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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 23.1881

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Nr. 1
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Mantz, Paul: Rubens, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.22843#0010

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

c'est la jeunesse qui l'apporte à l'esprit plein d'aurore ; c'est elle aussi
qui, en s'en allant, l'entraîne loin de l'âme envahie par le crépus-
cule commencé. Heureux ceux qui savent profiter du moment qui
passe ! habiles et prudents ceux qui, pour parler de Rubens, choisissent
la saison brûlante ! L'instant privilégié ne revient pas. L'âge arrive,
accompagné non des méchantes humeurs, mais des clairvoyances de la
critique; l'inquiétude s'éveille; on voit mieux, on voit trop les compli-
cations et les mélanges, et l'on se demande si, dans la statue qui domine
de si loin et de si haut les avenues de l'école flamande et qui paraît faite
d'un métal reluisant et clair, l'or et l'argent fondus ne contiennent pas
quelques éléments moins fins.

A une étude sur Rubens telle qu'on la peut essayer quand on a laissé
fuir l'heure indulgente, ces préoccupations risquent d'enlever un certain
accent lyrique. Elles sont légitimes pourtant, elles sont à la fois humaines
et modernes, et nous croyons d'ailleurs que l'histoire de l'art serait inexac-
tement racontée dans une série de cantates. On aurait la plus mauvaise
grâce du monde à se montrer systématiquement rébarbatif, et l'automne
serait une saison navrante si elle n'avait d'autre souci que de faire le
procès au printemps ; mais on a le droit d'être juste, de mettre les hommes
et les choses à leur place, de voir s'il n'y a pas quelques herbes folles
clans les moissons blondes que Rubens a engrangées. Dût-on paraître çà et
là un peu maussade, on fera patiemment ce triage. L'hymne n'est point
scientifique, l'exaltation n'est point une méthode. Si, dans la poésie
dont on nous vante l'harmonieuse envolée, il y avait, par aventure, des
notes d'une prose un peu lourde, pourquoi ne le dirions-nous pas?

Il est d'ailleurs notoire que nous avons affaire à un très puissant
génie. On n'entre pas sans respect dans l'œuvre d'un homme qui s'est
appelé Légion, qui occupe dans les Musées un si large espace, et dont
l'influence a tellement dépassé les limites du xvir siècle qu'on dirait
qu'elle dure encore, et qu'on la verrait renaître si elle paraissait s'effacer
un instant. A ce point de vue, Rubens n'est pas seulement la caracté-
ristique de l'école flamande, il va bien au delà. Par les questions qu'il a
abordées, par la façon triomphante dont il les a résolues, il est éternel.
Il nous a beaucoup servi, il nous servira toujours, ce clair vainqueur de
Garavage. Et en effet, le combat n'est pas fini. Nous avons encore besoin
du maître d'Anvers et de son rayon. Bien qu'il ne soit pas un dieu tout
à fait authentique et que la suprême élégance manque à son attitude,
Rubens apparaît, dans l'art moderne, comme un Phœbus lanceur de
flèches radieuses, comme un héros armé de lumière, qui va combattre
dans leur caverne les peintres épris de l'ombre noire.
 
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