474
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’œuvre pittoresque, si méditée qu’elle soit, reste lettre morte. Le
regard s’est éclairci, la palette s’est nettoyée du bitume sentimental :
on a exalté et affiné les parties les plus subtiles de l’art de peindre :
rapports harmoniques des tons et sentiment des valeurs. Ce travail
poursuivi dès longtemps un peu à l’écart par de grands et naïfs
artistes méconnus de leur vivant a porté tous ses fruits pour les
générations nouvelles.
En même temps à une nouvelle méthode correspondait logiquement
une poétique nouvelle. Du moment que l’on reconnaissait le prix de la
peinture en tant que peinture, et l’intérêt d’une réalité quelconque
interprétée par un œil d’artiste, l’art littéraire, historique ou senti-
mental, celui qui raconte, romance, disserte ou fait des jeux de mots
et peint juste assez pour se faire comprendre passait au second plan.
On chercha des sujets autour de soi et les plus prochains étaient les
meilleurs pour démontrer certaines vérités d’ordre pittoresque. On
s’aperçut qu’il restait tout un monde à explorer puisqu’une interpré-
tation sincère et la qualité des tons donnaient du prix au motif le plus
humble. On reconnut cette vérité si simple que tout peut être prétexte à
bien peindre. Comme il arrive dans toute évolution artistique, il y eut
bien des malentendus, des questions mal posées, de vaines querelles.
Le public, qui s’enquiert avant tout des sujets, ne vit d’abord q,u’un
réalisme brutal dans cette recherche amoureuse d’une coloration plus
franche et d’une forme plus vraie. L’œil, qui a ses routines comme
l’esprit, fut déconcerté par des notations savantes qui lui semblaient
seulement bizarres, par des accords qu’il déclarait discordants. Sans
doute on mit parfois quelque fanfaronnade à braver ses effarements,
on goûta la volupté assez fière de l’intransigeance à ne faire aucune
concession pour se mettre à la portée des timides. Ou alla jusqu’au
bout de ses idées pour en démontrer plus hautement la vertu, on
frappa les notes extrêmes du nouveau clavier ; en un mot, on souligna
les intensités et les contrastes plutôt que l’apaisement et l’admirable
sérénité de la vraie lumière. Mais de tout cela, mais des partis pris qui
aiguisaient les sensations rares, des résumés qui en isolant une
vérité lui donnaient un air de paradoxe, des observations naïves et des
subtiles théories, s’est formé un large courant qui nous porte. L’Ecole
du plein air a remis le personnage humain dans de décisifs rapports
avec la nature ambiante; elle a révélé des finesses de colorations et
de valeurs qu’on avait oubliées. Egayée, assouplie, affinée, mise en
possession de tout un répertoire d’effets nouveaux, la peinture s’est
réveillée plus libre et plus allègre. L’imagination, l’esprit et le
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’œuvre pittoresque, si méditée qu’elle soit, reste lettre morte. Le
regard s’est éclairci, la palette s’est nettoyée du bitume sentimental :
on a exalté et affiné les parties les plus subtiles de l’art de peindre :
rapports harmoniques des tons et sentiment des valeurs. Ce travail
poursuivi dès longtemps un peu à l’écart par de grands et naïfs
artistes méconnus de leur vivant a porté tous ses fruits pour les
générations nouvelles.
En même temps à une nouvelle méthode correspondait logiquement
une poétique nouvelle. Du moment que l’on reconnaissait le prix de la
peinture en tant que peinture, et l’intérêt d’une réalité quelconque
interprétée par un œil d’artiste, l’art littéraire, historique ou senti-
mental, celui qui raconte, romance, disserte ou fait des jeux de mots
et peint juste assez pour se faire comprendre passait au second plan.
On chercha des sujets autour de soi et les plus prochains étaient les
meilleurs pour démontrer certaines vérités d’ordre pittoresque. On
s’aperçut qu’il restait tout un monde à explorer puisqu’une interpré-
tation sincère et la qualité des tons donnaient du prix au motif le plus
humble. On reconnut cette vérité si simple que tout peut être prétexte à
bien peindre. Comme il arrive dans toute évolution artistique, il y eut
bien des malentendus, des questions mal posées, de vaines querelles.
Le public, qui s’enquiert avant tout des sujets, ne vit d’abord q,u’un
réalisme brutal dans cette recherche amoureuse d’une coloration plus
franche et d’une forme plus vraie. L’œil, qui a ses routines comme
l’esprit, fut déconcerté par des notations savantes qui lui semblaient
seulement bizarres, par des accords qu’il déclarait discordants. Sans
doute on mit parfois quelque fanfaronnade à braver ses effarements,
on goûta la volupté assez fière de l’intransigeance à ne faire aucune
concession pour se mettre à la portée des timides. Ou alla jusqu’au
bout de ses idées pour en démontrer plus hautement la vertu, on
frappa les notes extrêmes du nouveau clavier ; en un mot, on souligna
les intensités et les contrastes plutôt que l’apaisement et l’admirable
sérénité de la vraie lumière. Mais de tout cela, mais des partis pris qui
aiguisaient les sensations rares, des résumés qui en isolant une
vérité lui donnaient un air de paradoxe, des observations naïves et des
subtiles théories, s’est formé un large courant qui nous porte. L’Ecole
du plein air a remis le personnage humain dans de décisifs rapports
avec la nature ambiante; elle a révélé des finesses de colorations et
de valeurs qu’on avait oubliées. Egayée, assouplie, affinée, mise en
possession de tout un répertoire d’effets nouveaux, la peinture s’est
réveillée plus libre et plus allègre. L’imagination, l’esprit et le