GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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une inspiration immédiate, nous sommes encore à chercher sur quelle
base sérieuse on pourrait bien les établir. Nous avouerons même que
si nous avions à trouver, au panthéon de l’art, une place qui convînt
exactement à l’incomparable génie de l’un et au robuste talent de l’autre,
nous serions presque tenté de les placer aux deux extrémités opposées
de ce monument idéal : Rembrandt, au milieu des créateurs débordants,
Vermeer, dans le groupe recueilli des observateurs discrets et des
interprètes sincères.
Où découvre-t-on, en effet, dans le maître aimable de Delft, ce tor-
rent de pensées qui bouillonnent, cette tempête d’idées qui se heurtent,
cette immensité de conceptions, qui sont la caractéristique du génie de
Rembrandt : qualités énormes qui constituent le principal titre de gloire
du vieux maître, et en font un des plus grands artistes des temps mo-
dernes?
Où trouve-t-on dans Vermeer cette verve créatrice, cette puissance
expansive qui élargit tous les sujets et mêle l’infini aux moindres choses?
Car Rembrandt ne peut toucher à rien qu’il ne l’agrandisse. Aborde-t-il
l’être le plus vulgaire, l’action la plus basse, l’intérieur le plus obscur, sous
son pinceau tout se transforme. Même quand il prétend serrer la nature
de près et s’en tenir à la réalité, son génie d’un coup d’aile l’emporte,
presque malgré lui, vers des sphères supérieures. Les figures qu’il copie
strictement perdent tout accent personnel. Ses portraits deviennent des
types. Vermeer offre-t-il, dans son œuvre précieux mais contenu, rien
qui ressemble à cela ?
Esprit charmant mais réservé, il ne faut ni le déluge ni l’océan pour
étancher sa soif. Son verre lui suffit. Petit ou grand, c’est à lui qu’il a
recours et point à d’autres. 11 regarde autour de lui et nous montre ce
qu’il voit; seulement il voit juste et montre avec goût. Bien loin de s’en-
voler à tout propos et de se perdre dans 1’ « au delà », il se réduit et se
concentre. Aucun de ses ouvrages ne trouble, tous au contraire pro-
duisent chez qui les contemple une sorte de calme et d’apaisement. Non
seulement le drame de la vie n’apparaît pas dans ses pages intimes, mais
il en est sévèrement banni, et ses personnages, tous paisibles et reposés,
ne font guère plus de bruit que les multiples accessoires dont il les
entoure. Vermeer, avant tout, est un peintre silencieux.
Nous irons même plus loin ; ne vous semble-t-il pas qu’il partage avec
Pieter de Hooch, son compatriote et son ami, un privilège singulier?
On pourrait enlever, de certaines de ses petites compositions, le ou
les personnages dont elles sont étoffées, sans que l’intérêt en disparaisse
complètement? Beaucoup d’entre ces personnages ne figurent là, en
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une inspiration immédiate, nous sommes encore à chercher sur quelle
base sérieuse on pourrait bien les établir. Nous avouerons même que
si nous avions à trouver, au panthéon de l’art, une place qui convînt
exactement à l’incomparable génie de l’un et au robuste talent de l’autre,
nous serions presque tenté de les placer aux deux extrémités opposées
de ce monument idéal : Rembrandt, au milieu des créateurs débordants,
Vermeer, dans le groupe recueilli des observateurs discrets et des
interprètes sincères.
Où découvre-t-on, en effet, dans le maître aimable de Delft, ce tor-
rent de pensées qui bouillonnent, cette tempête d’idées qui se heurtent,
cette immensité de conceptions, qui sont la caractéristique du génie de
Rembrandt : qualités énormes qui constituent le principal titre de gloire
du vieux maître, et en font un des plus grands artistes des temps mo-
dernes?
Où trouve-t-on dans Vermeer cette verve créatrice, cette puissance
expansive qui élargit tous les sujets et mêle l’infini aux moindres choses?
Car Rembrandt ne peut toucher à rien qu’il ne l’agrandisse. Aborde-t-il
l’être le plus vulgaire, l’action la plus basse, l’intérieur le plus obscur, sous
son pinceau tout se transforme. Même quand il prétend serrer la nature
de près et s’en tenir à la réalité, son génie d’un coup d’aile l’emporte,
presque malgré lui, vers des sphères supérieures. Les figures qu’il copie
strictement perdent tout accent personnel. Ses portraits deviennent des
types. Vermeer offre-t-il, dans son œuvre précieux mais contenu, rien
qui ressemble à cela ?
Esprit charmant mais réservé, il ne faut ni le déluge ni l’océan pour
étancher sa soif. Son verre lui suffit. Petit ou grand, c’est à lui qu’il a
recours et point à d’autres. 11 regarde autour de lui et nous montre ce
qu’il voit; seulement il voit juste et montre avec goût. Bien loin de s’en-
voler à tout propos et de se perdre dans 1’ « au delà », il se réduit et se
concentre. Aucun de ses ouvrages ne trouble, tous au contraire pro-
duisent chez qui les contemple une sorte de calme et d’apaisement. Non
seulement le drame de la vie n’apparaît pas dans ses pages intimes, mais
il en est sévèrement banni, et ses personnages, tous paisibles et reposés,
ne font guère plus de bruit que les multiples accessoires dont il les
entoure. Vermeer, avant tout, est un peintre silencieux.
Nous irons même plus loin ; ne vous semble-t-il pas qu’il partage avec
Pieter de Hooch, son compatriote et son ami, un privilège singulier?
On pourrait enlever, de certaines de ses petites compositions, le ou
les personnages dont elles sont étoffées, sans que l’intérêt en disparaisse
complètement? Beaucoup d’entre ces personnages ne figurent là, en