc, disait hier un boursier... Le
dôme des Invalides sur un entresol!
André Laroche.