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CHRONOLOGIE HISTORIQUE
CHRON OLOGIE HISTORIQUE
DES GRANDS-MAITRES
D E L'ORDRE DE S. JEAN DE JÉRUSALEM,
dit aujourd’hui DE M A L T E,
ET DES GRANDS-MAITRES DU TEMPLE.
GRANDS-MAITRES D E M A L T E.
Il en est de I’Ordre des Chevaliers, appellés d’abord de S. Jean de Jérusalem, ensuite
de Rhodes, & aujourd’hui de Malte, comme de la plupart des anciens établistemens,
qui ont de la célébrité. Son origine est enveloppée d’un nuage épais & presque im-
pénétrable à l’œil perçant de la plus clairvoyante critique.
Si l’on s’en rapporte à Guillaume de Tyr, Auteur, qui, au jugement de l’Abbé de
Vertot, doit paner pour original en ce qui concerne les Hospitaliers de S. Jean, c’est
dans l’Ordre de S. Benoît que cet établistement a pris naidànce. Des Marchands
d’Amalfi, dit-il, s L. xvin, pp. 933-935), qui trafiquoient dans la Palestine, ayant
à cœur de visiter les lieux saints, obtinrent du Calife d’Egypte une place dans la ville
de Jérusalem. Sur ce terrain ils construisirent un Hospice pour la commodité de leur
nation ; & en face de l’Eglise de la Résurreftion, ils en érigerent un, sous l’invoca-
tion dc la Sainte Vierge, pour des Religieux Bénédiiftins, qu’ils fîrent venir de leur
pays avec un Abbé. Les Fondateurs étaot Latins & le service se faisant selon leur rit,
îe Monastere en prit Ie nom de Monasterium de Latina ( 1 ). Guillaume de Tyr ajoute
que Ies Amalfitains établirent aussi dans la même ville un Monastere de Religieuses,
sous le titre de Sainte Marie-Magdeleine, pour les femmes qui venoient visiter les
saints lieux, & nomme Agnès l’Abbesie qui Ie gouvernoit lorsque Jérusalem tomba
au pouvoir des Francs. La charité , poursuit - il, enga^ea les Religieux du Monas-
tere Latin à former un Hospice, dédié a S. Jean l’Aumonier, pour les Pélerins, tant
malades qu’en santé, tous réduits à une extrême misere par Ies mauvais traitemens
qu’ils éprouvoient de la part des Infideles; 8c ces pieux établisiemens étoient soutenus
par des sommes que les Amalfitains faisoient pass’er annuellement à Jérusalem.
Ni cet Historien, ni Jacques de Vitri, qui le copie en ceci, ne nous apprennent
quel fut proprement i’état des personnes qui desiervoient i’Hospice dcs Pélerins sous
les ordres de l’Abbé de Sainte Marie. Mais Iperius dans sa Chronique assure positi-
vement que c’étoient des Oblats, ou Freres Laïcs, de l’Ordrc dc S. Benoît, & que
telle est l’origine des Chevaliers Hospitaliers de S. Jean. Fratres S. Jokannis in Je-
rusalem, dit-il, qui alio nomine dicuntur JJospitalarii, primà suerunt sratres Laici
sub Abbate B. Maris. de Latinis Ordinis S. Benedicti profcfti.
De ces autorités & d’autres semblables, on a inféré que ces Hospitaliers ne furent
point Militaires dans leur institution, & qu’ils ne le devinrent dans la suite que par
la nécesslté où l’Abbé de Sainte Marie se trouva de les armer pour aller escorter les
Pélerins que Ies Arabes attaquoient sur les chemins. Alors, dit-on, ayant un Capi-
taine à leur tête pour les commander en campagne, ils ne voulurenr bientôt plus re-
connoître d’autre supérieur dans l’FIospice; & secouerent tellement le joug de l’Abbé
