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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sement cette douce figure songeuse; patiemment, elle a énuméré le
feuillé des arbres et les crevasses du mur... Petite toile un peu ar-
chaïque, fort intime d’expression, avec un parfum de puritanisme.
— Mais la note d’art la plus intéressante nous vient asurément
de l’extrême nord. Le Danemarck, la Suède et la Norvège entrent
avec une singulière franchise dans le mouvement de l’art contem-
porain. Peintres d’intérieur et de paysage, ils se rattachent aux Hol-
landais par l’observation ingénue et l’analyse savante de la lumière;
à notre jeune Ecole par la recherche des colorations vraies et l’étude
attentive du plein air. Ils sont moins exclusivement préoccupés des
questions techniques et des procédés matériels ; ils n’ont pas la curio-
sité maladive du néologisme qui mêle un peu d’enfantillage ou de
pédantisme à l’orgueil de la découverte. Ils sont plus simples, très sin-
cèrement émus; on dirait qu’ils regardent une nature plus jeune avec
des regards vierges. Qu’ils aient beaucoup appris chez nous (plu-
sieurs en conviennent de la meilleure grâce), ou retrouvé parallèle-
ment les mêmes vérités, ils ont pu adopter des méthodes, ils n’em-
pruntent à personne leur sentiment. Ainsi font-ils avec une cordia-
lité touchante le portrait de leur beau pays, de ses mœurs familières,
de ses paysages de forêts, d’eaux et de rochers. Et ce n’est pas la
singularité des aspects ni le pittoresque d’un album de voyages qui
nous attire vers eux. La bizarrerie exotique nous laisse presque indif-
férents. Le soleil de minuit de M. Normann, malgré la beauté fan-
tastique des Loffoten et le combat flamboyant du Couchant et de l’Au-
rore, nous intéresse comme un curieux phénomène exactement décrit
dans un langage impersonnel. Maison s’arrête longuement devant le
Soir de la Saint-Jean de M. Skredsvig. Si l’effet de nuit claire est spé-
cial à la Norvège, le motif est de tous les pays; un bateau vogue
sur un lac enclos de forêts; le batelier, pour allumer sa pipe, a lâché
les rames qui glissent sur le miroir à peine ridé; un homme à l’ar-
rière joue de l’accordéon, deux femmes assises écoutent. Dix heures
du soir; le lent crépuscule d’été qui est la douce magie des nuits du
nord, a répandu sur les choses sa molle clarté bleuâtre : la colline
boisée plonge dans les eaux une large teinte d’iris sombre où vacil-
lent les reflets charmants des personnages, bleu, rose pâle et lie de
vin ; au-dessous, un coin d’azur verdâtre transparaît. C’est unique de
solitude, de calme et de fraîcheur. Par une heureuse inspiration de
l’artiste, le cadre coupe la colline quelques pouces au-dessus de la
berge : tout le ciel est dans l’eau, l’œil ne quitte pas la nappe immo-
bile où le bateau semble suspendu sur de limpides transparences.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sement cette douce figure songeuse; patiemment, elle a énuméré le
feuillé des arbres et les crevasses du mur... Petite toile un peu ar-
chaïque, fort intime d’expression, avec un parfum de puritanisme.
— Mais la note d’art la plus intéressante nous vient asurément
de l’extrême nord. Le Danemarck, la Suède et la Norvège entrent
avec une singulière franchise dans le mouvement de l’art contem-
porain. Peintres d’intérieur et de paysage, ils se rattachent aux Hol-
landais par l’observation ingénue et l’analyse savante de la lumière;
à notre jeune Ecole par la recherche des colorations vraies et l’étude
attentive du plein air. Ils sont moins exclusivement préoccupés des
questions techniques et des procédés matériels ; ils n’ont pas la curio-
sité maladive du néologisme qui mêle un peu d’enfantillage ou de
pédantisme à l’orgueil de la découverte. Ils sont plus simples, très sin-
cèrement émus; on dirait qu’ils regardent une nature plus jeune avec
des regards vierges. Qu’ils aient beaucoup appris chez nous (plu-
sieurs en conviennent de la meilleure grâce), ou retrouvé parallèle-
ment les mêmes vérités, ils ont pu adopter des méthodes, ils n’em-
pruntent à personne leur sentiment. Ainsi font-ils avec une cordia-
lité touchante le portrait de leur beau pays, de ses mœurs familières,
de ses paysages de forêts, d’eaux et de rochers. Et ce n’est pas la
singularité des aspects ni le pittoresque d’un album de voyages qui
nous attire vers eux. La bizarrerie exotique nous laisse presque indif-
férents. Le soleil de minuit de M. Normann, malgré la beauté fan-
tastique des Loffoten et le combat flamboyant du Couchant et de l’Au-
rore, nous intéresse comme un curieux phénomène exactement décrit
dans un langage impersonnel. Maison s’arrête longuement devant le
Soir de la Saint-Jean de M. Skredsvig. Si l’effet de nuit claire est spé-
cial à la Norvège, le motif est de tous les pays; un bateau vogue
sur un lac enclos de forêts; le batelier, pour allumer sa pipe, a lâché
les rames qui glissent sur le miroir à peine ridé; un homme à l’ar-
rière joue de l’accordéon, deux femmes assises écoutent. Dix heures
du soir; le lent crépuscule d’été qui est la douce magie des nuits du
nord, a répandu sur les choses sa molle clarté bleuâtre : la colline
boisée plonge dans les eaux une large teinte d’iris sombre où vacil-
lent les reflets charmants des personnages, bleu, rose pâle et lie de
vin ; au-dessous, un coin d’azur verdâtre transparaît. C’est unique de
solitude, de calme et de fraîcheur. Par une heureuse inspiration de
l’artiste, le cadre coupe la colline quelques pouces au-dessus de la
berge : tout le ciel est dans l’eau, l’œil ne quitte pas la nappe immo-
bile où le bateau semble suspendu sur de limpides transparences.