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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
s’assit pas sans quelque tremblement devant son chevalet le jour où
il s’était agi de le peindre ad vivum.
Il faut mentionner un autre très intéressant document icono-
graphique : c’est le portrait de Lucas de Leyde par lui-même (n° 117).
Ici la gravure du recueil de Lampsonius et la peinture de Brunswick
s’accordent beaucoup plus exactement, sans être toutefois absolument
pareilles. Lucas s’est représenté de trois-quarts en buste, les yeux
regardant obliquement, tel qu’il se voyait dans le miroir devant
lequel il se portraiturait. Il est loin d’avoir la distinction de Schoorel ;
le nez retroussé, la bouche énorme aux lèvres épaisses, le front bas
caché par les cheveux ramenés en avant donnent à sa physionomie
quelque chose d’assez commun ; mais elle est bien vivante et per-
sonnelle ; on y voit déjà poindre l’amertume qui devait empoisonner
les dernières années de sa trop courte vie.
Avec le portrait, nous abordons le terrain vraiment solide et
fertile où l’Ecole Hollandaise devait donner sa belle floraison. Elle
semble avoir reçu, en effet, au milieu de toutes les autres, la mission
particulière de nous laisser en toutes choses des portraits accomplis :
portraits de ses magistrats, de ses soldats, de ses hommes d’Etat, de
ses régents, de ses syndics dont les graves assemblées évoquent, avec
une mâle fierté, dans la simplicité de leur appareil, toute une épopée
civique et bourgeoise qui fait honneur à la nature humaine ; —portraits
de ses citoyens, dans leurs corporations et confréries, le verre en main
pour leurs agapes fraternelles, ou bien, dans l’intimité du foyer, entou-
rés de leur famille, dont la dignité, le patrimoine et la sécurité étaient
la récompense de tant de luttes héroïques ; — portraits de leurs villes,
de leurs temples réformés tels que nous les montre Pieter Saenre-
dam avec leurs murailles nues, ornées du seul tableau noir où s’ins-
crivent les numéros des psaumes et les versets des saintes Ecritures ;
— portraits de leurs fêtes populaires dans le sans-gêne de leurs
mœurs peu raffinées, des cabarets où l’on vide les chopes avec intem-
pérance, « commun défaut, avoue l’honnête Yan Mander, bien que
chez nous, peuple de race germanique, l’intempérance ne soit pas
envisagée comme un vice honteux, mais qu’en certains lieux, le fait
de savoir bien boire soit vanté à l’égal d’un mérite » ; — et, par-
dessus tout, portrait de leur pays, chèrement conservé, deux fois
conquis sur la nature et sur l’ennemi, représenté dans ses aspects
tristes ou gais, sous son ciel souvent voilé où le soleil met de rares
sourires (aussi comme on le reçoit quand il se montre et quel événe-
ment que la visite d’un rayon chez un brave homme comme Pieter
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
s’assit pas sans quelque tremblement devant son chevalet le jour où
il s’était agi de le peindre ad vivum.
Il faut mentionner un autre très intéressant document icono-
graphique : c’est le portrait de Lucas de Leyde par lui-même (n° 117).
Ici la gravure du recueil de Lampsonius et la peinture de Brunswick
s’accordent beaucoup plus exactement, sans être toutefois absolument
pareilles. Lucas s’est représenté de trois-quarts en buste, les yeux
regardant obliquement, tel qu’il se voyait dans le miroir devant
lequel il se portraiturait. Il est loin d’avoir la distinction de Schoorel ;
le nez retroussé, la bouche énorme aux lèvres épaisses, le front bas
caché par les cheveux ramenés en avant donnent à sa physionomie
quelque chose d’assez commun ; mais elle est bien vivante et per-
sonnelle ; on y voit déjà poindre l’amertume qui devait empoisonner
les dernières années de sa trop courte vie.
Avec le portrait, nous abordons le terrain vraiment solide et
fertile où l’Ecole Hollandaise devait donner sa belle floraison. Elle
semble avoir reçu, en effet, au milieu de toutes les autres, la mission
particulière de nous laisser en toutes choses des portraits accomplis :
portraits de ses magistrats, de ses soldats, de ses hommes d’Etat, de
ses régents, de ses syndics dont les graves assemblées évoquent, avec
une mâle fierté, dans la simplicité de leur appareil, toute une épopée
civique et bourgeoise qui fait honneur à la nature humaine ; —portraits
de ses citoyens, dans leurs corporations et confréries, le verre en main
pour leurs agapes fraternelles, ou bien, dans l’intimité du foyer, entou-
rés de leur famille, dont la dignité, le patrimoine et la sécurité étaient
la récompense de tant de luttes héroïques ; — portraits de leurs villes,
de leurs temples réformés tels que nous les montre Pieter Saenre-
dam avec leurs murailles nues, ornées du seul tableau noir où s’ins-
crivent les numéros des psaumes et les versets des saintes Ecritures ;
— portraits de leurs fêtes populaires dans le sans-gêne de leurs
mœurs peu raffinées, des cabarets où l’on vide les chopes avec intem-
pérance, « commun défaut, avoue l’honnête Yan Mander, bien que
chez nous, peuple de race germanique, l’intempérance ne soit pas
envisagée comme un vice honteux, mais qu’en certains lieux, le fait
de savoir bien boire soit vanté à l’égal d’un mérite » ; — et, par-
dessus tout, portrait de leur pays, chèrement conservé, deux fois
conquis sur la nature et sur l’ennemi, représenté dans ses aspects
tristes ou gais, sous son ciel souvent voilé où le soleil met de rares
sourires (aussi comme on le reçoit quand il se montre et quel événe-
ment que la visite d’un rayon chez un brave homme comme Pieter