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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 23.1881

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Nr. 2
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Trabaud, Pierre: Le retable de Saint-Didier a Avignon
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https://doi.org/10.11588/diglit.22843#0192

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Malheureusement, les ordonnances ayant le tort de n'être pas plus observées que
les traités et le déplacement ayant occasionné le bris de quelques menus fragments,
les réparateurs, avides de bon marché, procédèrent au moyen du plâtre, c'est-à-dire
avec une fâcheuse parcimonie.

A cette heure, tout reste solidement fixé, mais si absolument établi en demeure
sombre, que les moindres rayons lumineux ne peuvent éclairer cette triste chapelle,
si tristement dénommée Notre-Dame-de-Pitié.

Placé en face du relief de marbre1, le visiteur se sent touché par la vétusté
archaïque non moins que par la grandeur du sujet et l'originalité des personnages qui
le composent. Il considère la sereine résignation de Jésus portant son lourd fardeau,
pressé par une foule railleuse et do grossiers satellites qui le conduisent au Calvaire,
au moment où il rencontre sa mère. Il remarque l'attitude de la Vierge, baignée de
larmes, s'affaissant dans la douleur, étendant ses bras pour implorer la clémence des
bourreaux et s'offrant en sacrifice. Son costume de veuve, son voile d'abbesse signifie
que la perfection reste au cloître ; sa conformation, intentionnellement dessinée, suppose
une femme à peine pourvue des dons féminins. Dans le lointain apparaissent les murs
et les tours du temple de Jérusalem, qui semblent se perdre dans l'azur des cieux.

Cette scène, une des plus pathétiques du drame suprême, attire donc l'attention
sur deux points opposés : d'un côté, Jésus et les méchants ; de l'autre, sa mère et les
compatissants. D'où un contraste, une diversité favorable aussi bien à l'idée qu'à l'exé-
cution.

Saint Jean, placé au milieu, et facilement reconnaissable à sa figure douce et à
ses yeux baissés, selon la règle, prend le rôle d'intermédiaire; il aiderait volontiers à
supporter la croix. La jeune femme qui soutient la Vierge montre, de face, une phy-
sionomie régulière, presque rustique, naturellement belle, où se trahit une infatigable
ardeur à tout secourir; c'est, au dire de nos théologiens, Marthe, celle que la tradi-
tion amènera un jour sur les bords marins de la Provence. Dans l'angle à droite,
Madeleine debout, coiffée à la mondaine, vêtue d'une élégante tunique, alors qu'une
jolie servante porte sur son épaule le bras dont le coude sort librement du cadre. Dans
les intervalles amenés par les lignes profilées des têtes, se montrent les deux Maries,
essuyant des larmes abondantes. — A l'arrière-plan et du même côté, les dames étagées
sur deux rangs, avec leurs lourdes coiffures en turban, ne sont autres que des cita-
dines, nobles ou bourgeoises, assistant en spectatrices au lugubre office.

Les comparses, pour tenir lieu d'accessoires, conservent ici une importance rela-
tive. Il faut ne point négliger les physionomies vulgaires des hommes, plus dépour-
vues de race qu'animées de perversité. Autant que les souvenirs ont de la valeur,
quelques types nous rappellent ceux des hommes de peine qui envahissaient le pont
du bateau du Rhône, au moment de l'arrivée, pour s'emparer des effets des passagers.
Ces portefaix se décochaient des surnoms topiques : Jean Col-de-Bœuf, Tonin Larges-
Pattes^ Ménique le Coureur, etc. Tout ceci s'explique. Comme nous l'avons écrit
quelque part, la fin du xve siècle, sans reproduire la Jacquerie, laisse toutefois encore
poindre des démonstrations démocratiques non équivoques.

C'est là ce que le sculpteur François Laurens avait compris, et ce que les descen-
dants de René n'avaient point dédaigné. N'est-il pas avéré que fart est l'expression
d'une idée privée ou publique, ou d'un ensemble d'idées? Comme résumé de la pen-

1. Dimension du retable : longueur, 2m,60; hauteur, lm,30; taille des personnages, 4/5e de la nature.
 
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