LE CHARIVARI
bonne à acheter! Car enfin, les gens qui la trou-
vaient bon marché à 100 francs et au-dessus, ne
peuvent pas la trouver chère aux environs de
98 francs.
Vous pensez bien que, lorsque la rente est trai-
tée de la sorte, les autres valeurs n’en mènent
pas large. On a, naturellement, attaqué les plus
solides de toutes, et cela se conçoit. Il ne servi-
rait de rien d’empoigner des titres sans ressort,
sans surface, sans solidité. Quel bénéfice, par
exemple, tirer d’une baisse de la Banque Russe
et Française, ou de la Banque Parisienne, ou de
quelques autres fossiles dont il n’est plus ques-
tion que dans des provinces extrêmement éloi-
gnées, — celles où n’ont pas encore pénétré les
chemins de fer, ni le télégraphe, ni les télépho-
nes, ni la bicyclette, ni les carnets de chèques?
Aucun bénéfice, assurément. Une baisse sur des
valeurs de cet acabit n’aurait évidemment aucune
influence sur le reste de la cote Tandis que les
chemins de fer, la Banque de France, le Crédit
Foncier, le Suez, le Crédit Lyonnais, les obliga-
tions du Trésor, — à la bonne heure, parlez-moi
de ça ! C’est avec la baisse de ces valeurs-là qu’on
dessine de vrais mouvements d’opinion, qu’on
provoque de vraies craintes chez les vrais re-
présentants de l’épargne. Quant aux raisons pour
lesquelles ces titres doivent être à ce point in-
fluencés par les discussions parlementaires, il
n’y en a point, à vrai dire. On ne voit pas, en
effet, pourquoi le Crédit Lyonnais, à qui les es-
comptes de la fin d’année donnent un excédent
d’activité, — on ne voit pas, dis-je, pourquoi le
Crédit Lyonnais reculerait; — on ne voit pas
pourquoi les chemins de fer fléchiraient parce
que nos représentants échangent des... réflexions
sur un ton...
sûrs! Comme si chacune de ces obligations ne
représentait pas un morceau d’immeuble, ou une
pièce de terrain, ou une fraction d’usine, — puis-
que l’argent des obligataires a été employé en
prêts aux propriétaires de toutes sortes, lesquels
ont donné première hypothèque sur leurs pro-
priétés! Gomme si, pour supplément de sécurité,
les obligataires n’étaient pas garantis par toutes
les ressources du Crédit Foncier, depuis le capi-
tal social jusqu’aux réserves et provisions!
On sait tout cela, et pourtant, je le répète, il
y a des gens qui ont subi 1 influence du brochu-
rier. D’où ii résulte que, comme je le disais tout
à l’heure, cette influence est pernicieuse. Le
Crédit Foncier s’est décidé à citer le brochurier
devant les tribunaux. Nous allons donc rire un
peu Ah! sacristi ! le besoin commence vraiment
à s’en faire sentir.
Ca-;tori.\t.
LE QUATRAIN D'HIER
A PROPOS DU PANAMA
Je crois — sur un récif lorsque, péril suprême,
Se heurte un bâtiment — que, dans l’intérêt même
De tous les passagers, mieux vaudrait travailler
A le remettre à flot et non à le couler.
SIFFLET
l’on trouve des gens capables d’exécuter ce
tour de force.
A Paris, l’art de faire tomber un monsieur
sans le toucher est fort pratiqué.
Dans le monde parlementaire surtout, c’est un
•jeu très goûté.
Et même il n’est pas indispensable de bien
connaître la personne à renverser.
Il n'est pas non plus nécessaire de l'impres-
sionner, pourvu qu’on impressionne les audi-
teurs.
Alors une simple pichenette morale, une in-
sinuation suffit à faire chavirer le bonhomme.
Et ceux qui obtiennent ce résultat ne se croient
pas sorciers pour si peu.
Jules Demolliens.
