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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
modèles de Guillaumet sont tout différents : ce sont de pauvres gens
en haillons, qui n’ont jamais eu un cheval à eux et qui vivent allongés
dans une poussière d’or à côté de leurs chiens, —• ces chiens de douar
auxquels Guillaumet a consacré quelques pages d’un caractère frap-
pant, — parias dont la destinée s’écoule dans une égale insouciance.
Ce sont les colons paresseux de Taourirt, de Bou-Saada, de Lagliouat.
Ce sont les femmes des oasis et des ksours. C’est, en un mot, une popu-
lation humble, rustique et primitive qui fait penser aux temps de la
Bible. Guillaumet nous le dit lui-même en plus d’un endroit : la sim-
plicité grandiose, l’inaltérable grâce et la dignité patriarcale de
l’Oriental éveillent en nous l’idée d’une similitude profonde entre les
actes les plus ordinaires de sa libre vie et les récits les plus familiers
ou les plus héroïques des épisodes bibliques. Ce sont sans doute les
scrupules d’une discrétion trop grande qui empêchèrent l’artiste de
retracer les grandes figures pastorales des traditions sémitiques telles
qu’il semble les avoir senties.
L’impression de grandeur et de majesté qui saisit l’observateur
délicat devant les actes journaliers de la vie au désert eut encore un
autre effet sur Guillaumet. Elle le préserva de la séduction fausse
qui attire l’attention des esprits superficiels vers le bric-à-brac, vers
la pacotille clinquante et bizarre, vers les oripeaux et les défroques
sans intérêt. Elle décida son choix pour ces éternels sujets du tra-
vail et des fêtes qui sont les deux faces de la vie orientale. Deux fois,
il nous représente les scènes animées d’un Marché arabe, qu’il a si bien
décrites dans le tableau en prose intitulé le Ksar ; puis viennent le
Défrichement et le Labour, opposés au Palanquin.
Cependant, dans toute cette nature, dans toute cette humanité, la
femme seule s’agite perpétuellement. L’homme est voué à la fainéan-
tise ; sa vie est une longue sieste coupée, aux jours de fêtes, par des
exercices violents jusqu’à la furie. La femme, au contraire, commence
dès l’enfance l’apprentissage de tous les travaux, de tous les métiers.
Porter sur ses reins les fardeaux, l’herbe et les récoltes, ou le nour-
risson de la famille ; descendre au torrent puiser l'eau dans les
jarres ; battre le beurre, rouler la farine et pétrir les galettes,
carder la laine, la filer et la tisser, laver les vêtements sordides des
siens, telles sont ses fatigues quotidiennes. Assise devant un métier
primitif, dont la forme n’a dû subir aucun perfectionnement depuis
les temps les plus reculés, devant un métier semblable à celui de la
Pénélope homérique, elle échafaude fil par fil les laines de toute cou-
leur qu’elle a tirées de la quenouille, avec le peigne et la navette,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
modèles de Guillaumet sont tout différents : ce sont de pauvres gens
en haillons, qui n’ont jamais eu un cheval à eux et qui vivent allongés
dans une poussière d’or à côté de leurs chiens, —• ces chiens de douar
auxquels Guillaumet a consacré quelques pages d’un caractère frap-
pant, — parias dont la destinée s’écoule dans une égale insouciance.
Ce sont les colons paresseux de Taourirt, de Bou-Saada, de Lagliouat.
Ce sont les femmes des oasis et des ksours. C’est, en un mot, une popu-
lation humble, rustique et primitive qui fait penser aux temps de la
Bible. Guillaumet nous le dit lui-même en plus d’un endroit : la sim-
plicité grandiose, l’inaltérable grâce et la dignité patriarcale de
l’Oriental éveillent en nous l’idée d’une similitude profonde entre les
actes les plus ordinaires de sa libre vie et les récits les plus familiers
ou les plus héroïques des épisodes bibliques. Ce sont sans doute les
scrupules d’une discrétion trop grande qui empêchèrent l’artiste de
retracer les grandes figures pastorales des traditions sémitiques telles
qu’il semble les avoir senties.
L’impression de grandeur et de majesté qui saisit l’observateur
délicat devant les actes journaliers de la vie au désert eut encore un
autre effet sur Guillaumet. Elle le préserva de la séduction fausse
qui attire l’attention des esprits superficiels vers le bric-à-brac, vers
la pacotille clinquante et bizarre, vers les oripeaux et les défroques
sans intérêt. Elle décida son choix pour ces éternels sujets du tra-
vail et des fêtes qui sont les deux faces de la vie orientale. Deux fois,
il nous représente les scènes animées d’un Marché arabe, qu’il a si bien
décrites dans le tableau en prose intitulé le Ksar ; puis viennent le
Défrichement et le Labour, opposés au Palanquin.
Cependant, dans toute cette nature, dans toute cette humanité, la
femme seule s’agite perpétuellement. L’homme est voué à la fainéan-
tise ; sa vie est une longue sieste coupée, aux jours de fêtes, par des
exercices violents jusqu’à la furie. La femme, au contraire, commence
dès l’enfance l’apprentissage de tous les travaux, de tous les métiers.
Porter sur ses reins les fardeaux, l’herbe et les récoltes, ou le nour-
risson de la famille ; descendre au torrent puiser l'eau dans les
jarres ; battre le beurre, rouler la farine et pétrir les galettes,
carder la laine, la filer et la tisser, laver les vêtements sordides des
siens, telles sont ses fatigues quotidiennes. Assise devant un métier
primitif, dont la forme n’a dû subir aucun perfectionnement depuis
les temps les plus reculés, devant un métier semblable à celui de la
Pénélope homérique, elle échafaude fil par fil les laines de toute cou-
leur qu’elle a tirées de la quenouille, avec le peigne et la navette,