LES INTERLOPES
■hV.i
— Es-tu sûre que ce sera une liaison sérieuse?...
— Voyons, maman, je t’ai déjà dit qu’il est marié.
®B*8I¥*Bïâ
Vous n’ignorez pas que le pont de la Concorde fut
autrefois orné de statues énormes; tellement énor-
mes, qu'un jour on trembla pour la solidité des piles
et que le gouvernement de Juillet, craignant qu’on
ne l'accusât d’avoir tendu un guet-apens aux députés
de l'opposition afin de les faire tomber dans l’eau,
s’empressa de faire transférer à Versailles ces trop
pesantes sculptures.
Il est de nouveau question de remeubler la nudité
des piédestaux restés vacants. Je ne demanderais
pas mieux, quoiqu’un pont ainsi surchargé doive va-
guement rappeler la boutique de plâtres que les
petits Italiens portent sur leur tète.
Mais la difficulté capitale gît ailleurs. Quels per-
sonnages représenteront les statues nouvelles?
On demande que l'hommage de ces effigies soit
décerné à des notabilités de la Révolution française.
Voilà le hic; at si l'on entre dans cette voie, j’ai bien
peur pour l’avenir.
La politique est terriblement versatile de sa na-
ture. Ce qui se passe en ce moment en fournit une
terrible preuve. Les idoles qu'elle adore aujourd’hui,
elle les casse demain et piétine dessus. Voyez les
fâcheuses conséquences que pourraient avoir ces
revirements multipliés,
Aujourd’hui, c'est la République modérée qui l’em-
porte encore.
Mais vienne le triomphe d’une Comfnune, et ces
héros seraient immédiatement tenus pour d’abomi-
nables riens du tout et flanqués dans la Seine. On
les remplacerait par d’autres bonshommes. Très
bien!... Suivrait, à délai plus ou moins bref, une
réaction, qui à son tour exproprierait les statues nu-
méro deux et leur substituerait des numéros trois
pris parmi les grands hommes de la monarchie par-
lementaire. Et ainsi de suite...
Ne serait-il pas à craindre que ces déménage-
ments perpétuels ne finissent par nous couvrir d’une
couche épaisse de ridicule?
Il y aurait bien, je le sais, un moyen d’obvier au
mal; moyen qui consisterait à commander aux
sculpteurs des tètes mobiles, que l’on dévisserait à
chaque vicissitude contradictoire. Mais cela man-
querait un peu de prestige, vous l’avouerez.
Et si, une belle nuit, d’audacieux malfaiteurs s’a-
visaient d’emporter la tête d’un des apothéosés, ce
serait burlesque.
D’autre part, des statues allégoriques représen-
tant l’Incorruptibilité, le Devoir, la Conviction,
pourraient prendre en certaines circonstances des
allures d’ironie.
Je crois décidément que le plus prudent est en-
-core de laisser les piédestaux vacants.
Je lisais hier une lettre du Dahomey.
Nous y avons été vraiment inexorables.
Quelle singulière idée ces malheureux sauvages et
ces pauvres barbares doivent se faire de^ nations
qui prétendent leur apporter les bienfaits du pro-
grès, en voyant qae ces bienfaits se résument pres-
que invariablement en pillages et en massacres!
Relisez l'histoire de la colonisation. Elle est tout
entière écrite avec le sang que le vieux monde a
versé.
Je me demande ce que nous penserions, nous au-
tres les policés, si les Africains venaient se livrer
chez nous aux mêmes actes de vandalisme. Quels
anathèmes 1
Il a eu décidément raison, le philosophe humo-
riste qui a décrit la fraternité :
« Un sentiment condamné à toujours marcher
. Caïn-caha. »
***
La scène se passe dans une de ces maisons meu-
blées qui donnent à prix fixe la table et le logement.
Soudain, exaspéré par un menu encore plus mai-
gre que les autres, un des dîneurs de la table d’hôte
se lève et, interpellant le patron :
— Ah çàl vous vous moquez du monde .. Ce n’est
pas Family-hôtel, c’est Famélique hôtel qu’il de-
vrait y avoir sur votre porte!