APÉRITIF MUGNIER
au Vin de Bourgogne. FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon•
MÉDAILLE D’OR.EXPOSITION UNIVERSELLE PARIS 1889.
PLUME HUMBOLDT“.“S;
CHRONIQUE DU JOUR
De moins en moins gais, les événements d'alen-
tour; de plus en plus stérilisée, par conséquent, la
chronique.
A quelle drôlerie se vouer?
De temps en temps, le Conseil municipal fournit
bien la matière d’un paragraphe réjouissant, mais
justement il a chômé depuis quelques jours C’est
désolant.
Et par surcroît on vient d'ouvrir les petites bouti-
ques qui vont nous rendre le boulevard insuDpor-
table pendant une quinzaine.
Ah ! le triste Paris que nous avons, et comme je
filerais sur les bords de la Méditerranée, si j'en avais
la possibilité !
Pourtant on nous annonce un heureux événe-
ment
Mlle Lina Munte est revenue de Russie.
Plaît-il? Vous m’interrompez pour me dire que la
chose ne vous paraît pas suffisamment enthousias-
mante et que j’aurais tort d'insister.
Oh 1 je ne suis pas entêté Mais alors, de quoi
parler ?
Il paraît que le monument de Raffet a besoin
d’une subvention pour pouvoir aboutir. On va la
c emander.
Si vous voulez que je vous donne mon opinion
franche, je proclamerai tout d’abord que Raffet fut
un artiste de grand talent. Mais j'ajouterai aussitôt
que beaucoup d’autres en ont eu plus que lui, à qui
l’on n’a pas élevé de statue encore, et que hiérar-
chiquement Raffet aurait pu, aurait même dû at-
tendre.
Mais que voulez-vous? Ils sont si drôles, les ha-
sards du piédestal !
Quand on pense que Victor Hugo attend toujours!
Ne vous êtes-vous pas demandé comment tous
ceux qui sont compromis dans les complications du
jour ont eu la naïveté de conserver les documents
qu’on retrouve aujourd’hui et qu’ils auraient eu tout
le temps de faire disparaître?
Il y a là de l’inexplicable ; c’est à n’y rien compren-
dre. A moins que d'aucuns n’aient conservé avec
préméditation de malfaisance.
Saviez-vous qu’on avait nommé un comité de per-
fectionnement pour la crémation? A quoi diable la
perfection va-t-elle s’appliquer !
Mais le fait est que jusqu’à présent tout ce qu’on a
imaginé est ridicule et rebutant.
L’installation du four au Père-Lachaise semble
avoir été combinée pour empêcher les gens de venir
à la nouvelle méthode et pour conserver aux asticots
leur clientèle.
Cette espèce de hangar mal disposé, en dehors
duquel les amis et parents stationnent sous l'averse,
pour peu qu’ils soient un peu nombreux, ne répond
en rien aux besoins d’une ville comme Paris, où
l’approvisionnement de cadavres est, hélas! si co-
pieux
Sur un ton plutôt désagréable.
Et cependant ils ont un moment baissé, et tou-
tes les autres valeurs avec eux, à qui on peut
appliquer le même raisonnement que celui
dont il vient d’êtro question. Mais nous avons
déjà eu l’occasion do le constater : quand les
faiseurs de mauvais coups n’ont pas de raisons
à faire valoir en faveur do la thèse qu’il leur
plaît de soutenir, ils s’en passent avec la plus
aimable des désinvoltures. C’est à ne pas croire,
et pourtant j’affirme avoir lu cette semaine,
dans une feuille financière , que toutes les
valeurs françaises sont suspectes, — toutes, sans
exception. Tels sont les moyens qu’on emploie
pour, si j’ose m’exprimer ainsi, flanquer la frousse
aux gens timorés. Et comme ceux-ci sont beau-
coup plus nombreux que les autres, ils cèdent à
l’impulsion qu’on leur donne, envoient des ordres
de vente, et, de cette façon, contribuent à aug-
menter la confusion qui, dans le commence-
ment de cette semaine surtout, a régné sur notre
malheureux marché.
