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CHAPITRE PREMIER

n’avait pas jugé de donner de premier prix dans des années précédentes. Il s’en trouvait
un en réserve (celui de l’année 1770). On va aux voix : M. Le Monnier l’emporte de
beaucoup, au grand étonnement des jeunes artistes mes amis et de toutes les écoles.
» C’est ici que la scène devait changer et que je projetai de ne plus m’exposer doré-
navant à une nouvelle humiliation. Je médite mon projet, j’affecte un visage calme auprès
de mes parents et notamment auprès de mon oncle qui s’apprêtait à m’emmener dans sa
voiture à la campagne. Je fais changer la partie, je préfère aller souper à Paris chez lui.
» Je me retire toujours avec l’apparence de la plus calme indifférence ; mais libre
enfin, seul avec moi, je me dispose à exécuter mon projet : ce projet, hélas! était de me
laisser mourir de faim. Je m’y trouvais d’autant plus porté, que comme on peut aisément
le croire, je ne me sentais plus d’appétit; le lendemain également. La faiblesse s’empara
de moi le surlendemain ; enfin il y avait déjà deux jours et demi lorsque des personnes
qui habitaient la même maison que moi, entendant mes soupirs, vont avertir M. Sedaine,
chez lequel nous logions. Il frappe, point de réponse, refrappe, encore moins, quoiqu’on
l’avertisse que certainement j’y étais.
» Que fit ce brave et sensible homme ? Ce fut d’aller chercher le peintre Doyen, son
ami et l’un de mes juges. Il lui conte le fait et ses craintes.
» Doyen, occupé dans ce moment à son plafond des Invalides, quitte vite l’ouvrage.
Ils viennent aussitôt refrapper à ma porte, mais comme je ne répondais pas : « Quoi! »
dit Doyen d’une voix élevée, « Sedaine me parle de votre dessein, il n’y a pas de bon sens,
» mon ami. Quand on fait un pareil tableau, on doit s’estimer plus heureux que ceux qui
» l’ont emporté sur vous. Ils changeraient bien avec vous. »
» Ces paroles consolantes, dites par un homme dont j’estimais le talent, mon juge enfin,
me font traîner à la porte et la leur ouvrir. C’est alors qu’il fut beau à les voir. Non, ce
tableau ne me sortira jamais de la tète ; l’un me tenant dessous les bras assis sur une
chaise, tandis que l’autre me passait un bas, puis l’autre. Enfin ils m’habillèrent complè-
tement et me firent boire et manger par degrés jusqu’à ce qu’enfin ils m’eurent emmené
avec eux pour m’enlever ces idées funestes. Figurez-vous les voisines présentes lorsqu’on
me rappelait à la vie. »
Doyen apprit à l’Académie ce qui venait de se passer, le désespoir de David, sa ten-
tative de suicide et, grâce à Sedaine, son heureuse intervention ; mais mécontent des
réflexions de ses collègues, à propos de l’estime qu’il manifestait pour les brillantes
dispositions de David, il s’écria : « Souvenez-vous, messieurs, que ce jeune homme, un
jour, vous tirera les oreilles. »
Ces événements avaient mis en relief les principaux côtés du caractère de David : un
amour très vif de la gloire et une certaine tendance à se regarder comme méconnu. Ainsi
froissé par un jugement qu’il considère comme injuste, il prend une résolution violente;
mais, à la voix d’un homme de talent qui sait toucher son amour-propre, il se console et
abandonne une détermination contre laquelle l’amitié la plus tendre avait échoué.
Il nous est difficile de porter un jugement sur la valeur de ce concours, car nous ne
connaissons pas les tableaux auxquels les prix furent accordés. Quant à la toile de
 
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