& des Moines, qu’iîs quitterent même la Régle de S. Benoît pour prendre celle de
S. Augustin, comme pîus conforme à lcur état.
Mais tout ce récit, adopté par D. Mabillon, ( Ann. B. L. 69 , n. 10), est forte-
ment combattu par le P. Antonio Paoli dans un savant ouvrage, publié nouvelle-
ment à Rome, sur l’origine & i’institut primitif de l’illustre établissement dont nous
parlons (1). Suivant cet Auteur, le Monastere de Sainte Marie &c l’Hospice établi
pour les Pélerins, n’ont jamais rien eu de commun. II n’y a pas de preuve, dit-il,
que le premier ait existé avant la conquête de Jérusalem par lcs Francs ; & la fonda-
tion du second , qui n’a jamais eu d’autre patron que S. Jean-Baptiste, paroît con-
courir avec cette époque. Ce ne fut point du Monastere, ajoute-t-il, que furent tirés
ceux qui desservoient cet Hospice 3 & jamais ils n’ont professé d’autre Régle que celle
de S. Augustin, en s’obligeant aux trois vœux monastiques qu’elle prescrit. II est porté
même à croire qu’ils furent Militaires, aussi bien qu’Hospitaliers, par leur premiere
institution. Les bornes étroites, où nous sommes obligés de nous renfermer, ne nous
permettent pas de discuter les preuves dont l’Auteur appuie son opinion. II nous suf-
GRANDS - MAITRES DU TEMPLE.
L’a n 1118 est la véritable époque à la-
quelle on doit rapporter l’institution
de la Chevalerie du Temple. La con-
servation des lieux saints dont les
Francs s’étoient rendus maîtres, la
nécessîté de défendre contre les Turcs
ce g'rand nombre de Pélerins qui abor-
doient aiors de toute part en Syrie,
sont les motifs qui donnerent licu à
cet établissement. Quelques Gentils-
hommes, du nombre de ceux qui
avoient suivi Godefroi de Bouillon,
en furent les auteurs & les premiers
membres. Ils étoient au nonibre de
neuf, dont les principaux furent Hu-
gues des Payens & Geofroi de Saint-
Omer. Aux trois vœux de Religion,
qu’ils prononcerent entre les mains
du Patriarche de Jérusalem , ils en
ajouterent un quatrieme qui les en-
gageoit à porter les armes contre les
Infideles. Cet Ordre est donc Mili-
taire dans son origine, à la difterence
des Hospitaliers de S. Jean de Jéru-
salem , qui ne le devinrent, suivant
l’opinion commune , que par acci-
dent. La croix des Tenrpliers étoit
d’étoffe rouge comme celle des Croi-
sés François. Leur étendard étoit parti
de noir & de blanc, & s’appclloit le
Beaucens, ou Beaucéant.
Nous n’avons jusqu’ici aucune liste
exacle des Grands-Maîtres du Tem-
ple. Celle que du Cange en a donnée
dans son Glolsaire, est copiée d’après
le Président de Boissîeu. L’examen,
que nous en avons fait, nous a con-
vaincus que, de 31 Chefs consécu-
tifs qu’il donne à cette Milice, on
doit en retrancher 10, dont il n’est
pas possîble de prouver le Magistere.
D’autres listes , qui nous ont passè
sous Ies yeux, quoique plus ancien-
nes, ne nous ont point paru mériter
plus de croyance. Elles ne s’accor-
dent ni entre elles, ni avec les Ecri-
vains & les monumens authentiques
du tems. Dans toutes on a pris des Su-
périeurs généraux de provinces pour
des Grands-Maîtres, parce que les
(1) Ce n’étoit pas le premier établissement religieux du rit latin qui eut été fait à Jérusalem depuis l’invasion des Musulmans. Dès le
commencementdu ix 'siecle, lorsque le Calife Harouneut envoyé les clefs du S. Sépulcre à Charlemagne, on avoit bâti en cette ville,
par ordre du Monarque François, une Eglise en l’honneur de ia Sainte Vierge, avec un Hospice pour les Pélerins qui venoient d’Occident
visiter les licux saints. Le Moine Bernard, qui écrivoit environ l’an 870 , dans la relation qu’il fait de son voyage à la Terre-Sainte , dit :
Ibi ( Jerosolymis ) habetur HospiiaLe in quo suscipiuntur omnes qui causâ devotionis illum adcutit locum linguâ loquetttes Eomanâ, cui adjacet
Ecclesia in honore Sanctœ Mariœ, nobdissimam htbens bibliothecam studio prxdicti Imperatoris ( Caroli Magni. ) II ajoute que devant cet Hos-
pice il y avoit un marché pour les Francs en général, sorum in quo unusquisque negocians solvit duos aureos illi qui iLlud providet. ( Acta SS um
Ord. S. B. T. IV, pp. 445-474. ) Mais cet établissement ne subsistoit plus dans Ie xi: siecle.
( 1 ) Deil' origine ed Instituto del sacro Mditar Ordine di S■ Giovam-Battista Geroscrlunitano, detto poi di Rodi , oggi di Malta, Dissertatione
di Paulo Antor.io Paoli, della Congregatione della Madredi Dio ....Roma , 1781 , in-4.