Remarquez, je vous prie, que les assertions du
genre de celle que je viens de signaler sont
étayées de preuves, — je dis preuves pour em-
ployer l’expression dont se servent les auteurs
de ces ordures. Car vous entendez bien que les
« preuves » se réduisent à une série d’argumen-
tations pleines de fallace, à des chiffres groupés
d’une certaine façon, à des allégations archi-
fausses, à des insinuations calomnieuses. Rien
de tout cela ne résiste à un examen un peu sé-
rieux. Mais allez donc demander à des braves
gens ignorants d’examiner sérieusement des
choses qui sont de l’hébreu pour eux 1
Ah! ces circulaires et ces brochures! Nous au-
tres, qui savons ce que parler veut dire, nous
haussons les épaules quand nous les parcourons,
et nous les envoyons vite rejoindre le tas de pa-
piers que nous consacrons à des usages d’une in-
timité telle, que je n’y insisterai pas. — Eh bien,
Nous avons tort de hausser les épaules;
car nous ne nous doutons pas du tort que toutes
ces sacrées paperasses font à notre épargne na-
tionale. Il y a encore, en France, des gens, et
beaucoup, pour qui tout ce qui est imprimé est
parole d’évangile. Quand on pense que, depuis
quinze jours, et sur la foi des brochures jaunes
que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de signaler,
il s’est trouvé do bons niais pour vendre des
obligations du Crédit Foncier 1 Comme si, de tous
les titres de la cote, ceux-là n’étaient pas les plus /
SUGGESTIONS
Il paraît, d’après les Annales des sciences
psychiques, qu’il existe des gens qui ont le don
de faire perdre la rr-ute à une personne en la ré-
duisant à confondre sa droite avec sa gauche.
C’est une simple fumisterie qui vous donne
tout de suite un bon renom de sorcier.
Mais il faut avoir, pour arriver à ce résultat,
une forte dose de volonté de la part de l’opéra-
teur, — et peut-être de bonne volonté de la part
de la victime.
Du reste, ce cas de suggestion est moins rare
qu’on ne se l’imagine. Les bergers des campagnes
n’ont pas seuls cette spécialité, comme semblent
le croire les Annales des sciences psychiques.
A Paris, on a pu observer aussi ce phénomène
de suggestion.
Un monsieur passe sur le boulevard, se diri-
geant du côté de la Madeleine ; à côté de lui sur-
git une attrayante bergère qui murmure à son
oreille ces mots cabalistiques :
— Joli jeune homme, viens donc chez moi!
Il arrive souvent que le monsieur perd complè-
tement la notion du droit chemin, et, comptant
aller à la Madeleine, se dirige du côté de la Bas-
tille.
C’est là un cas de suggestion très regrettable.
Mais on ne brûle plus aujourd’hui les sorciers,
encore moins les sorcières, — on se contente de
leur donner de la braise.
Ce n’est pas tout.
Les Annales des sciences psychiques citent
encore un fait de sorcellerie plus extraordi-
naire.
Il y a des gens excessivement forts qui ont
l’art de faire tomber une personne.
Mais non pas en la jetant par terre à coups de
poing, — ça, c’est à la portée de tout homme un
peu vigoureux; mais en la renversant à distance,
par un simple effort de volonté.
Voici la recette :
« Il faut d abord connaître la personne que
l’on veut faire tomber (de même que, pour faire
un civet, il faut un lièvre), ensuite lui parler,
l’impressionner autant qu’on peut et se faire re-
douter d’elle, puis lui tendre sur sa route un
piège imaginaire. »
Et la culbute a lieu.
C’est ce qu’on peut appeler une bonne farce, ou
plutôt une mauvaise.
