L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

l'i Novembre 1876.

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

ICI

LA NOUVELLE BONNE

SCÈNE PARISIENNE

(Un salon bourgeois)
SCÈNE PREMIÈRE

madame, monsieur, la bonne

La bonne, entrant. — Salue, m'sieu, madame.
Monsieur. — Ah! ah! c'est la bonne!... Entrez!...
La bonne. — La boulangère m'a dit que vous aviez
besoin d'une bonne bonne.
Madame. — Mme Patin?

La bonne. — Je sais pas comment qu'elle s'ap-
pelle; c'est la rouge du coin de la rue...

Madame. — Justement, Mmc Patin !... Eh bien!
avez-vous des certificats?

La bonne, après s'être fouillée et refouillée. — lié!
là!... bécasse, va! je les ai oubliés dans ma malle à
l'hôtel... j'y vas... (à elle-même) c'est des méfiants, il
parait!....

Monsieur, à madame. — Mauvais signe! pas de
mémoire!... \A la bonne.) Vous êtes donc oublieuse?

La bonne. — Moi! j'oublie jamais rien, m'sieu;
c'est la première fois, vrai !

Madame. — Enfin, voyons toujours! Avez-vous
déjà servi dans plusieurs maisons?

La bonne. — Dans deux seulement. Oh! j'aime
pas changer, moi !

Madame. — Nous non plus! dans quelles mai-
sons ?

La bonne. — Un prince polonais et un charbon-
nier.

Madame, poussant un cri. — Tiens! un prince polo-
nais, c'est peut-être celui qu'on nous a montré à
l'Odéon, l'autre jour... (A la bonne.) Ohl nous le con-
naissons beaucoup : le prince Vladimir Kaskosky!...

La bonne.—Peut-être bien!... seulement on î'ap- J

pelait m'sieu Nicolas, car je pouvais pas dire son
nom d'un seul coup...

Monsieur. — Ah ! c'est comme moi, par exemple !
Ces noms étrangers sont positivement insensés.

Madame. — Èt le charbonnier?...

La bonne. — Comment qu'il s'appelait?...

Madame. — Oui.

La bonne. — Il s'appelait Pétard !

Monsieur, riant. — Au moins, j'aime mieux ça;
voilà qui est facile à prononcer : Pétard!... Ça va
tout seul!

Madame. — Vous savez bien cuisiner?

La bonne, à elle-même. — Avec ça que je vas y
dire que je sais pas; sont-ils bêtes, les bourgeois!
(Haut.) Madame peut être tranquille; jè sais tout,
excepté les plats-montés.

Monsieur. — Ce n'est pas nécessaire. Nous nous
contentons d'une cuisine modeste; modeste, mais
convenable et saine... La plus grande propreté sur-
tout...

La bonne. — MVieu peut être tranquille, j'suis
toujours à laver... (A elle-même.) Avec ça qu'il a l'air
si propre lui !...

Madame. — Vous savez coudre et repasser, natu-
rellement? Ici, comme nous n'avons pas un gros mé-
nage, c'est toujours la bonne qui se charge du petit
linge...

La bonne, à elle-même. — Ah! ah! [Haut.) J'ai été
couturière de mon premier métier, et pour le repas-
sage, je sais tout, excepté le tuyauté.

Monsieur.— Ce n'est pas nécessaire. Nous nous con-
tentons, de linge plat, modeste, mais convenable...

Madame. — Èt d'une propreté exemplaire.

La bonne, à part. — Connu, ma vieille, va !

Monsieur. — J'y pense ! Ah çà, pourquoi avez-vous
quitté vos maisons précédentes?

La bonne. — Je m'y plaisais pas.

Madame. — Est-ce vous qui avez voulu partir?

La bonne. — Pardi ! Il y avait à trimer comme une
bourrique, et pas à manger son appétit!