TABLEAUX DE MAITRES ANCIENS.
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uns, va presque à la mauvaise humeur. Ainsi le personnage bizarre,
de mine hautaine et rechignée, qui siège au milieu, le bras en écharpe,
ainsi l’homme assis à droite au premier plan, ont dans le regard une
fixité singulière et soucieuse. Est-ce une illusion? il semble qu’on a
vu ces yeux-là quelque part. Et de fait, si l’on se reporte aux Lenain
du Louvre, les seuls qui nous permettent en ce moment une compa-
raison directe, on retrouverait en des œuvres d’une acception toute
différente, dans la Forge, par exemple, cette intensité du regard
humain, cette fascination lente, continue, obsédante. Ni Van der
Helst, ni la plupart des portraitistes hollandais, si l’on excepte
Rembrandt qui n’est pas en cause, n’ont donné, que je sache, à leurs
figures cette profondeur de vie intime. Plus de bonhomie, plus de
naturel et d’aisance, mais rarement cette fixité d’attitude et d’expres-
sion, qui est une habitude d’esprit des Lenain. Ajoutez que l’exécution
hollandaise dans son principe, très sage et très souple, s’expliquerait
aisément par les attaches premières d’un des Lenain, que d’ailleurs
la disposition de la lumière autour des figures, surtout le jeu des
ombres sur le visage du personnage si caractéristique assis à droite,
appelle certain parti pris habituel à ces peintres, et donne
précisément à la flamme voilée des yeux une valeur particulière.
Je n’oserais conclure; j’estime seulement qu’il n’y a pas de raisons
positives pour refuser ce tableau très remarquable à l’Ecole française
et à l’un des Lenain en particulier.
De cette œuvre originale et inquiétante, nous passons avec
Largillière à la belle ordonnance classique, au style noble et clair
du xvue siècle. Le Portrait de deux échevins est du plus grand caractère.
Ainsi interprétée, tombant en majestueuse cascade et continuée par
d’amples draperies, la perruque du grand siècle n’est-elle pas le plus
beau cadre que l’on ait inventé pour mettre en relief la finesse ou
l'énergie d’un visage? Les traits ouverts, les lèvres au ferme contour
expriment si complètement la droiture de l’intelligence et de la
volonté qu’on est tenté de prendre la barbe pour un ornement de
barbares, et ces nobles figures de magistrats pour les types absolus
de l’humanité civilisée. Le dessin est admirable de logique et de force,
la couleur sobre et limpide, l’effet puissant. C’est plus qu’un beau
portrait, c’est une œuvre typique et l’on n’imagine pas Racine, Boileau
ou Buffon peints dans un autre style.
Mais, par les gaietés de son coloris, Largillière touche en même
temps au siècle aimable. Le Portrait de jeune femme en Diane annonce
et prépare les maitres fleuris.
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uns, va presque à la mauvaise humeur. Ainsi le personnage bizarre,
de mine hautaine et rechignée, qui siège au milieu, le bras en écharpe,
ainsi l’homme assis à droite au premier plan, ont dans le regard une
fixité singulière et soucieuse. Est-ce une illusion? il semble qu’on a
vu ces yeux-là quelque part. Et de fait, si l’on se reporte aux Lenain
du Louvre, les seuls qui nous permettent en ce moment une compa-
raison directe, on retrouverait en des œuvres d’une acception toute
différente, dans la Forge, par exemple, cette intensité du regard
humain, cette fascination lente, continue, obsédante. Ni Van der
Helst, ni la plupart des portraitistes hollandais, si l’on excepte
Rembrandt qui n’est pas en cause, n’ont donné, que je sache, à leurs
figures cette profondeur de vie intime. Plus de bonhomie, plus de
naturel et d’aisance, mais rarement cette fixité d’attitude et d’expres-
sion, qui est une habitude d’esprit des Lenain. Ajoutez que l’exécution
hollandaise dans son principe, très sage et très souple, s’expliquerait
aisément par les attaches premières d’un des Lenain, que d’ailleurs
la disposition de la lumière autour des figures, surtout le jeu des
ombres sur le visage du personnage si caractéristique assis à droite,
appelle certain parti pris habituel à ces peintres, et donne
précisément à la flamme voilée des yeux une valeur particulière.
Je n’oserais conclure; j’estime seulement qu’il n’y a pas de raisons
positives pour refuser ce tableau très remarquable à l’Ecole française
et à l’un des Lenain en particulier.
De cette œuvre originale et inquiétante, nous passons avec
Largillière à la belle ordonnance classique, au style noble et clair
du xvue siècle. Le Portrait de deux échevins est du plus grand caractère.
Ainsi interprétée, tombant en majestueuse cascade et continuée par
d’amples draperies, la perruque du grand siècle n’est-elle pas le plus
beau cadre que l’on ait inventé pour mettre en relief la finesse ou
l'énergie d’un visage? Les traits ouverts, les lèvres au ferme contour
expriment si complètement la droiture de l’intelligence et de la
volonté qu’on est tenté de prendre la barbe pour un ornement de
barbares, et ces nobles figures de magistrats pour les types absolus
de l’humanité civilisée. Le dessin est admirable de logique et de force,
la couleur sobre et limpide, l’effet puissant. C’est plus qu’un beau
portrait, c’est une œuvre typique et l’on n’imagine pas Racine, Boileau
ou Buffon peints dans un autre style.
Mais, par les gaietés de son coloris, Largillière touche en même
temps au siècle aimable. Le Portrait de jeune femme en Diane annonce
et prépare les maitres fleuris.