Mais ce n’est pas seulement à la campagne que
bonne à acheter! Car enfin, les gens qui la trou-
vaient bon marché à 100 francs et au-dessus, ne
peuvent pas la trouver chère aux environs de
98 francs.
Vous pensez bien que, lorsque la rente est trai-
tée de la sorte, les autres valeurs n’en mènent
pas large. On a, naturellement, attaqué les plus
solides de toutes, et cela se conçoit. Il ne servi-
rait de rien d’empoigner des titres sans ressort,
sans surface, sans solidité. Quel bénéfice, par
exemple, tirer d’une baisse de la Banque Russe
et Française, ou de la Banque Parisienne, ou de
quelques autres fossiles dont il n’est plus ques-
tion que dans des provinces extrêmement éloi-
gnées, — celles où n’ont pas encore pénétré les
chemins de fer, ni le télégraphe, ni les télépho-
nes, ni la bicyclette, ni les carnets de chèques?
Aucun bénéfice, assurément. Une baisse sur des
valeurs de cet acabit n’aurait évidemment aucune
influence sur le reste de la cote Tandis que les
chemins de fer, la Banque de France, le Crédit
Foncier, le Suez, le Crédit Lyonnais, les obliga-
tions du Trésor, — à la bonne heure, parlez-moi
de ça ! C’est avec la baisse de ces valeurs-là qu’on
dessine de vrais mouvements d’opinion, qu’on
provoque de vraies craintes chez les vrais re-
présentants de l’épargne. Quant aux raisons pour
lesquelles ces titres doivent être à ce point in-
fluencés par les discussions parlementaires, il
n’y en a point, à vrai dire. On ne voit pas, en
effet, pourquoi le Crédit Lyonnais, à qui les es-
comptes de la fin d’année donnent un excédent
d’activité, — on ne voit pas, dis-je, pourquoi le
Crédit Lyonnais reculerait; — on ne voit pas
pourquoi les chemins de fer fléchiraient parce
que nos représentants échangent des... réflexions
sur un ton...
sûrs! Comme si chacune de ces obligations ne
représentait pas un morceau d’immeuble, ou une
pièce de terrain, ou une fraction d’usine, — puis-
que l’argent des obligataires a été employé en
prêts aux propriétaires de toutes sortes, lesquels
ont donné première hypothèque sur leurs pro-
priétés! Gomme si, pour supplément de sécurité,
les obligataires n’étaient pas garantis par toutes
les ressources du Crédit Foncier, depuis le capi-
tal social jusqu’aux réserves et provisions!
On sait tout cela, et pourtant, je le répète, il
y a des gens qui ont subi 1 influence du brochu-
rier. D’où ii résulte que, comme je le disais tout
à l’heure, cette influence est pernicieuse. Le
Crédit Foncier s’est décidé à citer le brochurier
devant les tribunaux. Nous allons donc rire un
peu Ah! sacristi ! le besoin commence vraiment
à s’en faire sentir.
Ca-;tori.\t.
LE QUATRAIN D'HIER
A PROPOS DU PANAMA
Je crois — sur un récif lorsque, péril suprême,
Se heurte un bâtiment — que, dans l’intérêt même
De tous les passagers, mieux vaudrait travailler
A le remettre à flot et non à le couler.
SIFFLET
l’on trouve des gens capables d’exécuter ce
tour de force.
A Paris, l’art de faire tomber un monsieur
sans le toucher est fort pratiqué.
Dans le monde parlementaire surtout, c’est un
•jeu très goûté.
Et même il n’est pas indispensable de bien
connaître la personne à renverser.
Il n'est pas non plus nécessaire de l'impres-
sionner, pourvu qu’on impressionne les audi-
teurs.
Alors une simple pichenette morale, une in-
sinuation suffit à faire chavirer le bonhomme.
Et ceux qui obtiennent ce résultat ne se croient
pas sorciers pour si peu.
Jules Demolliens.
