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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
du Luxembourg. Le cadre est un steppe torréfié, auquel la lumière
de l’horizon n’arrive plus. Les seuls objets qui interrompent cette
ligne droite sont les silhouettes de quelques monts et le groupe
d’une caravane, dont les personnages, dans l’attitude de la prière,
s’élèvent à peine au-dessus du sol. On dirait, au ciel, la lumière de
l’aube, si la direction des fidèles, tournés vers la Ivibla, n’indiquait
que le couchant est derrière eux. Les fumées du campement montent
comme des colonnes; on sent que la monotonie du lieu se poursuit
sans rémission, à droite et à gauche, qu’elle déborde le cadre du
tableau et celui de l’imagination humaine, frappée d’une religieuse
stupeur.
Cependant, à nos yeux, Guillaumet ne trouva sa véritable voie
que quand il peignit la vie de l’oasis, la vie des douars et des ksours.
Ce fut sa dernière manière, celle qui lui valut un succès mérité. En
maint passage de ses Tableaux algériens, il parle avec enthousiasme
de ces mondes perdus.
« Aussitôt qu’elles ont défilé entre les rochers fantastiques qui
dominent la rivière d’El-Kantara, dit-il, les caravanes venant du Tell
trouvent soudain Y enchantement des premiers pays sahariens. Devant
elles, au milieu d’une naturejaune, dénudée, se déroulent, au moment
même où on les touche, les quatre-vingt mille palmiers de l’oasis.
Ces palmiers viennent égayer une cité morte dont les maisons de
boue durcie au soleil se confondraient avec le sol aride si, de place
en place, la verdure qui les environne n’offrait à leurs teintes fauves
un agréable contraste... Sur les murs nus, les ombres montent et
s’abaissent, mesurant le cours d’un temps sans valeur... »
Copions encore cette description d’un village des hauts plateaux,
dont tous les traits s’appliquent si bien aux sites que l’auteur a peints.
« Des terrains poudreux inondés de soleil; un amoncellement de
murailles grises sous un ciel sans nuage; des maisons d’argile décou-
pant leurs silhouettes sur des bleus profonds ; une cité somnolente
baignée d’une lumière égale, et, dans le frémissement visible des atomes
aériens, quelques ombres venant çà et ià détacher une forme, accuser
un geste parmi les groupes en burnous qui se meuvent sur les places :
tel m’apparaît le ksar, vers dix heures du matin... Les maisons, à
l’heure méridienne, montrent leurs terrasses inoccupées. Les mois,
les années de soleil ont recuit et crevassé les blocs de terre, tandis
que des pluies torrentielles ont écorné les angles, ébréché les lignes.
On dirait quelque ébauche de ville conçue dans les temps hébraïques
et qui résisterait encore à la destruction. »
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
du Luxembourg. Le cadre est un steppe torréfié, auquel la lumière
de l’horizon n’arrive plus. Les seuls objets qui interrompent cette
ligne droite sont les silhouettes de quelques monts et le groupe
d’une caravane, dont les personnages, dans l’attitude de la prière,
s’élèvent à peine au-dessus du sol. On dirait, au ciel, la lumière de
l’aube, si la direction des fidèles, tournés vers la Ivibla, n’indiquait
que le couchant est derrière eux. Les fumées du campement montent
comme des colonnes; on sent que la monotonie du lieu se poursuit
sans rémission, à droite et à gauche, qu’elle déborde le cadre du
tableau et celui de l’imagination humaine, frappée d’une religieuse
stupeur.
Cependant, à nos yeux, Guillaumet ne trouva sa véritable voie
que quand il peignit la vie de l’oasis, la vie des douars et des ksours.
Ce fut sa dernière manière, celle qui lui valut un succès mérité. En
maint passage de ses Tableaux algériens, il parle avec enthousiasme
de ces mondes perdus.
« Aussitôt qu’elles ont défilé entre les rochers fantastiques qui
dominent la rivière d’El-Kantara, dit-il, les caravanes venant du Tell
trouvent soudain Y enchantement des premiers pays sahariens. Devant
elles, au milieu d’une naturejaune, dénudée, se déroulent, au moment
même où on les touche, les quatre-vingt mille palmiers de l’oasis.
Ces palmiers viennent égayer une cité morte dont les maisons de
boue durcie au soleil se confondraient avec le sol aride si, de place
en place, la verdure qui les environne n’offrait à leurs teintes fauves
un agréable contraste... Sur les murs nus, les ombres montent et
s’abaissent, mesurant le cours d’un temps sans valeur... »
Copions encore cette description d’un village des hauts plateaux,
dont tous les traits s’appliquent si bien aux sites que l’auteur a peints.
« Des terrains poudreux inondés de soleil; un amoncellement de
murailles grises sous un ciel sans nuage; des maisons d’argile décou-
pant leurs silhouettes sur des bleus profonds ; une cité somnolente
baignée d’une lumière égale, et, dans le frémissement visible des atomes
aériens, quelques ombres venant çà et ià détacher une forme, accuser
un geste parmi les groupes en burnous qui se meuvent sur les places :
tel m’apparaît le ksar, vers dix heures du matin... Les maisons, à
l’heure méridienne, montrent leurs terrasses inoccupées. Les mois,
les années de soleil ont recuit et crevassé les blocs de terre, tandis
que des pluies torrentielles ont écorné les angles, ébréché les lignes.
On dirait quelque ébauche de ville conçue dans les temps hébraïques
et qui résisterait encore à la destruction. »