LA RENAISSANCE AU MUSÉE DE BERLIN.
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qui a certainement en outre couvert tous les panneaux et en a fini
ou presque fini tout un rang. Je verrais volontiers sa main et exclu-
sivement la sienne, clans les peintures extérieures, notamment dans
les superbes portraits du fondateur et de sa femme. Dans ces
derniers par la simple considération que le fondateur, déjà âgé,
d’une œuvre aussi coûteuse et aussi longue aurait eu difficilement la
modestie d’en attendre l’achèvement avant d’y voir son portrait.
Dans les panneaux principaux, j’attribuerais encore volontiers et
entièrement à Hubert les trois grandes figures détachées. Dans les
anges chantant et faisant de la musique, on pourrait reconnaître
déjà une autre main qui à la chaude couleur de chair primitive
ajoute des tons froids, violets et roses, et qui, çà et là, a repeint
quelques cheveux dans les chevelures éparses. Dans Adam et Eve, qui
est peut-être la première et la plus sincère reproduction du corps
humain devant l’esprit chrétien, il n’y a évidemment qu’une seule
et même main, que ce soit celle de Hubert ou celle de Jean. En tout
cas, on reconnaît celle de Jean van Eyck dans les panneaux du bas
de l’œuvre, surtout dans celui du milieu ; c’est dans l’achèvement
de ces panneaux qu’est la part la plus réelle de Jean. En somme, il me
semble que le travail de Jean van Eyck ne saurait, sans désavantage
pour lui, être comparé à celui de son frère, qui lui est très supé-
rieur; mais nous ne devons pas lui en faire un reproche : il s’agissait
d’achever une œuvre déjà très avancée à laquelle Jean van Eyck
était resté tout à fait étranger jusque-là et pour laquelle il n’avait
pas la ressource d’études laissées par son frère, non plus que celle
d’études personnelles; un travail comme celui qui lui incombait
devait fatalement arriver à pécher par le manque de fraîcheur, de
largeur et de sûreté.
Cette question de la part à faire à chacun des deux frères dans le
tableau d’autel de Saint-Bavon, et dont je 11e puis m’occuper plus
longuement ici, devrait naturellement être résolue d’après les œuvres
attribuées sans conteste à Jean van Eyck et dont nous possédons
heureusement un nombre assez considérable. Mais ce qui rendrait
encore toute conclusion un peu hasardée, c’est la grande différence
que ces œuvres, surtout celles de la première époque du peintre,
présentent entre elles : qu’on compare seulement, en effet, la petite
Madone de Ince Hall avec le double portrait de la National Gallery
de Londres et ces deux tableaux avec le portrait d’Arnolfini, au
Musée de Berlin, ou avec le petit portrait d’homme de la National
Gallery, tous les quatre peints en deux ou trois ans.
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qui a certainement en outre couvert tous les panneaux et en a fini
ou presque fini tout un rang. Je verrais volontiers sa main et exclu-
sivement la sienne, clans les peintures extérieures, notamment dans
les superbes portraits du fondateur et de sa femme. Dans ces
derniers par la simple considération que le fondateur, déjà âgé,
d’une œuvre aussi coûteuse et aussi longue aurait eu difficilement la
modestie d’en attendre l’achèvement avant d’y voir son portrait.
Dans les panneaux principaux, j’attribuerais encore volontiers et
entièrement à Hubert les trois grandes figures détachées. Dans les
anges chantant et faisant de la musique, on pourrait reconnaître
déjà une autre main qui à la chaude couleur de chair primitive
ajoute des tons froids, violets et roses, et qui, çà et là, a repeint
quelques cheveux dans les chevelures éparses. Dans Adam et Eve, qui
est peut-être la première et la plus sincère reproduction du corps
humain devant l’esprit chrétien, il n’y a évidemment qu’une seule
et même main, que ce soit celle de Hubert ou celle de Jean. En tout
cas, on reconnaît celle de Jean van Eyck dans les panneaux du bas
de l’œuvre, surtout dans celui du milieu ; c’est dans l’achèvement
de ces panneaux qu’est la part la plus réelle de Jean. En somme, il me
semble que le travail de Jean van Eyck ne saurait, sans désavantage
pour lui, être comparé à celui de son frère, qui lui est très supé-
rieur; mais nous ne devons pas lui en faire un reproche : il s’agissait
d’achever une œuvre déjà très avancée à laquelle Jean van Eyck
était resté tout à fait étranger jusque-là et pour laquelle il n’avait
pas la ressource d’études laissées par son frère, non plus que celle
d’études personnelles; un travail comme celui qui lui incombait
devait fatalement arriver à pécher par le manque de fraîcheur, de
largeur et de sûreté.
Cette question de la part à faire à chacun des deux frères dans le
tableau d’autel de Saint-Bavon, et dont je 11e puis m’occuper plus
longuement ici, devrait naturellement être résolue d’après les œuvres
attribuées sans conteste à Jean van Eyck et dont nous possédons
heureusement un nombre assez considérable. Mais ce qui rendrait
encore toute conclusion un peu hasardée, c’est la grande différence
que ces œuvres, surtout celles de la première époque du peintre,
présentent entre elles : qu’on compare seulement, en effet, la petite
Madone de Ince Hall avec le double portrait de la National Gallery
de Londres et ces deux tableaux avec le portrait d’Arnolfini, au
Musée de Berlin, ou avec le petit portrait d’homme de la National
Gallery, tous les quatre peints en deux ou trois ans.