LE SALON DE 1887.
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peintre a reçu comme M. Gervex le plus fin sentiment de la couleur,
elle donne encore aux regards un très vif plaisir. Avant U opération,
le docteur Péan explique l’usage de la pince hémostatique. Le torse
découvert, la tète renversée sur l’oreiller, les lèvres entr’ouvertes,
la patiente est endormie, le poignet droit soutenu par l’interne du
service qui compte les pulsations. Aides, auditeurs, élèves sont
groupés sans apprêt. La lumière tombe franche et limpide des larges
baies aux rideaux noués. Nul mystère, rien qui vise à l’émotion :
tout est dit simplement, avec la certitude calme de la science quand
elle affirme. N’y cherchez pas les significations intimes, l’effet
profond et concentré d’une Leçon d’anatomie, ni ce respect religieux
qui entoure une révélation Solennelle. Les personnages sont à leur
action et ne cherchent point l’au-delà.
L’exécution, inégale, a de fort belles qualités : une lumière exquise
dans les clairs, très souple autour des vêtements sombres; des blancs
de toute saveur. Pour la vérité de l’expression, pour la sûreté d’un
modelé caressant et ferme, on ne saurait trop louer certains morceaux :
la tête de la femme avec ses cheveux légers et flottants, sa bouche
qui respire, sa carnation doucement rosée dans la demi-teinte;
l'interne, l’auditeur à cheveux blancs, le jeune homme placé près de
la fenêtre, plus loin quelques figures entrevues, si bien à leur plan,
si justes de valeurs. En revanche d’autres sont lourdes, attristées
par des ombres grises où le ton perd sa finesse; le profil du professeur
est vide et peu expressif. Est-ce un calcul du peintre pour obtenir
des effets plus légers, pour garder le vif et le spontané de sa facture,
et la fraîcheur virginale des tons clairs? A coup sûr l’uniformité
dans la demi-teinte compromet parfois l’exactitude des reliefs,
amincit la forme et la creuse. Ces réserves faites, la toile de M. Gervex
est un régal pour les yeux. Dans une gamme restreinte il a fait jouer
toute la souplesse de son coloris harmonieux et délicatement fleuri.
Les querelles de sujets sont parfaitement stériles. La nouveauté
du document ne fait appel qu’à des curiosités inférieures, et c’est un
pédantisme à rebours que de vouloir enfermer l’art contemporain
dans l’expression des réalités textuelles. M. Gervex a fait œuvre de
bon peintre en traitant une donnée moderne; sur un thème analogue
M. Brouillet n’a produit qu’une illustration médiocre. Une certaine
largeur de facture ne saurait compenser la tristesse de la lumière
blafarde, l’aigreur des tons, la mollesse des figures et l’indécision
des physionomies. Comme information, la Leçon clinique n’est qu’un à
peu près; comme peinture, c’est une erreur.
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peintre a reçu comme M. Gervex le plus fin sentiment de la couleur,
elle donne encore aux regards un très vif plaisir. Avant U opération,
le docteur Péan explique l’usage de la pince hémostatique. Le torse
découvert, la tète renversée sur l’oreiller, les lèvres entr’ouvertes,
la patiente est endormie, le poignet droit soutenu par l’interne du
service qui compte les pulsations. Aides, auditeurs, élèves sont
groupés sans apprêt. La lumière tombe franche et limpide des larges
baies aux rideaux noués. Nul mystère, rien qui vise à l’émotion :
tout est dit simplement, avec la certitude calme de la science quand
elle affirme. N’y cherchez pas les significations intimes, l’effet
profond et concentré d’une Leçon d’anatomie, ni ce respect religieux
qui entoure une révélation Solennelle. Les personnages sont à leur
action et ne cherchent point l’au-delà.
L’exécution, inégale, a de fort belles qualités : une lumière exquise
dans les clairs, très souple autour des vêtements sombres; des blancs
de toute saveur. Pour la vérité de l’expression, pour la sûreté d’un
modelé caressant et ferme, on ne saurait trop louer certains morceaux :
la tête de la femme avec ses cheveux légers et flottants, sa bouche
qui respire, sa carnation doucement rosée dans la demi-teinte;
l'interne, l’auditeur à cheveux blancs, le jeune homme placé près de
la fenêtre, plus loin quelques figures entrevues, si bien à leur plan,
si justes de valeurs. En revanche d’autres sont lourdes, attristées
par des ombres grises où le ton perd sa finesse; le profil du professeur
est vide et peu expressif. Est-ce un calcul du peintre pour obtenir
des effets plus légers, pour garder le vif et le spontané de sa facture,
et la fraîcheur virginale des tons clairs? A coup sûr l’uniformité
dans la demi-teinte compromet parfois l’exactitude des reliefs,
amincit la forme et la creuse. Ces réserves faites, la toile de M. Gervex
est un régal pour les yeux. Dans une gamme restreinte il a fait jouer
toute la souplesse de son coloris harmonieux et délicatement fleuri.
Les querelles de sujets sont parfaitement stériles. La nouveauté
du document ne fait appel qu’à des curiosités inférieures, et c’est un
pédantisme à rebours que de vouloir enfermer l’art contemporain
dans l’expression des réalités textuelles. M. Gervex a fait œuvre de
bon peintre en traitant une donnée moderne; sur un thème analogue
M. Brouillet n’a produit qu’une illustration médiocre. Une certaine
largeur de facture ne saurait compenser la tristesse de la lumière
blafarde, l’aigreur des tons, la mollesse des figures et l’indécision
des physionomies. Comme information, la Leçon clinique n’est qu’un à
peu près; comme peinture, c’est une erreur.