CHRONOLOGIE HISTORIQUE
CHRON OLOGIE HISTORIQUE
DES GRANDS-MAITRES
D E L'ORDRE DE S. JEAN DE JÉRUSALEM,
dit aujourd’hui DE M A L T E,
ET DES GRANDS-MAITRES DU TEMPLE.
GRANDS-MAITRES D E M A L T E.
Il en est de I’Ordre des Chevaliers, appellés d’abord de S. Jean de Jérusalem, ensuite
de Rhodes, & aujourd’hui de Malte, comme de la plupart des anciens établistemens,
qui ont de la célébrité. Son origine est enveloppée d’un nuage épais & presque im-
pénétrable à l’œil perçant de la plus clairvoyante critique.
Si l’on s’en rapporte à Guillaume de Tyr, Auteur, qui, au jugement de l’Abbé de
Vertot, doit paner pour original en ce qui concerne les Hospitaliers de S. Jean, c’est
dans l’Ordre de S. Benoît que cet établistement a pris naidànce. Des Marchands
d’Amalfi, dit-il, s L. xvin, pp. 933-935), qui trafiquoient dans la Palestine, ayant
à cœur de visiter les lieux saints, obtinrent du Calife d’Egypte une place dans la ville
de Jérusalem. Sur ce terrain ils construisirent un Hospice pour la commodité de leur
nation ; & en face de l’Eglise de la Résurreftion, ils en érigerent un, sous l’invoca-
tion dc la Sainte Vierge, pour des Religieux Bénédiiftins, qu’ils fîrent venir de leur
pays avec un Abbé. Les Fondateurs étaot Latins & le service se faisant selon leur rit,
îe Monastere en prit Ie nom de Monasterium de Latina ( 1 ). Guillaume de Tyr ajoute
que Ies Amalfitains établirent aussi dans la même ville un Monastere de Religieuses,
sous le titre de Sainte Marie-Magdeleine, pour les femmes qui venoient visiter les
saints lieux, & nomme Agnès l’Abbesie qui Ie gouvernoit lorsque Jérusalem tomba
au pouvoir des Francs. La charité , poursuit - il, enga^ea les Religieux du Monas-
tere Latin à former un Hospice, dédié a S. Jean l’Aumonier, pour les Pélerins, tant
malades qu’en santé, tous réduits à une extrême misere par Ies mauvais traitemens
qu’ils éprouvoient de la part des Infideles; 8c ces pieux établisiemens étoient soutenus
par des sommes que les Amalfitains faisoient pass’er annuellement à Jérusalem.
Ni cet Historien, ni Jacques de Vitri, qui le copie en ceci, ne nous apprennent
quel fut proprement i’état des personnes qui desiervoient i’Hospice dcs Pélerins sous
les ordres de l’Abbé de Sainte Marie. Mais Iperius dans sa Chronique assure positi-
vement que c’étoient des Oblats, ou Freres Laïcs, de l’Ordrc dc S. Benoît, & que
telle est l’origine des Chevaliers Hospitaliers de S. Jean. Fratres S. Jokannis in Je-
rusalem, dit-il, qui alio nomine dicuntur JJospitalarii, primà suerunt sratres Laici
sub Abbate B. Maris. de Latinis Ordinis S. Benedicti profcfti.
De ces autorités & d’autres semblables, on a inféré que ces Hospitaliers ne furent
point Militaires dans leur institution, & qu’ils ne le devinrent dans la suite que par
la nécesslté où l’Abbé de Sainte Marie se trouva de les armer pour aller escorter les
Pélerins que Ies Arabes attaquoient sur les chemins. Alors, dit-on, ayant un Capi-
taine à leur tête pour les commander en campagne, ils ne voulurenr bientôt plus re-
connoître d’autre supérieur dans l’FIospice; & secouerent tellement le joug de l’Abbé
