L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (10.1877)

34

L'ECLIPSE, REVU[E COMIQUE ILLUSTRÉE

29 Juillet 1877.

CHEZ LUI ET CHEZ ELLE

PREMIER TABLEAU

CHEZ LUI

Il est six heures et demie. La bonne ouvre la porte
du salon, et dit : « Voilà monsieur. »

Aussitôt les deux petits garçons et la fillette se
poussant, se bousculant, sortent avec fracas et vont
se jeter dans les jambes de monsieur qui rentre.
Leurs petites voix crient à plein gosier : « Papa,
voilà papa, voilà mon papa. »

Mais lui, d'un geste sec, arrête cette joie
bruyante.

— Paix, la marmaille, dit-il brusquement; et les
petits enfants se taisent.

C'est l'heure du dîner. Le couvert étincelle sur la
nappe blanche qu'éclaire la lampe suspendue. La
soupe fume au milieu de la table servie. On passe à
la salle à manger. Chacun prend sa place en silence
et madame, montrant son mari aux enfants, met un
doigt sur ses lèvres. Cela signifie : « Le père est de
mauvaise humeur, pas un mot. »

Monsieur en effet paraît sombre. Assis à sa place,
il mange avec avidité, boit de grands coups de vin,
sans proférer une parole. De temps à autre, il jette
des regards courroucés autour de lui. La petite fille-
baisse les yeux, tremblante d'effroi.

Au second plat, le plus petit des garçons laisse
tomber une assiette qui se brise :

— Paul, venez ici, dit l'homme d'une voix irri-
tée. *

Et, sur un signe de monsieur, la bonne descend
l'enfant de sa chaise haute. Tremblant, éperdu, se
mordant les lèvres pour ne pas pleurer, le pauvre
petit vient près de son père. Celui-ci se lève, désha-
bille l'enfant et lefouette sans miséricorde. Sa mère,
sa petite sœur implorent pour lui : « Grâce, grâce,
mon papa, il ne le fera plus »; le père redou-
ble.

Il se rassied enfin, et le môme tout en larmes
regagne sa place. De gros sanglots coupent sa voix
d'enfant, et il les étouffe peu à peu, sous le regard
menaçant de son père.

Cependant monsieur a fini démanger. Le chapeau
sur la tête, l'air dur, le cure-dents aux lèvres, il
allume unlondrès et se fait servir du café, pendant
que les enfants descendent de leurs chaises.

— Au lit, au lit, et plus vite que ça, dit monsieur.
Les petits veulent l'embrasser avant d'aller se cou-
cher. D'un geste, il les repousse. Labonne les emmène.

Resté seul avec madame, monsieur lui dit simple-
ment : a Ne m'attendez pas ce soir, ma chère, je ne
rentrerai que demain. »

Et comme madame veut répondre, il ajoute :

— Oh! pas de scènes, n'est-ce pas? et il se
lève.

LE POULET

— N'est-ce pas désolant ! encore ce méchant poulet — Non, Auguste, tu ne monteras pas, ce sera moi;
qui s'est envolé chez le voisin : il va le nous le tuer, je ne veux pas que pour une bête aussi ingrate tu te
mon ami... fasses le moindre mal.

— Je t'en prie, Zélie, monte avec prudence, laisse-
le là, ton vilain oiseau; après celui-ci, un^autre... Le
vois-tu?...