APÉRITIF MUGNIER
au Vin de Bourgogne. FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon•
MÉDAILLE D’OR.EXPOSITION UNIVERSELLE PARIS 1889.
PLUME HUMBOLDT“.“S;
CHRONIQUE DU JOUR
De moins en moins gais, les événements d'alen-
tour; de plus en plus stérilisée, par conséquent, la
chronique.
A quelle drôlerie se vouer?
De temps en temps, le Conseil municipal fournit
bien la matière d’un paragraphe réjouissant, mais
justement il a chômé depuis quelques jours C’est
désolant.
Et par surcroît on vient d'ouvrir les petites bouti-
ques qui vont nous rendre le boulevard insuDpor-
table pendant une quinzaine.
Ah ! le triste Paris que nous avons, et comme je
filerais sur les bords de la Méditerranée, si j'en avais
la possibilité !
Pourtant on nous annonce un heureux événe-
ment
Mlle Lina Munte est revenue de Russie.
Plaît-il? Vous m’interrompez pour me dire que la
chose ne vous paraît pas suffisamment enthousias-
mante et que j’aurais tort d'insister.
Oh 1 je ne suis pas entêté Mais alors, de quoi
parler ?
Il paraît que le monument de Raffet a besoin
d’une subvention pour pouvoir aboutir. On va la
c emander.
Si vous voulez que je vous donne mon opinion
franche, je proclamerai tout d’abord que Raffet fut
un artiste de grand talent. Mais j'ajouterai aussitôt
que beaucoup d’autres en ont eu plus que lui, à qui
l’on n’a pas élevé de statue encore, et que hiérar-
chiquement Raffet aurait pu, aurait même dû at-
tendre.
Mais que voulez-vous? Ils sont si drôles, les ha-
sards du piédestal !
Quand on pense que Victor Hugo attend toujours!
Ne vous êtes-vous pas demandé comment tous
ceux qui sont compromis dans les complications du
jour ont eu la naïveté de conserver les documents
qu’on retrouve aujourd’hui et qu’ils auraient eu tout
le temps de faire disparaître?
Il y a là de l’inexplicable ; c’est à n’y rien compren-
dre. A moins que d'aucuns n’aient conservé avec
préméditation de malfaisance.
Saviez-vous qu’on avait nommé un comité de per-
fectionnement pour la crémation? A quoi diable la
perfection va-t-elle s’appliquer !
Mais le fait est que jusqu’à présent tout ce qu’on a
imaginé est ridicule et rebutant.
L’installation du four au Père-Lachaise semble
avoir été combinée pour empêcher les gens de venir
à la nouvelle méthode et pour conserver aux asticots
leur clientèle.
Cette espèce de hangar mal disposé, en dehors
duquel les amis et parents stationnent sous l'averse,
pour peu qu’ils soient un peu nombreux, ne répond
en rien aux besoins d’une ville comme Paris, où
l’approvisionnement de cadavres est, hélas! si co-
pieux
Sur un ton plutôt désagréable.
Et cependant ils ont un moment baissé, et tou-
tes les autres valeurs avec eux, à qui on peut
appliquer le même raisonnement que celui
dont il vient d’êtro question. Mais nous avons
déjà eu l’occasion do le constater : quand les
faiseurs de mauvais coups n’ont pas de raisons
à faire valoir en faveur do la thèse qu’il leur
plaît de soutenir, ils s’en passent avec la plus
aimable des désinvoltures. C’est à ne pas croire,
et pourtant j’affirme avoir lu cette semaine,
dans une feuille financière , que toutes les
valeurs françaises sont suspectes, — toutes, sans
exception. Tels sont les moyens qu’on emploie
pour, si j’ose m’exprimer ainsi, flanquer la frousse
aux gens timorés. Et comme ceux-ci sont beau-
coup plus nombreux que les autres, ils cèdent à
l’impulsion qu’on leur donne, envoient des ordres
de vente, et, de cette façon, contribuent à aug-
menter la confusion qui, dans le commence-
ment de cette semaine surtout, a régné sur notre
malheureux marché.
