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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Le tableau d’autel de Saint-Bavon fait date dans le développement
de l’art chrétien, dont il est en même temps un des plus grandioses
monuments. Son importance artistique n’est pas inférieure à sa
valeur d’enseignement chrétien, et en cela l’œuvre des frères Van
Eyck peut être mise à côté d’une autre de la même époque, les fresques
de Masaccio au Carminé de Florence. Dans aucune autre œuvre le
sentiment du moyen âge n’a été exprimé d’une façon aussi sublime et
en même temps avec cette clarté et cette simplicité. La Fontaine de vie
de Hubert van Eyck, qui précéda Y Adoration de l’Agneau et dont le
Musée de Madrid possède de la fin du xv° siècle une copie fidèle mais
sans grande valeur artistique, ne semble être qu’une préparation
imparfaite à ce chef-d’œuvre.
La partie extérieure du tableau d’autel, celle qu’on voit quand le
tableau est fermé, a trait au mystère de la Rédemption avec son
Annonciation et les petites figures des prophètes et des sibylles qui
se trouvent dans la partie cintrée. A l’intérieur, les panneaux
supérieurs nous montrent la magnificence du royaume des cieux :
Dieu le Père trônant, vers qui se tournent la Vierge et saint Jean-
Baptiste priant pour le genre humain soumis au péché; enfin la
chute avec sa première conséquence, le meurtre d’Abel. Les panneaux
du bas célèbrent la rédemption du genre humain par le sang du
Christ. Il est très caractéristique du tempérament doux et éloigné
du tragique des Van Eyck que cette Rédemption ne se manifeste pas
ici par la crucifixion de Jésus, mais par l’allégorie de l’Agneau dont
le sang est versé dans le calice, sur l’autel, qu’entourent des anges
tenant les instruments de la Passion, tandis que, sur le devant, se
trouve une fontaine de bronze, « la fontaine de vie ». Les élus
s’approchent pour reconnaître et glorifier le mystère de la Rédemption,
ce sont les pèlerins de la Jérusalem céleste. Ce n’est pas dans le saint
temple que l’artiste assemble les élus, selon l’usage ; son sens
naturaliste lui inspire pour les réunir un paysage purifié par
l’esprit de Dieu et où l’on croit entendre sonner les cloches. Les
premiers pèlerins sont les précurseurs et les apôtres du Christ, déjà
agenouillés, en méditation, aux deux côtés de la fontaine de vie ;
derrière eux, d’un côté, les ecclésiastiques de tout rang; de l’autre,
de pieux laïques parmi lesquels des têtes couronnées et des poètes
aux tempes ceintes du laurier ; dans le fond, près de l’Agneau, les
martyrs. A gauche, s’avance une cavalcade de pieux chevaliers
conduits par saint Georges, saint Sébastien et saint Michel et comp-
tant dans ses rangs Jean et Hubert van Eyck eux-mêmes ; à droite,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Le tableau d’autel de Saint-Bavon fait date dans le développement
de l’art chrétien, dont il est en même temps un des plus grandioses
monuments. Son importance artistique n’est pas inférieure à sa
valeur d’enseignement chrétien, et en cela l’œuvre des frères Van
Eyck peut être mise à côté d’une autre de la même époque, les fresques
de Masaccio au Carminé de Florence. Dans aucune autre œuvre le
sentiment du moyen âge n’a été exprimé d’une façon aussi sublime et
en même temps avec cette clarté et cette simplicité. La Fontaine de vie
de Hubert van Eyck, qui précéda Y Adoration de l’Agneau et dont le
Musée de Madrid possède de la fin du xv° siècle une copie fidèle mais
sans grande valeur artistique, ne semble être qu’une préparation
imparfaite à ce chef-d’œuvre.
La partie extérieure du tableau d’autel, celle qu’on voit quand le
tableau est fermé, a trait au mystère de la Rédemption avec son
Annonciation et les petites figures des prophètes et des sibylles qui
se trouvent dans la partie cintrée. A l’intérieur, les panneaux
supérieurs nous montrent la magnificence du royaume des cieux :
Dieu le Père trônant, vers qui se tournent la Vierge et saint Jean-
Baptiste priant pour le genre humain soumis au péché; enfin la
chute avec sa première conséquence, le meurtre d’Abel. Les panneaux
du bas célèbrent la rédemption du genre humain par le sang du
Christ. Il est très caractéristique du tempérament doux et éloigné
du tragique des Van Eyck que cette Rédemption ne se manifeste pas
ici par la crucifixion de Jésus, mais par l’allégorie de l’Agneau dont
le sang est versé dans le calice, sur l’autel, qu’entourent des anges
tenant les instruments de la Passion, tandis que, sur le devant, se
trouve une fontaine de bronze, « la fontaine de vie ». Les élus
s’approchent pour reconnaître et glorifier le mystère de la Rédemption,
ce sont les pèlerins de la Jérusalem céleste. Ce n’est pas dans le saint
temple que l’artiste assemble les élus, selon l’usage ; son sens
naturaliste lui inspire pour les réunir un paysage purifié par
l’esprit de Dieu et où l’on croit entendre sonner les cloches. Les
premiers pèlerins sont les précurseurs et les apôtres du Christ, déjà
agenouillés, en méditation, aux deux côtés de la fontaine de vie ;
derrière eux, d’un côté, les ecclésiastiques de tout rang; de l’autre,
de pieux laïques parmi lesquels des têtes couronnées et des poètes
aux tempes ceintes du laurier ; dans le fond, près de l’Agneau, les
martyrs. A gauche, s’avance une cavalcade de pieux chevaliers
conduits par saint Georges, saint Sébastien et saint Michel et comp-
tant dans ses rangs Jean et Hubert van Eyck eux-mêmes ; à droite,