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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
son talent. Les idées et les formes florentines étant tout à fait sym-
pathiques à sa nature, elle s’est imbue lentement, goutte à goutte, et
avec une ardeur d’investigation extrême, des œuvres des maîtres de
l’Ecole. Elle en a exagéré les défauts, mais elle a réussi à s’approprier
quelques-unes de leurs qualités. Il manque à son talent une base
solide ; on sent que l’étude première a été incomplète et que la science
est chez elle insuffisante; mais aussi l’originalité est vivace et elle
réussit le plus souvent à sauver la faiblesse de la forme par la grâce
de l’idée et l’esprit de l’invention. On aura une conception complète
de son talent en étudiant le tombeau qu’elle a sculpté pour une jeune
fille morte à Florence et qui a été placé dans le corridor de la sacristie
à l’église de Santa-Croce. C’est sa plus grande œuvre. La figure
principale est un peu maniérée, contournée, d’un modelé trop maigre;
mais l’idée est charmante, l’exécution des détails d’une grâce juvé-
nile, l’architecture parfaite, et en masse l’œuvre dans son ensemble
plaît et séduit. — On voit bien les défauts, mais on les accepte pour
jouir de cette originalité qui est un vrai don d’artiste. Jamais elle n’a
rien fait de vulgaire et jamais marbre, bronze ou bois n’est sorti de
ses mains sans porter le cachet plus ou moins réussi de son indivi-
dualité.
Cette grande qualité, la première chez un artiste, se retrouvait
également dans son style; elle n’écrivait pas comme tout le monde.
Sa phrase souvent chargée d’épithètes inutiles manquait de clarté ;
mais l’idée vive, touchante ou originale y était toujours et souvent
même de cette surabondance de mots jaillissaient des éclats d’une
véritable éloquence.
Telle fut cette femme si distinguée par son cœur, son talent, par
la noblesse de sa vie et l’élévation de son esprit. Ses dernières années
ont été douloureuses. « Je viens de perdre », écrivait-elle il y a six
ans, « mon ami, mon protecteur et souvent mon aide par la rapide
mort de Lord Crawford ! Bien d’autres morts sont autour de moi ;
celle-ci m’est profondément triste. Je compare et étudie ces caprices
de la mort qui m’oublie vieille, infirme, à charge aux autres et va
trancher des existences aimées et heureuses. »
Mais jusqu’au dernier moment elle aimait l’art auquel elle avait
donné le meilleur de sa vie. « Sans doute notre temps de vivre est
mauvais », disait-elle dans une lettre à un de ses amis. « Nos goûts,
nos études sont autant de supplices dans le présent et nos appels à
l’avenir seront enfouis sous des ruines irréparables. Pour moi c’est
peu de chose ! mais c’est pour vous que je me plains. Il est impossible
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
son talent. Les idées et les formes florentines étant tout à fait sym-
pathiques à sa nature, elle s’est imbue lentement, goutte à goutte, et
avec une ardeur d’investigation extrême, des œuvres des maîtres de
l’Ecole. Elle en a exagéré les défauts, mais elle a réussi à s’approprier
quelques-unes de leurs qualités. Il manque à son talent une base
solide ; on sent que l’étude première a été incomplète et que la science
est chez elle insuffisante; mais aussi l’originalité est vivace et elle
réussit le plus souvent à sauver la faiblesse de la forme par la grâce
de l’idée et l’esprit de l’invention. On aura une conception complète
de son talent en étudiant le tombeau qu’elle a sculpté pour une jeune
fille morte à Florence et qui a été placé dans le corridor de la sacristie
à l’église de Santa-Croce. C’est sa plus grande œuvre. La figure
principale est un peu maniérée, contournée, d’un modelé trop maigre;
mais l’idée est charmante, l’exécution des détails d’une grâce juvé-
nile, l’architecture parfaite, et en masse l’œuvre dans son ensemble
plaît et séduit. — On voit bien les défauts, mais on les accepte pour
jouir de cette originalité qui est un vrai don d’artiste. Jamais elle n’a
rien fait de vulgaire et jamais marbre, bronze ou bois n’est sorti de
ses mains sans porter le cachet plus ou moins réussi de son indivi-
dualité.
Cette grande qualité, la première chez un artiste, se retrouvait
également dans son style; elle n’écrivait pas comme tout le monde.
Sa phrase souvent chargée d’épithètes inutiles manquait de clarté ;
mais l’idée vive, touchante ou originale y était toujours et souvent
même de cette surabondance de mots jaillissaient des éclats d’une
véritable éloquence.
Telle fut cette femme si distinguée par son cœur, son talent, par
la noblesse de sa vie et l’élévation de son esprit. Ses dernières années
ont été douloureuses. « Je viens de perdre », écrivait-elle il y a six
ans, « mon ami, mon protecteur et souvent mon aide par la rapide
mort de Lord Crawford ! Bien d’autres morts sont autour de moi ;
celle-ci m’est profondément triste. Je compare et étudie ces caprices
de la mort qui m’oublie vieille, infirme, à charge aux autres et va
trancher des existences aimées et heureuses. »
Mais jusqu’au dernier moment elle aimait l’art auquel elle avait
donné le meilleur de sa vie. « Sans doute notre temps de vivre est
mauvais », disait-elle dans une lettre à un de ses amis. « Nos goûts,
nos études sont autant de supplices dans le présent et nos appels à
l’avenir seront enfouis sous des ruines irréparables. Pour moi c’est
peu de chose ! mais c’est pour vous que je me plains. Il est impossible