ZIGZAG.
■hV.i
— Es-tu sûre que ce sera une liaison sérieuse?...
— Voyons, maman, je t’ai déjà dit qu’il est marié.
®B*8I¥*Bïâ
Vous n’ignorez pas que le pont de la Concorde fut
autrefois orné de statues énormes; tellement énor-
mes, qu'un jour on trembla pour la solidité des piles
et que le gouvernement de Juillet, craignant qu’on
ne l'accusât d’avoir tendu un guet-apens aux députés
de l'opposition afin de les faire tomber dans l’eau,
s’empressa de faire transférer à Versailles ces trop
pesantes sculptures.
Il est de nouveau question de remeubler la nudité
des piédestaux restés vacants. Je ne demanderais
pas mieux, quoiqu’un pont ainsi surchargé doive va-
guement rappeler la boutique de plâtres que les
petits Italiens portent sur leur tète.
Mais la difficulté capitale gît ailleurs. Quels per-
sonnages représenteront les statues nouvelles?
On demande que l'hommage de ces effigies soit
décerné à des notabilités de la Révolution française.
Voilà le hic; at si l'on entre dans cette voie, j’ai bien
peur pour l’avenir.
La politique est terriblement versatile de sa na-
ture. Ce qui se passe en ce moment en fournit une
terrible preuve. Les idoles qu'elle adore aujourd’hui,
elle les casse demain et piétine dessus. Voyez les
fâcheuses conséquences que pourraient avoir ces
revirements multipliés,
Aujourd’hui, c'est la République modérée qui l’em-
porte encore.
Mais vienne le triomphe d’une Comfnune, et ces
héros seraient immédiatement tenus pour d’abomi-
nables riens du tout et flanqués dans la Seine. On
les remplacerait par d’autres bonshommes. Très
bien!... Suivrait, à délai plus ou moins bref, une
réaction, qui à son tour exproprierait les statues nu-
méro deux et leur substituerait des numéros trois
pris parmi les grands hommes de la monarchie par-
lementaire. Et ainsi de suite...
Ne serait-il pas à craindre que ces déménage-
ments perpétuels ne finissent par nous couvrir d’une
couche épaisse de ridicule?
Il y aurait bien, je le sais, un moyen d’obvier au
mal; moyen qui consisterait à commander aux
sculpteurs des tètes mobiles, que l’on dévisserait à
chaque vicissitude contradictoire. Mais cela man-
querait un peu de prestige, vous l’avouerez.
Et si, une belle nuit, d’audacieux malfaiteurs s’a-
visaient d’emporter la tête d’un des apothéosés, ce
serait burlesque.
D’autre part, des statues allégoriques représen-
tant l’Incorruptibilité, le Devoir, la Conviction,
pourraient prendre en certaines circonstances des
allures d’ironie.
Je crois décidément que le plus prudent est en-
-core de laisser les piédestaux vacants.
Je lisais hier une lettre du Dahomey.
Nous y avons été vraiment inexorables.
Quelle singulière idée ces malheureux sauvages et
ces pauvres barbares doivent se faire de^ nations
qui prétendent leur apporter les bienfaits du pro-
grès, en voyant qae ces bienfaits se résument pres-
que invariablement en pillages et en massacres!
Relisez l'histoire de la colonisation. Elle est tout
entière écrite avec le sang que le vieux monde a
versé.
Je me demande ce que nous penserions, nous au-
tres les policés, si les Africains venaient se livrer
chez nous aux mêmes actes de vandalisme. Quels
anathèmes 1
Il a eu décidément raison, le philosophe humo-
riste qui a décrit la fraternité :
« Un sentiment condamné à toujours marcher
. Caïn-caha. »
***
La scène se passe dans une de ces maisons meu-
blées qui donnent à prix fixe la table et le logement.
Soudain, exaspéré par un menu encore plus mai-
gre que les autres, un des dîneurs de la table d’hôte
se lève et, interpellant le patron :
— Ah çàl vous vous moquez du monde .. Ce n’est
pas Family-hôtel, c’est Famélique hôtel qu’il de-
vrait y avoir sur votre porte!
ZIGZAG.