Remarquez, je vous prie, que les assertions du
genre de celle que je viens de signaler sont
étayées de preuves, — je dis preuves pour em-
ployer l’expression dont se servent les auteurs
de ces ordures. Car vous entendez bien que les
« preuves » se réduisent à une série d’argumen-
tations pleines de fallace, à des chiffres groupés
d’une certaine façon, à des allégations archi-
fausses, à des insinuations calomnieuses. Rien
de tout cela ne résiste à un examen un peu sé-
rieux. Mais allez donc demander à des braves
gens ignorants d’examiner sérieusement des
choses qui sont de l’hébreu pour eux 1
Ah! ces circulaires et ces brochures! Nous au-
tres, qui savons ce que parler veut dire, nous
haussons les épaules quand nous les parcourons,
et nous les envoyons vite rejoindre le tas de pa-
piers que nous consacrons à des usages d’une in-
timité telle, que je n’y insisterai pas. — Eh bien,
Nous avons tort de hausser les épaules;
car nous ne nous doutons pas du tort que toutes
ces sacrées paperasses font à notre épargne na-
tionale. Il y a encore, en France, des gens, et
beaucoup, pour qui tout ce qui est imprimé est
parole d’évangile. Quand on pense que, depuis
quinze jours, et sur la foi des brochures jaunes
que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de signaler,
il s’est trouvé do bons niais pour vendre des
obligations du Crédit Foncier 1 Comme si, de tous
les titres de la cote, ceux-là n’étaient pas les plus /
SUGGESTIONS
Il paraît, d’après les Annales des sciences
psychiques, qu’il existe des gens qui ont le don
de faire perdre la rr-ute à une personne en la ré-
duisant à confondre sa droite avec sa gauche.
C’est une simple fumisterie qui vous donne
tout de suite un bon renom de sorcier.
Mais il faut avoir, pour arriver à ce résultat,
une forte dose de volonté de la part de l’opéra-
teur, — et peut-être de bonne volonté de la part
de la victime.
Du reste, ce cas de suggestion est moins rare
qu’on ne se l’imagine. Les bergers des campagnes
n’ont pas seuls cette spécialité, comme semblent
le croire les Annales des sciences psychiques.
A Paris, on a pu observer aussi ce phénomène
de suggestion.
Un monsieur passe sur le boulevard, se diri-
geant du côté de la Madeleine ; à côté de lui sur-
git une attrayante bergère qui murmure à son
oreille ces mots cabalistiques :
— Joli jeune homme, viens donc chez moi!
Il arrive souvent que le monsieur perd complè-
tement la notion du droit chemin, et, comptant
aller à la Madeleine, se dirige du côté de la Bas-
tille.
C’est là un cas de suggestion très regrettable.
Mais on ne brûle plus aujourd’hui les sorciers,
encore moins les sorcières, — on se contente de
leur donner de la braise.
Ce n’est pas tout.
Les Annales des sciences psychiques citent
encore un fait de sorcellerie plus extraordi-
naire.
Il y a des gens excessivement forts qui ont
l’art de faire tomber une personne.
Mais non pas en la jetant par terre à coups de
poing, — ça, c’est à la portée de tout homme un
peu vigoureux; mais en la renversant à distance,
par un simple effort de volonté.
Voici la recette :
« Il faut d abord connaître la personne que
l’on veut faire tomber (de même que, pour faire
un civet, il faut un lièvre), ensuite lui parler,
l’impressionner autant qu’on peut et se faire re-
douter d’elle, puis lui tendre sur sa route un
piège imaginaire. »
Et la culbute a lieu.
C’est ce qu’on peut appeler une bonne farce, ou
plutôt une mauvaise.
Mais ce n’est pas seulement à la campagne que