LES FRESQUES DE RAPHAËL A LA FARNÉSINE. Z|83
Il traitait le gouvernement de l’Église aussi légèrement que la politique.
Quand la Réforme commença à gronder en Allemagne, il ne trouva rien à
dire sinon ce mot : « Querelle de moines ! » Il ne devina pas plus le grand
orage du xvr siècle que, plus tard, les grands seigneurs de la cour de
Louis XVI, qui applaudissaient le Mariage de Figaro, ne devaient deviner
le menaçant orage de la Révolution. L’important, pour lui, c’était de trou-
ver chaque jour une fantaisie nouvelle qui pût le distraire jusqu’au soir.
Les grands peintres sont souvent de terribles révélateurs, précisément
parce qu’ils ne songent qu’à exprimer la réalité sans intention de satire.
Nous avons, de la main de Raphaël, un admirable portrait de Léon X,
dans la galerie Pitti. Que fait-il, ce pontife souverain de la chrétienté
revêtu de ses habits sacerdotaux, derrière lequel se tiennent gravement
deux cardinaux debout? Assis devant une table sur laquelle est ouvert
uu livre enrichi de miniatures superbes, une loupe à la main, il examine
des camées antiques au lieu d’administrer l’Église.
Toujours occupé de caprices nouveaux et fastueux, Léon X abusait de
tous : il abusait de Raphaël surtout. Un souverain absolu n’a guère à sa
disposition un tel homme pour s’aviser de le ménager. Raphaël était trop
désireux de plaire, trop docile, trop parfait courtisan, pour être capable
de défendre son indépendance ; grâce à ses dons merveilleux, tout travail
l’attirait; grâce à sa merveilleuse facilité, il suffisait à tout; lui-même
était sans doute et flatté de tenir tant de place à la cour du pontife, et
désireux de ne laisser aucun autre s’introduire dans sa faveur et devenir
pour lui un rival peut-être redoutable. Il produisait, il produisait sans
relâche, heureux de produire et de faire sortir de sa tête et de son cœur
tout ce qu’il y portait, sans même se demander si, à ce labeur effrayant,
il ne dévorait pas sa vie. En même temps qu’il était chargé des travaux
de la reconstruction de Saint-Pierre, il poursuivait au Vatican la déco-
ration de la salle de Y Incendie du Borgo-, il préparait la décoration de la
salle de la Bataille de Constantin; il décorait les Loges, et traçait pour
elles les compositions tirées de la Rible; il faisait, pour les tapisseries de
Bruxelles, les Cartons où étaient mis en scène les Actes des Apôtres. 11 fut
bientôt encore, par-dessus le marché, le conservateur des monuments
antiques ; il les relevait et les faisait relever ; il les protégeait contre les
injures des barbares contemporains. A chaque instant il était interrompu
de ces grands travaux pour quelque besogne frivole. Un jour c’était,
pour une représentation théâtrale, un rideau à peindre et des décors à
brosser ; un autre jour, la fantaisie du pape voulait que son peintre exé-
cutât le portrait de son éléphant. Il est permis de croire que Raphaël
maugréait parfois, mais il obéissait toujours.
Il traitait le gouvernement de l’Église aussi légèrement que la politique.
Quand la Réforme commença à gronder en Allemagne, il ne trouva rien à
dire sinon ce mot : « Querelle de moines ! » Il ne devina pas plus le grand
orage du xvr siècle que, plus tard, les grands seigneurs de la cour de
Louis XVI, qui applaudissaient le Mariage de Figaro, ne devaient deviner
le menaçant orage de la Révolution. L’important, pour lui, c’était de trou-
ver chaque jour une fantaisie nouvelle qui pût le distraire jusqu’au soir.
Les grands peintres sont souvent de terribles révélateurs, précisément
parce qu’ils ne songent qu’à exprimer la réalité sans intention de satire.
Nous avons, de la main de Raphaël, un admirable portrait de Léon X,
dans la galerie Pitti. Que fait-il, ce pontife souverain de la chrétienté
revêtu de ses habits sacerdotaux, derrière lequel se tiennent gravement
deux cardinaux debout? Assis devant une table sur laquelle est ouvert
uu livre enrichi de miniatures superbes, une loupe à la main, il examine
des camées antiques au lieu d’administrer l’Église.
Toujours occupé de caprices nouveaux et fastueux, Léon X abusait de
tous : il abusait de Raphaël surtout. Un souverain absolu n’a guère à sa
disposition un tel homme pour s’aviser de le ménager. Raphaël était trop
désireux de plaire, trop docile, trop parfait courtisan, pour être capable
de défendre son indépendance ; grâce à ses dons merveilleux, tout travail
l’attirait; grâce à sa merveilleuse facilité, il suffisait à tout; lui-même
était sans doute et flatté de tenir tant de place à la cour du pontife, et
désireux de ne laisser aucun autre s’introduire dans sa faveur et devenir
pour lui un rival peut-être redoutable. Il produisait, il produisait sans
relâche, heureux de produire et de faire sortir de sa tête et de son cœur
tout ce qu’il y portait, sans même se demander si, à ce labeur effrayant,
il ne dévorait pas sa vie. En même temps qu’il était chargé des travaux
de la reconstruction de Saint-Pierre, il poursuivait au Vatican la déco-
ration de la salle de Y Incendie du Borgo-, il préparait la décoration de la
salle de la Bataille de Constantin; il décorait les Loges, et traçait pour
elles les compositions tirées de la Rible; il faisait, pour les tapisseries de
Bruxelles, les Cartons où étaient mis en scène les Actes des Apôtres. 11 fut
bientôt encore, par-dessus le marché, le conservateur des monuments
antiques ; il les relevait et les faisait relever ; il les protégeait contre les
injures des barbares contemporains. A chaque instant il était interrompu
de ces grands travaux pour quelque besogne frivole. Un jour c’était,
pour une représentation théâtrale, un rideau à peindre et des décors à
brosser ; un autre jour, la fantaisie du pape voulait que son peintre exé-
cutât le portrait de son éléphant. Il est permis de croire que Raphaël
maugréait parfois, mais il obéissait toujours.