& des Moines, qu’iîs quitterent même la Régle de S. Benoît pour prendre celle de
S. Augustin, comme pîus conforme à lcur état.
Mais tout ce récit, adopté par D. Mabillon, ( Ann. B. L. 69 , n. 10), est forte-
ment combattu par le P. Antonio Paoli dans un savant ouvrage, publié nouvelle-
ment à Rome, sur l’origine & i’institut primitif de l’illustre établissement dont nous
parlons (1). Suivant cet Auteur, le Monastere de Sainte Marie &c l’Hospice établi
pour les Pélerins, n’ont jamais rien eu de commun. II n’y a pas de preuve, dit-il,
que le premier ait existé avant la conquête de Jérusalem par lcs Francs ; & la fonda-
tion du second , qui n’a jamais eu d’autre patron que S. Jean-Baptiste, paroît con-
courir avec cette époque. Ce ne fut point du Monastere, ajoute-t-il, que furent tirés
ceux qui desservoient cet Hospice 3 & jamais ils n’ont professé d’autre Régle que celle
de S. Augustin, en s’obligeant aux trois vœux monastiques qu’elle prescrit. II est porté
même à croire qu’ils furent Militaires, aussi bien qu’Hospitaliers, par leur premiere
institution. Les bornes étroites, où nous sommes obligés de nous renfermer, ne nous
permettent pas de discuter les preuves dont l’Auteur appuie son opinion. II nous suf-
GRANDS - MAITRES DU TEMPLE.
L’a n 1118 est la véritable époque à la-
quelle on doit rapporter l’institution
de la Chevalerie du Temple. La con-
servation des lieux saints dont les
Francs s’étoient rendus maîtres, la
nécessîté de défendre contre les Turcs
ce g'rand nombre de Pélerins qui abor-
doient aiors de toute part en Syrie,
sont les motifs qui donnerent licu à
cet établissement. Quelques Gentils-
hommes, du nombre de ceux qui
avoient suivi Godefroi de Bouillon,
en furent les auteurs & les premiers
membres. Ils étoient au nonibre de
neuf, dont les principaux furent Hu-
gues des Payens & Geofroi de Saint-
Omer. Aux trois vœux de Religion,
qu’ils prononcerent entre les mains
du Patriarche de Jérusalem , ils en
ajouterent un quatrieme qui les en-
gageoit à porter les armes contre les
Infideles. Cet Ordre est donc Mili-
taire dans son origine, à la difterence
des Hospitaliers de S. Jean de Jéru-
salem , qui ne le devinrent, suivant
l’opinion commune , que par acci-
dent. La croix des Tenrpliers étoit
d’étoffe rouge comme celle des Croi-
sés François. Leur étendard étoit parti
de noir & de blanc, & s’appclloit le
Beaucens, ou Beaucéant.
Nous n’avons jusqu’ici aucune liste
exacle des Grands-Maîtres du Tem-
ple. Celle que du Cange en a donnée
dans son Glolsaire, est copiée d’après
le Président de Boissîeu. L’examen,
que nous en avons fait, nous a con-
vaincus que, de 31 Chefs consécu-
tifs qu’il donne à cette Milice, on
doit en retrancher 10, dont il n’est
pas possîble de prouver le Magistere.
D’autres listes , qui nous ont passè
sous Ies yeux, quoique plus ancien-
nes, ne nous ont point paru mériter
plus de croyance. Elles ne s’accor-
dent ni entre elles, ni avec les Ecri-
vains & les monumens authentiques
du tems. Dans toutes on a pris des Su-
périeurs généraux de provinces pour
des Grands-Maîtres, parce que les
(1) Ce n’étoit pas le premier établissement religieux du rit latin qui eut été fait à Jérusalem depuis l’invasion des Musulmans. Dès le
commencementdu ix 'siecle, lorsque le Calife Harouneut envoyé les clefs du S. Sépulcre à Charlemagne, on avoit bâti en cette ville,
par ordre du Monarque François, une Eglise en l’honneur de ia Sainte Vierge, avec un Hospice pour les Pélerins qui venoient d’Occident
visiter les licux saints. Le Moine Bernard, qui écrivoit environ l’an 870 , dans la relation qu’il fait de son voyage à la Terre-Sainte , dit :
Ibi ( Jerosolymis ) habetur HospiiaLe in quo suscipiuntur omnes qui causâ devotionis illum adcutit locum linguâ loquetttes Eomanâ, cui adjacet
Ecclesia in honore Sanctœ Mariœ, nobdissimam htbens bibliothecam studio prxdicti Imperatoris ( Caroli Magni. ) II ajoute que devant cet Hos-
pice il y avoit un marché pour les Francs en général, sorum in quo unusquisque negocians solvit duos aureos illi qui iLlud providet. ( Acta SS um
Ord. S. B. T. IV, pp. 445-474. ) Mais cet établissement ne subsistoit plus dans Ie xi: siecle.
( 1 ) Deil' origine ed Instituto del sacro Mditar Ordine di S■ Giovam-Battista Geroscrlunitano, detto poi di Rodi , oggi di Malta, Dissertatione
di Paulo Antor.io Paoli, della Congregatione della Madredi Dio ....Roma , 1781 , in-4.