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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
en 1865 par le musée au marquis Serra1. Bien que les différences
d’exécution soient sensibles dans les divers fragments de la frise,
celle-ci offre cependant une grande unité de composition. Le bas-
relief y est partout traité de la même manière. Les personnages sont
disposés sur un fond peu chargé, et forment des groupes nettement
détachés les uns des autres. Mais ce qui frappe surtout, c’est la
précision presque métallique du travail, qui ne va pas sans une
certaine sécheresse, accusée encore par la saillie très prononcée du
relief ; on est loin du modelé souple et fonda de la frise du Parthénon.
Le sujet, maintes fois traité, imposait aux sculpteurs le devoir de
le renouveler; ils y ont réussi, en cherchant surtout le pathétique,
la vie et le mouvement, au risque de tomber dans l’excès. C’est avec
une verve étonnante qu’ils ont jeté dans le champ du bas-relief ces
personnages aux attitudes violentes, dont les lignes contrariées se
croisent et se heurtent. Ajoutez que la recherche de l’élégance a
conduit les artistes à allonger les proportions des personnages,
jusqu’à les rendre parfois inquiétantes; témoin ce morceau de la
frise où un Grec au corps effilé couvre de son bouclier un guerrier
tombé. En revanche, certaines figures sont d’une élégance charmante,
par exemple l’Amazone qui occupe la droite du morceau de frise
reproduit par notre gravure; le bras levé, elle s’avance vivement au
secours de sa compagne terrassée par un Grec; sa tunique courte,
serrée à la taille, dessine des formes élancées, tandis que son manteau
flotte comme une écharpe autour du bras gauche. Il y a là une
alliance de la grâce et du mouvement que les sculpteurs de la frise
n’ont pas toujours réalisée avec autant de bonheur.
Faut-il, comme l’ont fait certains critiques, prononcer ici le mot
affligeant de décadence? A coup sûr, si l’on compare la frise du
Mausolée à celle du Parthénon, on sera tenté de la juger sévèrement.
Mais est-il juste d’écraser sous le poids d’une telle comparaison un
art vaillant et chercheur, dont les audaces mêmes affirment la
vitalité ? Il vaut mieux faire la part des qualités charmantes qui s’y
déploient, et réserver ses sévérités pour le moment où la sève sera
épuisée sans retour. Avec la frise du Mausolée, nous sommes en
présence d’une école qui sait encore créer, et qui, loin de se perdre
dans des répétitions stériles, suit résolument une tradition nouvelle.
1. C’est le morceau dont nous donnons un dessin. M. Brunn a émis des doutes
sur le rapport de cette dalle sculptée avec la frise du Mausolée (Berichte der bayer.
Akademie, 1882). Mais M. Newton n’hésite pas à la classer parmi les fragments
de la frise de l’ordre.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
en 1865 par le musée au marquis Serra1. Bien que les différences
d’exécution soient sensibles dans les divers fragments de la frise,
celle-ci offre cependant une grande unité de composition. Le bas-
relief y est partout traité de la même manière. Les personnages sont
disposés sur un fond peu chargé, et forment des groupes nettement
détachés les uns des autres. Mais ce qui frappe surtout, c’est la
précision presque métallique du travail, qui ne va pas sans une
certaine sécheresse, accusée encore par la saillie très prononcée du
relief ; on est loin du modelé souple et fonda de la frise du Parthénon.
Le sujet, maintes fois traité, imposait aux sculpteurs le devoir de
le renouveler; ils y ont réussi, en cherchant surtout le pathétique,
la vie et le mouvement, au risque de tomber dans l’excès. C’est avec
une verve étonnante qu’ils ont jeté dans le champ du bas-relief ces
personnages aux attitudes violentes, dont les lignes contrariées se
croisent et se heurtent. Ajoutez que la recherche de l’élégance a
conduit les artistes à allonger les proportions des personnages,
jusqu’à les rendre parfois inquiétantes; témoin ce morceau de la
frise où un Grec au corps effilé couvre de son bouclier un guerrier
tombé. En revanche, certaines figures sont d’une élégance charmante,
par exemple l’Amazone qui occupe la droite du morceau de frise
reproduit par notre gravure; le bras levé, elle s’avance vivement au
secours de sa compagne terrassée par un Grec; sa tunique courte,
serrée à la taille, dessine des formes élancées, tandis que son manteau
flotte comme une écharpe autour du bras gauche. Il y a là une
alliance de la grâce et du mouvement que les sculpteurs de la frise
n’ont pas toujours réalisée avec autant de bonheur.
Faut-il, comme l’ont fait certains critiques, prononcer ici le mot
affligeant de décadence? A coup sûr, si l’on compare la frise du
Mausolée à celle du Parthénon, on sera tenté de la juger sévèrement.
Mais est-il juste d’écraser sous le poids d’une telle comparaison un
art vaillant et chercheur, dont les audaces mêmes affirment la
vitalité ? Il vaut mieux faire la part des qualités charmantes qui s’y
déploient, et réserver ses sévérités pour le moment où la sève sera
épuisée sans retour. Avec la frise du Mausolée, nous sommes en
présence d’une école qui sait encore créer, et qui, loin de se perdre
dans des répétitions stériles, suit résolument une tradition nouvelle.
1. C’est le morceau dont nous donnons un dessin. M. Brunn a émis des doutes
sur le rapport de cette dalle sculptée avec la frise du Mausolée (Berichte der bayer.
Akademie, 1882). Mais M. Newton n’hésite pas à la classer parmi les fragments
de la frise de l’ordre.