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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 28.1883

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Nr. 3
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Chantelou, Paul Fréart de: Journal du voyage du cavalier Bernin en France, [21]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24260#0278

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266

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

choses de plus en plus; qu’on vient à les aimer à mesure de la connaissance
qu’on en acquiert. « Il est vrai, a dit le Cavalier, qu’outre que cela donne à
un prince de la réputation parmi les étrangers, c’est qu’il y a grande satisfac-
tion à voir de beaux tableaux, de belles statues et des bustes qui ramènent à
l’esprit la ressemblance des grands hommes et leurs actions, et servant d’en-
tretien donnent de l’émulation et du désir d’en imiter les vertus. » Mignard
a dit que le duc de Modène, le père1, avait un beau cabinet; qu’il-avait ac-
coutumé de s’y aller peigner, et qu’à force de voir des tableaux du Corrége,
de Raphaël, dont il en avait deux beaux, et du Titien, il s’était purgé les yeux
de sorte qu’on lui vint une fois, lui étant auprès du duc, apporter un tableau
qu’on estimait extrêmement, et que de lui-même il jugea ce qu’il valait. Le
Cavalier a dit sur cela : « Le signor de Chantelou est si intelligent que les
choses que je fais il m’en dit d’abord le fin, et en choses qui ne pouvaient
être connues que de ceux qui savent le plus et qui savent opérer. » Mignard
lui a répondu que j’avais fait des voyages à Rome et y avais considéré les
belles choses. « Mais, a dit le Cavalier, il y en a tant qui y ont été et qui y
demeurent, et n’ont point cette intelligence. » Mignard a ajouté que j’avais
fait copier les beaux ouvrages de Raphaël et fait former tant de beaux an-
tiques. Le Cavalier a répliqué que cela ne suffisait pas, qu’il fallait le natu-
rel, que le Roi l’avait plus obligé de choisir pour être auprès de lui le signor
de Chantelou que s’il l’avait fait recevoir par un fort grand seigneur; que ce
choix, que Sa Majesté avait fait, avait confirmé l’estime qu’il avait du juge-
ment du Roi; qu’il s’était souvenu de m’avoir vu à Rome2; a dit après qu’il
souhaitait au Roi une douzaine de statues et une douzaine de tableaux exquis;
que si Sa Majesté continuait dans le même amour, avant qu’il fût quinze
ans, les arts fleuriraient autant en France qu’à Rome. Mignard a répondu
qu’en France il y avait un nombre infini de beaux tableaux. J'ai dit que,
depuis vingt ans, on en a tiré de Rome et d’Angleterre 3 tout ce qui y était à
vendre.

Dans cet entretien est venu M. Colbert, et, étant entré dans la salle, le
Cavalier et moi l’avons suivi. Le discours précédent s’est continué, qui était
de souhaiter au Roi quelque nombre de belles statues. Le Cavalier a répété
ce qu’il avait dit de l’effet que cela faisait parmi les étrangers, ce que je lui
avais dit de l’humeur du Roi. M. Colbert a pris la parole et a dit que Sa Ma-
jesté se déferait bientôt de ces choses qu’on peut appeler bagatelles et s’atta-
cherait entièrement au bon. Le Cavalier a ajouté qu’il n’avait jamais vu un si
beau naturel. Encore plus beau qu’on ne peut imaginer, a dit M. Colbert,
qu’il fait le bien sans s’en apercevoir, par la disposition naturelle qu’il y a.
Le plus grand plaisir du Roi est de faire des grâces, que jamais personne ne
les a faites de si bonne grâce, particulièrement à ceux qui le servent bien,
que quand il a occasion d’en faire quelqu’une, on le connaît à son visage,
sans que Sa Majesté elle-même s’en aperçoive; qu’il a pris la liberté de le

1. Mignard était à Modène en 1653. Le duc dont il parle est donc François Ier d’Este. —
On sait que la galerie des ducs de Modène fut achetée au siècle dernier par le duc de Saxe,
Auguste III, et forme la plus grande et la plus belle partie de l’admirable musée de Dresde.

2. C’est-à-dire : que le Roi s’était souvenu que Chantelou m’avait vu à Rome.

3. Entre autres lorsqu’on fit en Angleterre la vente des tableaux possédés par Charles Ier.
 
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